Transidentité :

Le mythe de l’identité de genre

Transidentité :

Le mythe de l’identité de genre

Toutes les sociétés humaines, à notre connaissance, font la différence entre les personnes de sexe féminin et celles de sexe masculin. C’est un fait de la nature puisque nous sommes des animaux ayant une reproduction sexuée. Cette différence est constatée, pas imposée socialement. Ce qui, par contre, est imposé par les sociétés patriarcales, c’est une hiérarchie entre mâles (individus de sexe masculin) et femelles (individues de sexe féminin). Le féminisme a pour but de mettre fin à cette hiérarchie en déracinant le patriarcat, ce qui implique de transformer intégralement nos sociétés.

Certains mouvements féministes1 ont tenté de minimiser les différences entre les sexes – ou de prétendre qu’elles n’avaient aucune importance, voire qu’elles n’existaient pas. L’objectif était de contrer les arguments essentialistes cherchant à justifier et naturaliser la hiérarchie sociale en invoquant la biologie. Malheureusement, cette stratégie ne peut pas fonctionner. Ce n’est pas la différence qui crée la hiérarchie, mais la société. Tenter de nier une réalité incontestable, celle du dimorphisme sexuel de l’espèce humaine, est non seulement intellectuellement invalide, mais c’est en plus, stratégiquement, une impasse qui finit inévitablement par se retourner contre les femmes – et contre les féministes. Les femmes ne sont pas des hommes, notre lutte ne peut pas et ne doit pas l’ignorer.
I/Femme ou homme : question de sexe ou d’identité de genre ?
Lorsque nous parlons d’êtres humains, nous n’utilisons que très peu, en français, les termes mâles et femelles, qui servent à catégoriser la plupart des animaux, ainsi que certaines plantes. Pour désigner les adultes, nous employons les noms hommes et femmes. Pour les enfants, filles et garçons. La définition de ces mots dans les dictionnaires2 est parfaitement claire : un homme est un « être humain adulte de sexe masculin » et une femme un « être humain adulte du sexe féminin ». Jusqu’à récemment cependant, personne n’allait jamais chercher ces définitions, parce que ce sont des mots extrêmement communs dont nous connaissons toutes et tous le sens3.
Pour rappel, la femelle est l’individue produisant de gros gamètes immobiles (ovules) et, dans le cas de notre espèce, qui prend en charge la gestation, l’accouchement et l’allaitement. Le mâle produit de petits gamètes mobiles (spermatozoïdes), en plus grande quantité. Bien sûr, si pour une quelconque raison l’individu·e est infertile et ne produit pas de gamètes, il ou elle reste mâle ou femelle puisque son corps s’est développé pour produire l’un ou l’autre. On remarquera deux choses : chez l’être humain, la charge de la reproduction est clairement répartie de façon inégale. Ce qui amène à la remarque suivante : ces rôles dans la reproduction entraînent des différences corporelles importantes. On parle, dans ce cas, de dimorphisme sexuel.
Comme évoqué dans l’introduction, nier les différences entre les sexes dans notre société patriarcale ne peut que se retourner contre les femmes. On le constate d’autant plus facilement que la science et la médecine, qui reconnaissent évidemment le dimorphisme sexuel humain, ont tendance à négliger la physiologie spécifique des femmes dans leurs recherches pour ne prendre en compte que celle des hommes4. Les médicaments sont testés sur des mâles (rats, singes, entre autres animaux exploités, et humains), les équipements de sécurité sont calibrés pour des corps d’hommes, les symptômes des femmes sont moins étudiés (que l’on parle de crise cardiaque ou d’autisme), la recherche néglige souvent ce qui touche spécifiquement nos corps femelles (cycles menstruels, grossesses, allaitement, organes liés au plaisir sexuel…). Un exemple éloquant est celui des tests de sécurité des voitures5 : jusqu’à récemment, les mannequins imitaient le corps masculin, et, pour exécuter les simulations d’accident avec des passagères, on ajoutait seulement une paire de seins au mannequin de gabarit masculin. Résultat : encore aujourd’hui, les femmes subissent de façon disproportionnée des blessures graves pouvant conduire à la mort, dans les accidents de voiture réels – alors même qu’elles en causent moins !
