Position n°3 : ça arrive mais ce n’est pas ma faute
Norman Fisk
Les défenseurs et défenseuses de la fausse trichotomie1 ont tendance à se plaindre que leurs patient·es savaient ce qu’il fallait dire (iels avaient lu les écrits de Benjamin) et s’inventaient une fausse biographie. Si des homosexuel·les passaient sur le billard de cette façon, ce n’était pas leur faute à ces pauvres psychologues. Cette réponse défensive a persisté jusqu’en 1979, au moins.
Norman Fisk, psychologue à Stanford, a exprimé en 1974 cette idée d’une façon un peu plus subtile :
« J’ai l’impression que de nombreux patients fuyaient leur… homosexualité efféminée… et se précipitaient sur le diagnostic de transsexualisme pour de nombreuses raisons valables. »
Fisk recommandait aux médecin·nes du genre d’arrêter de vouloir appliquer « le diagnostic différentiel dont le but est de clairement identifier des catégories distinctes de patients nommés transsexuels ». Il proposait de remplacer ce paradigme du « vrai transsexuel » par celui de la « dysphorie de genre », un concept plus souple qui inclurait ces homosexuels dans le déni. Il citait, pour appuyer sa suggestion, une étude démontrant que le diagnostic de « transsexualisme classique » ne permettait pas de prédire une issue positive pour les patient·es post-opératoire (peut-être parce que l’entièreté du concept a toujours été un fantasme de la part de ces médecin·nes du genre).
Fisk expliquait en quoi la transition pouvait séduire des patient·es homosexuel·les :
« Dans notre société, il est bien plus acceptable et moins stigmatisant de souffrir d’une maladie mentale reconnue que de souffrir d’une supposée perversion morale, d’une déviance sexuelle ou de fétichisme. »
Fisk écrit comme s’il était un observateur externe et neutre, ce qu’il n’est pas. Il a promu et profité de l’idée que la transsexualité – pardon, la dysphorie de genre – soit une condition médicale.
Paul Walker
Les propos tenus en 1985 par le psychologue Paul Walker dans un documentaire font échos à ceux de Fisk. Il reconnaît que, comparé au « problème moral » de l’homosexualité, « il est plus facile de revendiquer une condition médicale », c’est-à-dire le transsexualisme.
Walker était lui-même ouvertement gay. En 1979, il avait exprimé son inquiétude quant à la transition d’hommes gays qui, selon lui, devraient plutôt bénéficier d’une « psychothérapie ». Dans les années 80, il dirigeait un cabinet situé rue Catro à San Francisco qui promettait, entre autres, d’aider les hommes gays souffrant de « problèmes de solitude ». Il a cependant continué à faire transitionner des patient·es.
Walker n’a quasiment jamais étudié l’esprit humain autrement que par le prisme du genre. John Money fut son mentor alors qu’il était étudiant ; Reed Erickson2 a financé ses travaux dès l’université, puis lors de ses déménagements successifs au Texas et à San Francisco. En 1979, Walker a co-fondé la Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association3 (HBIGDA) et devient son premier président.
La loyauté suprême de Walker a toujours été à la médecine du genre. Il espérait l’améliorer et la légitimer grâce à l’HBIGDA ; il espérait aussi étendre le label « trans » pour inclure des patient·es qui prévoyaient d’être « gay » après leur transition, comme son amie Lou Sullivan.
Quand Fisk et Walker admettaient que des personnes homosexuelles cherchaient à transitionner pour échapper au « jugement moral », ils en rejetaient la faute sur la religion. Mais les religions ne sont pas seules responsables de l’homophobie et de l’isolement des personnes gays. Et ce ne sont pas des prêtres qui ont inventé la médecine du genre.
Kenneth Zucker
Kenneth Zucker est un psychologue du genre pour enfants et adolescent·es basé à Toronto. Il admet que la médecine du genre a des effets négatifs lourds sur les corps et que les jeunes qui annoncent une identification à l’autre sexe peuvent changer d’avis. Pour ces miettes d’honnêteté, il a été ostracisé par les transactivistes et adopté par les « critiques du genre* ».
Zucker « soutient » les enfants qui veulent transitionner une fois qu’il est convaincu que leur identité de genre s’est figée. Dans son livre co-écrit avec Susan Bradley en 1995, ses apparitions médiatiques des années 2000 et ses interventions dans les cercles critiques du genre, il reste vague sur les détails. Récemment, il dit vouloir aider les enfants à s’accepter en tant que personne non-conforme aux stéréotypes de genre rattachés à leur sexe. Mais si cela ne fonctionne pas avant (âge non-précisé), alors, autant les faire transitionner.
Au sujet de la transition sociale des mineur·es dès le plus jeune âge, Zucker ne se prononce pas, alors même qu’il admet que cela rend plus probable une future transition médicale.
Clinique Tavistock
Hannah Barnes au sujet du GIDS :
« Les praticien·nes n’iraient jamais dire à de jeunes personnes qu’ils ou elles ne sont pas trans, mais qu’ils ou elles sont plutôt gays. »
Une déclaration aussi directe serait, évidemment, reçue avec hostilité par des jeunes s’identifiant comme transgenres. Il serait pertinent que ces thérapeutes soient un peu plus stratégiques quand iels parlent avec de jeunes patient·es dans le déni de leur homosexualité, ou à des enfants effrayé·es et trop jeunes pour comprendre les implications de leur différence.
Mais est-ce que les praticien·nes du GIDS échafaudaient d’ingénieux plans pour aider de jeunes gays et lesbiennes à accepter la réalité de leur orientation sexuelle ? La plupart du temps, iels les envoyer plutôt consulter un·e endocrinologue.
