Pour les femmes palestiniennes

0 commentaire

Les femmes subissent la colonisation d’une manière différente des hommes. Tout comme eux, leur temps et leur énergie sont exploités au profit du colon ; mais elles portent une charge supplémentaire, celle de l’exploitation de leur propre corps. Il peut s’agir de tirer profit de leur fertilité, en les considérant comme des mères porteuses ou de simples reproductrices, ou au contraire de leur voler leur possibilité d’enfanter en les contraignant à avorter ou en les stérilisant de force, comme l’État français le fit à la Réunion au début des années 1970. Il peut s’agir d’une objectification de leur réalité matérielle, dans un souci esthétique orientaliste, niant leur humanité même en les rabaissant au rang de choses (présentation des femmes uniquement en tant que corps, monstration de leurs particularités jugées « exotiques », comme lors des expositions coloniales en Europe). Enfin et surtout, il s’agit toujours d’une exploitation sexuelle des femmes colonisées par les hommes colons, qui vient bien souvent s’ajouter aux viols de guerre déjà commis dans le cadre des conquêtes territoriales. Cela ne s’arrête pas avec la fin de la colonisation, puisque les dynamiques oppressives fondées sur le sexe sont perpétuées longtemps après la libération des pays colonisés. Ainsi en est-il du tourisme sexuel, effectué très majoritairement par des hommes occidentaux se rendant dans des pays anciennement colonisés, ou de la gestation pour autrui.

La colonisation perpétrée par Israël en Palestine n’est pas en reste : c’est donc de la situation des femmes palestiniennes que nous souhaitons parler aujourd’hui. Précisons peut-être que la colonisation israélienne est sordide à tous points de vue, et s’impose autant aux femmes qu’aux enfants et aux hommes. Nous apportons notre soutien, notre admiration et notre reconnaissance à l’ensemble de la population palestinienne, colonisée par Israël depuis soixante-quinze ans, et dont la nouvelle année commence dans le sang versé à cause du même État génocidaire. Néanmoins, en tant que femmes, la compassion que nous ressentons envers nos consœurs palestiniennes est plus profonde encore, nous compatissons avec elles en tant qu’appartenant à une même classe sociale, la classe des femmes, dont nous recherchons la libération totale.

Où sont les voix féministes qui s’élèvent pour la Palestine ?

D’abord révoltées contre les rumeurs de viols et tortures supposément1 commis contre des femmes israéliennes au cours de l’offensive du Hamas, nombre de féministes occidentales2 se sont empressées de se positionner dans la guerre coloniale actuelle en tant que « défenseuses des femmes ». Des femmes des deux « camps », et des femmes uniquement. Pas un mot pour les hommes et les enfants gazaouis, pas un mot pour la souffrance particulière des femmes palestiniennes, colonisées depuis des décennies et maintenant massacrées. Par le traitement biaisé de l’information (ici, féministe) leur sort était rendu comparable à celui de femmes colons, mortes dans une attaque militaire, dont une partie a été assassinée par l’armée israélienne elle-même3. Et lorsque les mensonges médiatiques ont été dédits, les propagatrices des mensonges se sont empressées de se taire. On n’en attend pas moins des grands médias, qui traitent le sujet de l’oppression palestinienne de façon médiocre, raciste et indécente depuis des décennies. Mais des féministes ? Ne peut-on pas attendre de femmes qui se battent supposément pour la justice un discours sérieux, juste, intègre ?
Une question d’importance plane au-dessus de cette constatation : tant qu’il ne s’agissait pas de dénoncer de supposés actes barbares d’hommes arabes, une grande partie des féministes occidentales parlait bien peu de la Palestine et d’Israël. Or, si notre solidarité de classe dépasse réellement les frontières, si nous souhaitons la libération de toutes les femmes, si nous nous battons réellement pour la justice et contre la destruction du monde par les hommes, il est essentiel que nous évoquions le sort des femmes colonisées.