Les femmes ne sont pas de petits hommes castrés avec des seins. Nos os sont différents, nos muscles, notre répartition des masses graisseuses, nos taux d’hormones, nos organes, la forme de notre tête ou de notre bassin ! La liste est longue, et les conséquences, graves. De plus, c’est une insulte envers les femmes, une négation de notre réalité physique. Irait-on dire aux hommes qu’ils sont des femmes de grande taille sans seins et avec un clitoris hypertrophié ? Aujourd’hui pourtant, certain·es affirment qu’un enfant, un adolescent ou un adulte de sexe masculin peut être une fille, une adolescente ou une femme, et vice versa. Les expressions « homme de sexe féminin » et « femme de sexe masculin » sont des oxymores. Si on veut écrire de la fiction ou de la poésie, pourquoi pas. Quand il s’agit de décrire la réalité, c’est non seulement faux, mais aussi totalement absurde.
De plus en plus de personnes semblent pourtant adhérer à cette idée qu’être une femme ou un homme n’aurait rien à voir avec la réalité matérielle de la sexuation des êtres humains. Ce ne serait pas une question de sexe mais une question d’« identité de genre ». Cette notion de l’identité de genre a réussi à s’imposer en quelques années, au point que citer la définition du dictionnaire, quand on définit ce qu’est une femme, passe désormais pour de la haine ou de la bêtise. Certes, pour démanteler les nombreuses idées reçues et contrer la désinformation portée par le mouvement queer ou transactiviste6 et par certaines personnes transsexuelles7 , il ne suffit pas de réaffirmer ce que sait pertinemment la majorité de la population, qu’être un homme ou une femme dépend de notre sexe. Il était cependant nécessaire de commencer par là.
II/Identité de genre, définitions
Les définitions que nous allons exposer ici ne sont pas les nôtres. En premier lieu, parce que nous ne reconnaissons pas le concept d’identité de genre comme valide – vous comprendrez pourquoi en lisant ce qui suit. Ensuite, parce que nous ne voulons pas que l’on nous accuse de simplifier ou de déformer les propos des défenseur·ses de cette notion. Nous citerons donc mot pour mot les définitions données, recueillies dans une sélection d’ouvrages représentatifs de la production contemporaine sur ce sujet8 . On notera que les huit livres en question (références disponibles en fin d’article, les numéros après les citations identifient l’ouvrage cité) ont été publiés ces cinq dernières années, couvrent les mêmes thématiques et sont mis en avant en bibliothèque – le sujet est donc loin d’être marginal aujourd’hui.
1. L’identité de genre est une construction sociale
Le terme « genre » a été utilisé par les féministes depuis les années 19709 pour désigner la féminité et la masculinité, les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes (l’exemple classique étant la femme au foyer qui prend soin de son mari et de ses enfants pendant que l’homme travaille en entreprise /à l’usine / etc.), et, de façon générale, toutes les choses qui sont associées, dans une société donnée, à un sexe ou l’autre (le rose, la passivité et la lune pour les filles, le bleu, la violence et le soleil pour les garçons…)10 . Pour ajouter à la complexité de la chose, en anglais, le mot « genre » peut être utilisé pour désigner le sexe d’une personne — ce qui peut causer des problèmes de traduction et entraîner des confusions. En français, la distinction entre sexe et genre est plus marquée, mais tend, dans le brouhaha philosophico-politique actuel, à se brouiller.