Position n°4 : ça arrive et c’est grave
Quelques professionnel·les de santé mentale ont compris le problème. Plus ou moins.
Charles Socarides
En 1969, Charles Socarides a observé que les transsexuels étaient « des travestis, des homosexuels, ou… se débattaient avec des désirs homosexuels ». En pleine époque de la fausse trichotomie, Socarides était clairement en avance sur son temps. Il considérait que, pour un homme, s’identifier en tant que femme « lui permettait de ressentir moins de… culpabilité par rapport à ses penchants homosexuels ».
Socarides était opposé à la médecine du genre. Il était aussi opposé à la sexualité homosexuelle. Il a consacré sa carrière au développement de méthodes de thérapie de conversion pour les gays, et n’a jamais reculé là-dessus, même quand le caractère inné de l’homosexualité a été démontré et après que son propre fils lui ait dévoilé son homosexualité.
Les hommes qui ont fait fermer la clinique John Hopkins
John Hopkins a ouvert sa clinique du genre en 1966. Certains des psychiatres de la clinique étaient opposés à la transition médicale dès le départ. Certains y étaient favorables, comme Jon Meyer. Mais, dès le milieu des années 70, Meyer était devenu plus sceptique quant à l’hypothèse que ces interventions étaient bénéfiques pour ses patient·es. Il entreprit de mener une étude à ce sujet. Alors que les « transexuel·les » rapportaient être satisfait·es après leurs chirurgies, leur vie était tout aussi désastreuse qu’avant. Le travail de Meyer a convaincu son supérieur, Paul McHugh, de fermer la clinique en 1979.
Ces psychiatres savaient qu’ils transitionnaient des personnes homosexuelles. En 2004, McHugh notait :
« Un des groupes [de patient·es transsexuel·les] était composé d’hommes homosexuels ayant des sentiments ambivalents par rapport à leur orientation sexuelle et souvent rongés par la culpabilité. La réassignation sexuelle était pour eux un moyen de résoudre leur conflit interne concernant leur homosexualité en leur permettant d’avoir des interactions sexuelles avec des hommes en tant que femmes. »
Cependant, l’étude est entachée par un biais envers les relations « inappropriées selon le genre ». Par exemple, un transsexuel qui épousait un homme normal était vu comme une réussite ; un transsexuel qui se mettait en couple avec un autre transsexuel perdait des points.
Leslie Lothstein
Leslie Lothstein travaillait en tant que psychiatre à l’université de Case Western, dans l’Ohio, quand il publia en 1983 un livre sur les femmes transsexuelles, Female-to-Male Transsexualism : Historical, Clinical and Theoretical Issues. Il soutenait que les praticien·nes devaient tenter de soigner leurs patient·es par la thérapie avant d’éventuellement les faire transitionner.
Dans son livre, Lothstein fait référence au lesbianisme de ses patientes. Par exemple, il note que leurs motivations incluent « la sauvegarde d’une relation, puisqu’elles craignent que leur amante les abandonne si elles ne deviennent pas plus physiquement masculines » et « une augmentation de leur libido afin de pouvoir rivaliser avec les hommes ».
Lothstein a quitté Case Western en 1986. D’ici à l’année 2002 (et sans doute plus tôt encore), il ne pratiquait plus dans le domaine de la médecine du genre.
Stephen Levine
Le psychiatre Stephen Levine a commencé à travailler à Case Western dans les années 70 (il a sans doute croisé la route de Lothstein). Il admet que la médecine du genre a des effets secondaires nocifs. Il s’inquiète de catégoriser « prématurément » des enfants comme « trans » car iels pourraient être gays en grandissant.
Levine ne s’oppose cependant pas à la transition des adultes. Il ne s’oppose même pas à celle des mineur·es. Interrogé à ce sujet, il explique pourquoi il pourrait éventuellement faire transitionner une jeune personne :
« Nous ne savons que faire et, en fin de compte, nous accédons à la demande du ou de la patient·e, motivée par un désir sincère d’essayer un traitement hormonal. »
Levine est, fondamentalement, un médecin du genre. Il croit en la réalité et l’importance de l’existence d’une identité de genre. Je l’inclus quand même dans mes mentions honorables car il a témoigné (contre rémunération) au sujet des enfants « trans » qui pourraient se révéler gays. Mais quand il s’agit d’adultes gays… qui pensez-vous qu’il a fait transitionner pendant toutes ces années ?
Clinique Tavistock
Les praticien·nes qui ont vidé leur sac auprès d’Hannah Barnes au sujet de l’homophobie ont compris le problème. Ou, tout du moins, iels tenaient le bon bout. Beaucoup d’entre elles et eux ont tiré la sonnette d’alarme ou sont parti·es car iels considéraient que la façon de faire du GIDS n’était pas éthique. Beaucoup d’entre elles et eux étaient opposé·es au modèle de médicalisation de masse pratiqué ; iels voulaient d’abord mener une thérapie par la parole avant de passer la main à des endocrinologues qui trafiqueraient le système endocrinien de leurs patient·es. Ce qui ne signifie pas qu’iels étaient opposé·es à la transition médicale en général.
Selon Hannah Barnes :
« Ces thérapeutes ne prenaient pas fermement parti contre les interventions médicales. Toutes et tous permettaient à des jeunes d’avoir recours à des bloqueurs de puberté. »
Position n°5 : ça arrive et c’est drôle
Selon Hannah Barnes (encore) :
« Il existait même une blague cynique partagée au sein de l’équipe du GIDS comme quoi il n’y aurait bientôt plus de personnes gays au vu du rythme des transitions effectuées par le service. »