“In Solidarity With Palestine”, Burhan Karkoutly, 1978

Une question d’importance plane au-dessus de cette constatation : tant qu’il ne s’agissait pas de dénoncer de supposés actes barbares d’hommes arabes, une grande partie des féministes occidentales parlait bien peu de la Palestine et d’Israël. Or, si notre solidarité de classe dépasse réellement les frontières, si nous souhaitons la libération de toutes les femmes, si nous nous battons réellement pour la justice et contre la destruction du monde par les hommes, il est essentiel que nous évoquions le sort des femmes colonisées.
Affiche représentant des femmes, des enfants et des soldats en soutien à la Palestine.

“In Solidarity With Palestine”, Burhan Karkoutly, 1978

La résistance des femmes palestiniennes

Tout comme leurs compatriotes masculins, les femmes palestiniennes ont été dominées au cours des siècles par différentes puissances étrangères. Les Ottomans, les Britanniques, puis les Israéliens ont construit des États dans lesquels, aujourd’hui encore, elles ne sont pas libres. En réponse, les Palestiniennes ont pris une part active à la résistance face à l’oppresseur, la lutte pour leurs droits en tant que femmes étant profondément liée à la lutte de libération palestinienne – lutte nationaliste qui, parfois, prend le pas sur la lutte féministe, face à la nécessité fondamentale de lutte pour la survie d’un peuple.
Dès le XIXe siècle, des Palestiniennes manifestent aux côtés des hommes contre les premières colonies juives, qui déjà s’imposent au détriment des populations locales. En 1917, elles protestent contre la déclaration Balfour, qui officialise le soutien anglais à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine, et appellent à ce que cesse l’immigration sioniste. Au cours des années 1920, elles se réunissent dans des associations qu’on pourrait, anachroniquement, qualifier de féministes. Les femmes, musulmanes et chrétiennes, impliquées dans ces mouvements sont généralement privilégiées : habitant les villes, elles ont accès à l’éducation et à des emplois salariés. Elles s’opposent au projet sioniste et rejoignent la lutte nationaliste qui se confronte à la domination anglaise4. Leur mode d’action est d’abord éducatif et caritatif : elles écrivent et informent au sujet des luttes des femmes, du combat national palestinien, de la discrimination raciste dans l’administration du mandat britannique, de la condition paysanne, et des prisonniers politiques. Puis leur combat se radicalise, certaines Palestiniennes acquièrent des armes et nouent des liens avec leurs sœurs des pays voisins de culture arabe (Égypte, Liban, Irak, Syrie).
En 1948, les sionistes imposent la création de l’État d’Israël, forçant les Palestinien·nes à l’exode ou à la concentration sur les morceaux de leur territoire que les colons avaient bien voulu leur laisser. Après cet épisode dramatique, la Nakba, la société palestinienne est bouleversée, la place sociale des femmes est reconfigurée. Chacun·e craint pour sa propre survie. Le mouvement des femmes s’emploie, dans les décennies suivantes, à soutenir les familles de personnes déplacées, à créer des