Certain·es transactivistes s’appuient sur cette notion féministe du genre pour prétendre que certains mâles, dits « femmes trans », sont des femmes, de même que certaines femelles seraient des « hommes trans ». Ces personnes, en général, argumentent que les hommes ayant effectué des traitements médicaux (prises d’hormones et chirurgies) pour tenter d’adopter certaines caractéristiques physiques spécifiques aux femmes deviennent, de ce fait, des femmes. Ils estiment que, puisqu’ils nous ressemblent (plus ou moins), puisqu’ils adoptent les codes esthétiques de la féminité et puisqu’ils se revendiquent comme femmes, ils seraient perçus et traités socialement comme des femmes. Et puisqu’être une femme serait, en partie au moins, une construction sociale – on remarquera dans plusieurs livres le détournement de la citation culte « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir11 – ces hommes deviendraient des femmes.
« Comme [Margaret] Mead, [Simone de] Beauvoir et [Judith] Butler nous l’ont expliqué, à la différence du sexe, le genre n’est pas anatomique mais social. Ce sont les membres de la société (vous et nous) qui le construisons et le font évoluer. »
Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC
« Le genre est civilisationnel, culturel et non biologique. […] Le genre et ses matérialisations comme données identitaires ne sont donc pas existantes par nature, mais forgées et accumulées par nos sociétés pour répondre à différents besoins de fonctionnement, et pour asseoir les jeux de privilèges et de domination. »
Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Cette première justification peut sembler assez convaincante au premier abord, notamment pour des féministes adhérant à l’idée d’une construction sociale de la catégorie femme. Nous sommes d’ailleurs nombreuses à avoir été satisfaites, pour un temps, par cette explication. Après tout, nous nous sentons évidemment solidaires avec toutes les personnes subissant des agressions sexistes. Cependant, il suffit d’y réfléchir un peu pour se rendre compte que c’est absurde.
Déjà, ce raisonnement ne s’appliquerait qu’aux personnes transsexuelles parvenant à se faire passer de façon convaincante pour des personnes de l’autre sexe. Malgré les interventions hormonales et chirugicales disponibles actuellement, c’est loin d’être toujours le cas. De plus, bien des personnes se revendiquant « transgenres » veulent être reconnues comme hommes ou femmes sans même chercher à prendre l’apparence d’un membre de l’autre sexe.
Une femme qu’on prend pour un garçon – comme ça a été le cas pour plusieurs d’entre nous puisque nous n’adhérons pas à des normes de genre sexistes – ne devient pas un garçon. Un homme hétéro qui subit une agression homophobe, puisque présumé gay, ne devient pas gay car il a été « socialement traité comme » un homme homosexuel. Pourquoi donc est-ce que les personnes transsexuelles seraient différentes ? Parce qu’elles subissent des interventions médicales ? Parce que la confusion est créée intentionnellement ? Parce qu’elles auraient un trouble mental12 ? Parce qu’elles revendiquent une identité qui n’est pas la leur ?
On ne peut pas devenir plus une femme ou plus un homme en changeant son corps. En fait, on ne peut pas devenir « plus » une femme ou un homme tout court, car le sexe n’est pas un spectre sur lequel nous pouvons nous déplacer. Une femme ayant subi une double mastectomie des suites d’un cancer du sein, ou une ablation de l’utérus, n’en devient pas moins une femme, car elle n’est pas moins femelle après ces opérations. Un homme castré n’est pas moins mâle, pas moins un homme.
Cette argumentation a au moins le mérite de s’appuyer sur des éléments concrets. Il y a une apparence de logique dans ce raisonnement, puisque certaines personnes transsexuelles sont effectivement perçues comme des membres de l’autre sexe. La justification suivante s’appuie aussi sur des arguments matériels et potentiellement mesurables. Vous verrez que c’est loin d’être toujours le cas.
2. Identité de genre : l’hypothèse des cerveaux
Un autre raisonnement s’appuie sur l’idée qu’il y aurait des cerveaux de femmes et des cerveaux d’hommes, et que certaines personnes auraient un cerveau d’homme dans un corps de femme et vice versa. L’hypothèse a même fait l’objet d’études scientifiques – peu concluantes pour le moment13 . Cette explication, assez populaire aux États-Unis, ne fait pas recette en France. Cela se constate dans les livres étudiés pour cet article : sur les huit, seuls trois évoquent cette hypothèse mais uniquement pour s’en distancier.

« Concernant le cerveau, il n’existe probablement rien de tel qu’un cerveau « masculin » et un cerveau « féminin » […]. Une compréhension du cerveau comme fonctionnant et se structurant sur un modèle de mosaïque, incluant des éléments dits « masculins » et « féminins », semble plus proche de la réalité. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de notre enfant sur le genreE

« De la science aux médias en passant par les conversations du quotidien, les débats qui opposent l’inné et l’acquis sont profondément ancrés dans notre culture et partent souvent du principe que l’une ou l’autre option est, dans un sens, plus « acceptable » que l’autre. […] Ces questions s’expliquent par le fait que, dans la culture anglo-américaine actuelle, les gens accordent souvent plus de légitimité aux choses quand elles trouvent leur « origine » dans notre cerveau ou notre ADN. Nous tenons à préciser ici qu’il importe peu que le genre d’une personne s’explique par des raisons biologiques, psychologiques ou sociales – ou une combinaison des trois. »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Filles et garçons ont-ils le même cerveau ? Oui, ils ont le même cerveau ! Du point de vue de l’anatomie, c’est-à-dire de la forme et de la structure, le cerveau d’un fœtus de fille est identique au cerveau d’un fœtus de garçon ! »

C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identiteG
Pas la peine donc de s’y attarder, si ce n’est pour préciser que nous n’adhérons pas à une vision dualiste de l’être humain. Le dualisme appliqué à l’individu divise la personne en deux, entre un esprit et un corps, deux entités décrétées distinctes et hiérarchisées. L’esprit contiendrait notre essence véritable, jugée supérieure, transcendante, tandis que le corps serait le lieu du trivial et du méprisable, un simple véhicule, une machine nous permettant d’intéragir avec le monde, mais rien de plus. L’esprit – ou la conscience, ou l’âme – est généralement perçu comme situé dans le cerveau (pourtant bien matériel et partie intégrante du corps), celui-ci déterminerait donc qui nous sommes vraiment.
Cette vision du monde, promouvant la primauté de l’esprit (associé aux choses intellectuelles, à la noblesse, à la rationnalité voire à l’âme immortelle) sur le corps (qui relèverait du vulgaire, un amas de chair périssable, imparfaite et défaillante) est très répandue14 .
Nous, féministes de Ronces & Racines, considérons que nous sommes nos corps, pleinement, entièrement. Si conscience il y a, elle fait partie de nous et n’est pas une chose détachée de notre matérialité. Que nous soyons nées avec un handicap, une orientation sexuelle qui n’est pas commune, un cerveau atypique ou des hormones hors normes, notre corps n’est pas une erreur et aucune de nous n’est moins femme qu’une autre.
3. Identité de genre auto-déterminée
Nous avons commencé par les deux définitons de l’identité de genre qui semblent les moins absurdes, mais qui sont aussi les moins fréquentes. L’affirmation la plus commune, notamment dans les milieux de gauche se revendiquant féministes, est que l’identité de genre d’une personne dépend de son « ressenti » — quoi que cela puisse bien vouloir dire. Ainsi, seule la personne elle-même serait en mesure de déterminer cette « identité », et les autres ne devraient, sous aucun prétexte, pouvoir la remettre en question.
Quel ressenti exactement permet de déterminer si nous sommes des hommes ou des femmes ? Un ressenti, par définition, est subjectif et dépend de chaque personne. D’après les transactivistes, le ressenti de chacun·e au sujet de sa propre identité de genre n’aurait rien à voir avec la masculinité, la féminité ou son sexe, puisqu’à leurs yeux une femme féminine peut se revendiquer homme ou non-binaire (ni une femme, ni un homme, ou parfois les deux) et qu’un homme masculin n’ayant en rien changé son apparence peut s’identifier comme une femme.
De plus, les hommes s’identifiant comme femmes auraient toujours été des femmes, même avant de s’identifier comme tels et sans la moindre once de féminité préalable à une éventuelle transition. L’identité de genre serait impossible à changer. Elle peut, par contre, être changeante, puisque certaines personnes s’identifient comme « genderfluid » ou revendiquent successivement diverses identités de genre – qui doivent toutes être considérées comme vraies et ne jamais faire l’objet de remises en question15 . Cette définition de l’identité de genre repose donc sur le principe suivant : « je suis ce que je prétends être ».