orphelinats et des hôpitaux. Les femmes palestiniennes en exil s’investissent dans des partis politiques clandestins. En 1964, après la création de l’Organisation de Libération Palestinienne, une section consacrée à la lutte des femmes est établie. Mais, comme ailleurs, les femmes impliquées dans de grandes structures politiques restent bien souvent cantonnées à des secteurs considérés « féminins », comme le soin ou les services sociaux. Sur les zones de combat, elles jouent le rôle d’infirmières ou de cuisinières.
Puis vient l’épisode de 1967 et la guerre de Six Jours, après laquelle Israël contrôle Gaza et la Cisjordanie. Désormais, presque tous les aspects de la vie des Palestinien·nes sont contrôlés par le colonisateur, et les femmes subissent une pluie d’oppressions multiples, à la croisée des inégalités de sexe, de race et de classe sociale. En effet, à l’instar d’autres mouvements de libérations des femmes dans le monde, les associations des Palestiniennes restent encore constituées principalement de femmes de classes moyenne et supérieure. Elles n’ont souvent pas de contact avec les femmes des classes inférieures, qui vivent dans des régions déshéritées ou qui ont été regroupées dans des camps inaccessibles. Le destin de ces femmes-là est particulièrement tragique, et mérite d’être étudié. Soixante-quinze années se sont écoulées depuis la Nakba, des vies entières ont été passées dans les camps, les femmes y ont donné naissance à des générations successives d’apatrides et de déraciné·es.
La question de la classe est abordée dans les années 1970. Une nouvelle organisation est créée, le Comité pour le Travail des Femmes. Il s’intéresse à la condition de toutes les femmes, y compris les résidentes des campagnes et des camps de réfugié·es, et met en place des programmes d’éducation et de garde des enfants, afin que les mères puissent aller travailler5. Le Comité se divise du fait de désaccords politiques, mais les sections qui en sont issues continuent de se battre. Elles rejoignent la résistance lors de la Première Intifada (1987 – 1993), lorsqu’après vingt ans de contrôle israélien, les populations des territoires occupés se soulèvent contre les colons. Sorties des geôles dans lesquelles elles avaient été enfermées dans les années 1970, les Palestiniennes résistantes créent ou rejoignent des associations féministes, enrichies par leur expérience carcérale. Les femmes se battent alors autant pour leur peuple que pour leur classe de sexe, bien que cela leur soit souvent rendu difficile par les organisations principales de libération nationale,Affiche palestinienne représentant une femme en l'honneur du 8 mars, journée internationale des droits des femmes. généralement conservatrices sur la question de l’égalité des sexes. Mais, à partir de la Seconde Intifada (2000 – 2005), les femmes sont reléguées à l’arrière-garde, les groupes armés palestiniens les empêchant de s’impliquer réellement dans la lutte de résistance. Ainsi, les Palestiniennes subissent, outre l’occupation, le patriarcat dans deux de ses variantes : celle de l’idéologie israélienne et celle de la structure palestinienne traditionnelle.