« L’identité de genre se définit généralement comme la façon dont nous nous percevons. »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Chaque personne a une identité de genre ; elle correspond à ce que profondément, on se ressent être, entre fille/femme, homme/garçon, quelque part « entre les deux » ou au-delà […]. Il s’agit donc d’un ressenti, et aussi d’une image mentale de soi. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de botre enfant sur le genreE

« Identité de genre : Expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun·e, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance. »

C’est quoi mon genre ?F

« Identité de genre : Conviction intime d’appartenir à un genre donné : homme, femme, transgenre ou tout autre terme identifiant (genderqueer, non-binaire ou agenre ou agender). Peut correspondre ou non au sexe attribué à la naissance. »

C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identitéG

« Identité de genre : Compréhension et expérience intimes que nous avons de notre genre, et la manière dont on le définit. »

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH
Comme vous pouvez le constater par vous-mêmes, ces cinq définitions ne parlent que de « ressenti », de « conviction », de « compréhension intime », sous une forme ou une autre. À ce stade, on pourrait tout aussi bien utiliser le terme croyance. Mais il n’y a pas que ces livres qui adhèrent à cette (absence de) définition ; c’est le cas de tous, sans exception. Certains sont juste un peu moins transparents que d’autres à ce sujet, car, il faut l’admettre, la pilule est un peu grosse à faire passer.
III/Stéréotypes sexistes et enfumage intellectuel
Il faudrait donc, selon cette dernière définition, croire sur parole et sans aucune remise en question la déclaration d’identité de genre d’un·e enfant de trois ans, d’une jeune personne souffrant de troubles psychiatriques sévères ou encore d’un pédocriminel condamné et en détention ? Il faudrait donc croire en une identité qui ne se base sur rien de matériel et peut se définir d’autant de façons qu’il y a de personnes revendiquant la même étiquette ?
Pour réussir à convaincre, l’argumentation se doit donc d’être un peu plus étayée. Néanmoins, fournir une définition précise et fonctionnelle excluerait forcément certains hommes s’identifiant comme femmes (ou tout autre configuration) puisqu’il y en aura toujours qui ne se reconnaîtront pas dans une définition basée sur des critères précis, alors même que le but de ces définitions circulaires16 est de n’invalider aucune identité auto-proclammée. Toutes les personnes définissant l’identité de genre comme « le genre auquel une personne s’identifie17 » a donc nécessairement recours à un enfumage intellectuel plus ou moins réussi. Quel que soit le discours adopté, la finalité est et doit être toujours la même : pouvoir affirmer sans ciller que « les femmes trans sont des femmes », « les hommes trans sont des hommes », « les personnes non-binaires sont non-binaires » et ainsi de suite.
1. Le recours à la notion féministe de genre
En évoquant la notion féministe du genre, vieille de plus de 50 ans, les autrices et auteurs de ces livres apportent une caution intellectuelle et égalitaire au concept d’identité de genre. Une certaine insistance sur la complexité de cette notion permet aussi de masquer le néant matériel et conceptuel de leur définition.

« Comme [Margaret] Mead, [Simone de] Beauvoir et [Judith] Butler nous l’ont expliqué, à la différence du sexe, le genre n’est pas anatomique mais social. Ce sont les membres de la société (vous et nous) qui le construisons et le font évoluer. […] Le genre se négocie aussi au niveau individuel. […] Plus que social, le genre est aussi psychologique. »

Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC

« Le genre est une notion complexe, qui comprend plusieurs dimensions, dont l’identité de genre, les rôles et les expressions de genre. Le genre est aussi une construction sociale et englobe les attentes socialement construites qui désignent des rôles, des identités et des comportements particuliers comme étant appropriés soit pour les femmes, soit pour les hommes..»

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH

« Pour résumer, le genre est hétérogène plutôt que binaire – à tous les niveaux : biologique, psychologique et social. […] Nous aimons utiliser le terme « biopsychosocial » pour illustrer le fait que, chez tout individu, l’expérience du genre associe de manière complexe des aspects biologiques, psychologiques et sociaux. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de botre enfant sur le genreE
Comme vous pouvez le constater au travers de ces brefs extraits, le genre est présenté comme une chose complexe, ancrée dans nos sociétés, et qui peut s’exemplifier de façon concrète (vêtements, rôles sociaux, traits de caractères, etc.). Néanmoins, on retombe toujours sur le « ressenti intérieur » comme seul critère valable pour déterminer l’identité de genre d’une personne. Vous pouvez le constater grâce aux deux définitions déjà citées (2 et 5) et celles ci-dessous, portant sur les personnes transgenres et non l’identité de genre.

« Transgenre : personne qui ne se reconnaît pas dans le genre associé à son sexe biologique. On peut avoir un pénis tout en ayant le sentiment profond d’être une femme (femme trans). Ou avoir un vagin et se sentir homme (homme trans). »

Je suis qui ? Je suis quoi ?A

« Transgenre ou « trans » : personne dont l’identité de genre – son expérience intime et personnelle du genre – ne coïncide pas avec le sexe biologique qui lui a été assigné à la naissance. »

Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC
Un seul livre a le mérite d’être plus subtil et de ne jamais explicitement formuler une définition intégrant cette notion de ressenti, Une histoire de genres. La définition qui y est donnée de l’identité de genre, nous l’avons déjà citée :

« Identité de genre : L’identité de genre (on peut aussi juste parler “du genre” d’une personne) est le facteur sociologique d’appartenance à un genre ou plus, qui forme les ensembles humains composant une société. L’identité de genre est majoritairement fondée sur des données biologiques à la naissance, considérées comme inhérentes et objectives. S’ajoutent des facteurs liés à la culture et transmis par l’éducation qui font de ce genre perçu comme biologique une vérité sociale qui conditionne l’intégration d’un individu. »

Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Néanmoins, l’auteur nie catégoriquement que c’est la société qui classifie les personnes, ce que laisse pourtant entendre cette définition. Il affirme que « les transitions sociales et médicales amènent des changements, mais qui relèvent de la perception physique du genre, d’une lecture sociale et non de l’identité fondamentale ». Il y a donc bien une identité qui n’est pas le fait d’une catégorisation sociale par une culture (la « lecture sociale ») mais provient directement de la perception de la personne elle-même de ce qu’elle est. D’ailleurs, le masque tombe un peu plus loin :

« En définitive, une personne trans se sent effectivement d’un genre donné, parce qu’elle est dudit genre, et c’est cela qu’il vaut mieux verbaliser : un homme trans est un homme. »

Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Autrement dit, nous sommes ce que nous disons être, et nous le disons parce que c’est ce que nous sommes. On peut difficilement faire raisonnement plus circulaire que ça.
2. Les inévitables stéréotypes
Toute cette théorisation, c’est bien beau, mais on passe à côté de quelque chose de fondamental. En réalité, pourquoi une personne ressentirait appartenir à la catégorie de l’autre sexe ou, tout du moins, ne pas appartenir à la catégorie de son propre sexe ? La réponse est simple, elle était là tout du long : le genre, dans son sens féministe initial. Il y a un certain nombre d’attentes et de représentations sociales associées au fait d’être un homme ou une femme. Une personne qui ne correspondrait pas à ces attentes risque fortement de se sentir en décalage par rapport aux filles et garçons, aux femmes et aux hommes qui l’entourent et qui semblent s’y conformer.
Un petit garçon qui veut porter des robes, faire des jeux de rôles avec les filles et imiter sa maman à la maison, sera automatiquement perçu comme féminin. De là à se dire qu’il n’est pas un garçon, il n’y a qu’un pas que certain·es franchissent. Bien sûr, cela relève du sexisme : il y aurait de « vraies femmes », celles d’entre nous qui sont féminines comme il faut, et de « vrais hommes », bien masculins, voire même virils. Cependant, pour les autrices et auteurs cité·es, impossible d’admettre que « l’identité de genre » puisse être le résultat d’une vision profondément sexiste et normative de la société, puisqu’iels se revendiquent féministes. Mais quand on lit les récits personnels, plus concrets, des personnes ayant transitionné, c’est malheureusement bien ce que l’on constate.

« Petit, j’ai toujours senti que je n’étais pas comme les autres filles de mon âge […]. Je traînais avec des garçons, je jouais au foot avec eux, je portais des joggings, des pulls larges et des baskets. En grandissant, j’ai essayé d’être plus féminin mais vers 15 ans j’ai compris que ce n’était pas possible, alors j’ai recommencé à m’habiller au rayon hommes et je me suis coupé court les cheveux. Un an après, j’ai compris que j’étais un homme transgenre. »