La misogynie du colon

Avant de rentrer plus en détail dans l’étude de la violence coloniale imposée aux femmes palestiniennes, il peut être légitime de s’interroger sur la forme que prend le patriarcat au sein même de la société israélienne. Eh oui, malgré ce que le pinkwashing gouvernemental cherche à faire croire6, l’État d’Israël est bien sexiste et homophobe, y compris sur « son propre » territoire7 ! Mais évoquer la domination de sexe imposée en Israël, ou même déjà présente dans l’idéologie sioniste, cela nécessiterait tout un autre article. Nous n’oublions certes pas que les femmes israéliennes subissent le patriarcat, mais estimons que pour autant, cela n’excuse pas leur position de femmes colons. Idéalement, nous aspirerions à une convergence entre les luttes antisexistes et émancipatrices israéliennes et les luttes anticoloniales et antiracistes des Palestinien·nes. Pour l’heure, notre priorité va à la réflexion sur le sort des femmes colonisées.
Tout d’abord, le colon limite fortement la mobilité de l’occupé·e, en imposant de nombreux points de contrôle8. Ceux-ci constituent une nuisance pour tout le monde, puisqu’ils restreignent l’accès à l’emploi, à l’éducation et à la socialisation, ce qui accentue la précarité des femmes palestiniennes. Ces contrôles participent aussi à un énorme problème de santé publique : durant parfois des heures, les contrôles empêchent certain·es patient·es d’arriver à temps à l’hôpital pour recevoir des soins9, ce qui cause de graves complications et parfois même la mort. Ils sont une source de stress intense qui conduit à des accouchements précoces ou sur-médicalisés pour les femmes enceintes, voire à des accouchements sur place, au checkpoint ou sur la route, dans des conditions déplorables qui causent parfois la mort du nourisson10. De manière plus générale, toute la colonisation cause des problèmes de santé, de stress et d’anxiété mal soignés à cause du manque de structures médicales dans les territoires occupés11. Le cancer du sein, qui dans les pays occidentaux est l’un des plus guérissables, emporte de très nombreuses femmes palestiniennes faute de soins adaptés12.
La colonisation, c’est aussi et surtout la destruction. Destruction des maisons, des jardins, des vergers. Les milliers d’habitations ravagées par Israël dans les territoires qu’il occupe causent évidemment des troubles immenses – et, une fois de plus, les femmes s’en trouvent les premières victimes. Privées d’un toit, d’un lieu sûr, elles se retrouvent à la rue ou dans des camps, où elles craignent pour leur sécurité et celle de leurs enfants. Par ricochet, elles se retrouvent aussi victimes de l’agressivité masculine exacerbée par ces tensions énormes, et supportent une charge mentale et un rôle de care d’autant plus lourds. Bien sûr, la destruction de l’environnement familier, des arbres, des paysages, cause aussi une tristesse immense chez les habitant·es chassé·es de chez eux13.
Les femmes palestiniennes sont en outre victimes des soldats, des colons, et parfois des « civils »14 israéliens. De nombreux cas d’agressions sexuelles de femmes et de jeunes filles, aux postes-frontières ou dans les prisons israéliennes, sont rapportés, ainsi que des menaces psychologiques du même ordre15. Bien que les Palestiniennes soient moins souvent incarcérées que les Palestiniens, plusieurs milliers d’entre elles ont connu les prisons coloniales depuis le début de l’occupation, et ont subi des violences et tortures spécifiques du fait de leur sexe16. L’arrestation des femmes a aussi beaucoup servi de moyen de pression sur les familles : Israël les arrêtait et les menaçait de sévices ou de diffusion de photos à caractère sexuel (généralement mises en scènes) pour leur extorquer des renseignements sur les hommes de leurs familles.
Et puis le sort des femmes palestiniennes dans les geôles israéliennes est dramatique. Comme les hommes, elles subissent des violences physiques et verbales, mais aussi sexuelles, et souffrent fortement de la négligence médicale, surtout en ce qui concerne les problèmes liés aux règles ou à la ménopause. Milena Hansari, en charge de la plaidoirie pour l’Organisation de défense des droits des prisonniers Addameer, raconte ainsi que lors des interrogatoires, les femmes qui ont leurs règles n’ont pas droit à des serviettes hygiéniques ou même à utiliser les toilettes ; les fouilles sont réalisées à nu, et leurs parties intimes sont fouillées, parfois sans leur consentement. Une militante pour les droits humains enfermée pendant plusieurs mois dans une prison du nord d’Israël évoque la promiscuité avec les hommes dans la cellule, le sol toujours mouillé, les puces omniprésentes, la nourriture immangeable. Transférée dans une autre prison, elle rencontre une femme qui saignait tellement qu’elle a dû subir une hystérectomie ; elle relate encore la tragédie d’Israa Jaabis, une co-prisonnière défigurée par une explosion de gaz, à laquelle on a refusé cinq opérations chirurgicales vitales. Ainsi, ayant perdu huit doigts et sa mobilité, elle ne pouvait faire sa toilette intime elle-même ou changer ses serviettes de règles – et, pour ajouter l’indécence à l’horreur, les gardiennes de cellule la méprisaient ouvertement et l’appelaient « la moche »17. Imaginez-vous l’humiliation de vous faire insulter après un grave accident, ou de devoir quémander à quelqu’une d’autre de changer votre serviette de règles usagée pour vous, en prison ?
Enfin, la colonisation permet une déclinaison pernicieuse du patriarcat : la destruction constante des structures sociales et politiques palestiniennes empêche la société de s’organiser pour lutter efficacement pour les droits des femmes. Elle rend possible l’apparition de groupes traditionnels très conservateurs qui imposent localement leur pouvoir, contraignant les femmes à se soumettre aux hommes de façon parfois dramatique. Israël n’est pas intrinsèquement responsable de l’existence de ces idéologies patriarcales régressistes, mais il leur permet de se répandre et de se consolider.