Je suis qui ? Je suis quoi ?A

« Sur le plan du genre, je suis une personne non-binaire – ou genderqueer – âgée d’une petite quarantaine d’année. Pour moi, cela signifie que je me situe quelque part au milieu du spectre entre masculin et féminin, et que certains aspects de ma personnalité sont plus « masculins », « féminins » ou « androgynes ». »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Quand j’étais enfant, je ne me posais pas la question de si je me sentais fille ou garçon. Puis au collège, j’ai eu l’impression que tout à coup, on me considérait complètement autrement18 . J’ai compris quelle place19 j’avais aux yeux des autres, et ça ne m’allait pas. Toujours en 4e, je me suis coupé les cheveux, et dans le métro on m’a dit « monsieur » et « jeune homme ». Et là, je me suis senti mieux, j’ai eu le sentiment d’être bien. »

C’est quoi mon genre ?F

« Au théâtre, je pouvais échapper à mon sexe – et tout ce qu’il impliquait de bonne conduite hétérosexuelle – pour devenir Van Helsing, Aladdin ou le narrateur non identifié. Sur scène, peu importait si j’échouais à performer la féminité blanche, car ma voix grave, ma présence et mes manières masculines y étaient des atouts. Sur scène, je pouvais tomber amoureux·se de Jasmine et le public m’applaudissait. »

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH
Ces témoignages sont issus des seuls huits livres étudiés. On en trouve des milliers d’autres sur toutes les plateformes (articles, podcasts, chaînes youtubes, etc.) qui donnent la parole aux personnes trans. Nous vous invitons à les lire20.
Après toutes ces belles paroles, ces définitions inaptes et ces témoignages précieux, nous voulons achever cet article par deux dernières citations illustrant parfaitement l’absurdité du genre selon le transactivisme : « il y a autant de genres que d’individus » (3) et « notre genre s’apparente à un flocon de neige : aucun n’est identique à un autre » (2). Des définitions bien plus utiles que celles basées sur le sexe des individu·es, surtout quand il s’agit, pour nous féministes, de dénoncer la domination d’un sexe sur l’autre, non ?
Ronces & Racines.
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1 En France, c’est le cas des féministes marxistes et matérialistes, puis des féministes queers à la suite de Monique Wittig. Le féminisme grand public actuel tend aussi à ignorer les différences physiologique entre femmes et hommes, puisque les différences observables sont quasi systématiquement attribuées exclusivement à une socialisation genrée.


2 Le Larousse, le Robert, le Trésor de la langue française...


3 Une confusion artificielle quant à la sexuation des êtres humains a été instaurée ces dernières années, à travers des discours instrumentalisant les personnes présentant un trouble du développement sexuel – plus communément mais inexactement nommées personnes intersexes – afin de prétendre qu’il n’existerait pas deux sexes mais cinq, ou que le sexe serait un spectre, etc. Il serait trop long d’aborder cela dans cet article mais nous y reviendrons ultérieurement.


4 Caroline Criado-Perez, Femmes invisibles, First ou Pocket pour l’édition française.


5 Podcast Deadly injustice: Why cars aren’t safe for women, Caroline Criado-Perez, Tortoise.


6 Transactivisme : mouvement militant prétendant parler au nom des personnes « transgenres » et défendre leurs droits. Il est important de ne pas parler d’activistes ou militants trans, car, d’une part, beaucoup de transactivistes ne se revendiquent pas trans, et que d’autre part, bien des personnes transsexuelles n’adhèrent pas à ce mouvement censé parler en leur nom.


7 Par personnes transsexuelles, nous désignons les personnes ayant eu recours à des interventions hormonales et/ou chirurgicales pour passer visuellement pour des membres de l’autre sexe.


8 Il s’agit de livres publiés par des maisons d’édition françaises, diffusés, et achetés par des bibliothèques publiques. Notre échantillon se fonde plus précisément sur les ouvrages acquis par les bibliothèques publiques d’une ville française de taille moyenne-grande, Rouen. Nous avons fait le choix des bibliothèques publiques car cela signifie que ces ouvrages et leur contenu ont été considérés comme valables, légitimes et utiles pour l’éducation du grand public par différents acteurs du public, en plus du privé. D’autres définitions sont trouvables en ligne, bien sûr, mais ne bénéficient pas d’une telle caution. Nous avons donc choisi de ne pas les mettre en avant, d’autant qu’elles sont similaires.
Chaque bibliothèque ou réseau de bibliothèques a une politique d’achat qui lui est propre, cependant la ville de Rouen n’étant ni particulièrement queer ni spécialement réactionnaire, elle peut être jugée représentative de ce qu’on peut trouver ailleurs.


9 La première à l’avoir fait est Ann Oakley dans son livre Sex, Gender and Society publié en 1972.


10 Voir une définition plus complète dans notre glossaire ou sur notre compte Instagram.


11 La citation complète est la suivante : « On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c'est l'ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu'on qualifie de féminin. Seule la médiation d'autrui peut constituer un individu comme un Autre. En tant qu'il existe pour soi, l'enfant ne saurait se saisir comme sexuellement différencié. » De Beauvoir parle bien ici du genre qui conditionne dans une société donnée « la femelle humaine » ; autrement dit, c’est le sens apposé sur la différentiation sexuelle qui fait de la femme un « Autre » et non pas une supposée infériorité innée due à notre biologie. Elle n’argumente évidemment pas ici qu’un « mâle humain » peut être une femme.
Voir cet article de Nicolas Casaux pour plus de détails.


12 Certaines personnes transsexuelles admettent ne pas appartenir à l’autre sexe/genre mais demandent à être considérées comme telles une fois une transition médicale effectuée, car cela leur permettrait de ne plus souffrir (ou de moins souffrir) d’un trouble mental revendiqué, connu successivement sous les noms de « transsexualisme », « trouble de l’identité de genre », « dysphorie de genre » et « incongruité de genre ».


13 Pour celles et ceux d’entre vous qui peuvent lire en anglais, nous vous conseillons cet article sur le sujet.


14 Notez qu’elle se superpose commodément à la distinction sociale entre les hommes (eux aussi perçus comme rationnels, intelligents etc.) et les femmes (dépeintes en créatures irrationnelles, charnelles et bassement préoccupées par les choses matérielles).


15 Sachant que d’après la bible des identités trans en ligne, le Wikitrans, il existe une myriade d’identités de genre plus farfelues les unes que les autres, allant du suicidefluid au errgenderfaun.


16 C’est-à-dire une définition auto-référentielle, qui utilise le mot devant être défini au sein même de la définition. Exemple : est une porte tout objet occupant la fonction de porte.


17 Et ce, alors même que la plupart d’entre nous reconnaissent que nous sommes des femmes ou des hommes en fonction de notre sexe, nous ne nous « identifions » donc à aucun « genre ». Quel mépris, d’ailleurs, de laisser entendre que toutes les personnes non trans s’identifieraient entièrement à un genre réducteur basé en grande partie sur des stéréotypes sexistes.


18 Le collège marque l’entrée dans la puberté pour la plupart des filles, passage difficile pour la majorité d’entre nous puisque les changements corporels sont accompagnés par une hypersexualisation de nos corps, du harcèlement de la part des garçons et des hommes, voire des agressions.


19 Pas de précision sur ce que signifie le mot « place » ici mais, vu le contexte, c’est certainement les attentes sociales, dans son cas les injonctions à la féminité, qui sont désignés ainsi.


20 Vous pouvez notamment retrouver ici les portraits et propos de plusieurs personnalités publiques transsexuelles ou se revendiquant transgenres.




Bibliographie

A Sophie Nanteuil, Jean-Michel Billioud, Terkel Risbjerg, Je suis qui ? Je suis quoi ?, Casterman, 2019.


B Alex Iantaffi, Meg-John Barker, Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binaires, Améthyste éditions 2021.


C Aline Laurent-Mayard, Marie Zafimehy, Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·es, Buchet/Chastel, 2021.


D Lexie, Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentités, Marabout, 2021.


E Dr Anne Bargiacchi, C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de votre enfant sur le genre, Marabout, 2022.


F Anne-Lise Boutin, Hortense Lasbleis, C’est quoi mon genre ?, Actes Sud jeunesse, 2023.


G Odile Amblard, Serge Hefez, C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identité, Bayard jeunesse, 2023.


H Rowan Ellis, Jacky Sheridan, Queer et fières – un guide pour explorer son identité, Gallimard jeunesse, 2023.

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