Le patriarcat structure aussi le peuple colonisé

Comme souvent en tant de guerre, lorsque la virilité du patriarche, qui se traduit entre autres par sa souveraineté sur sa propre vie, est remise en cause par l’agresseur, cela crée des tensions qui sont soulagées par une rigidification du cadre familial traditionnel. Pour être sûr que l’homme reste bien le mâle dominant, il contraint davantage les femmes de son entourage et les relègue à une place « féminine » archaïque. Il supporte alors d’autant moins que ces mêmes femmes doivent aller travailler tandis qu’il reste à la maison, phénomène grandissant du fait d’une mobilité encore plus contrainte pour les hommes palestiniens – et cela se traduit bien souvent par des violences conjugales (d’après un rapport d’Amnesty International datant de 2005, 60% des femmes de Gaza ont subi des violences physiques et/ou verbales de la part d’hommes de leur famille)18.
Dans les territoires occupés dirigés par l’Autorité palestinienne, les femmes ne disposent pas des mêmes droits que les hommes, tant en ce qui concerne le mariage ou le divorce que les emplois et les conditions de travail. En ce qui concerne la vie publique, les femmes sont largement sous-représentées dans les instances politiques. Elles subissent des lois ridicules : elles sont par exemples obligées de porter le voile dans les bâtiments gouvernementaux, et n’ont pas le droit de fumer la chicha. Mais, surtout, le fait qu’elles soient fondamentalement considérées comme inférieures aux hommes rend possible une terrible violence à leur égard. Ainsi, jusqu’à récemment, en Palestine un violeur pouvait échapper à toute condamnation judiciaire s’il épousait sa victime19 : c’est dire le peu de considération pour les femmes en tant qu’individues, le mépris de leur consentement et de leur souveraineté sur leur corps, la négation de leur agentivité, voire de leur humanité. Le refus de leur reconnaître le droit à l’avortement découle de ces mêmes principes, de même que les mariages forcés, parfois pour des filles mineures, parfois avec un parent du mari tué par Israël, ainsi que la polygamie.
Comme partout dans le monde, les femmes palestiniennes souffrent de violences domestiques, des viols et des agressions sexuelles très souvent incestueuses, et très souvent impunies. Ces agressions ne sont pas prises au sérieux par le gouvernement, par manque de volonté ou de moyens (n’oublions pas qu’Israël empêche le fonctionnement normal des prisons et des postes de police). De ce fait, bien souvent, ces crimes et délits ne sont pas rapportés par la victime, qui craint pour sa sécurité et pour son intégration familiale ou sociale20. Cette même violence est dirigée contre les personnes homosexuelles, qui ne peuvent vivre leurs amours et qui sont battues et emprisonnées du fait de leur orientation sexuelle21.
Enfin, le sommet de la violence patriarcale est constitué par les féminicides des femmes palestiniennes , qui prennent ici un aspect moralisateur lorsqu’ils sont commis en tant que crimes d’honneur. Là encore, ils restent souvent impunis. Il arrive que la famille préfère enterrer secrètement une femme morte sous les coups de son conjoint, sans déclarer le décès aux autorités ; voire que les parents tuent eux-mêmes leur fille, violée par un ou plusieurs membre(s) masculin(s) de la famille, ou accusée d’une attitude jugée « dégradante », pour « préserver l’honneur familial ».23.

Aujourd’hui, des conditions de survie dramatiques

Depuis le 7 octobre 2023, en réponse à l’attaque du Hamas contre Israël, l’État colon mène une guerre génocidaire contre les Palestinien·nes de Gaza24, tandis qu’en Cisjordanie et à Jérusalem-Est les exactions coloniales s’intensifient. Là encore, les femmes souffrent particulièrement. Comment vivre une grossesse lorsqu’on est forcée au déplacement ? Lorsqu’on n’a plus de chez-soi, de refuge, de confort basique ? Comment accoucher lorsque l’hôpital a été bombardé ? Comment maintenir son hygiène quand les produits pour les règles ne sont plus disponibles, quand la seule eau accessible est celle des égouts ? Comment accéder à une contraception, comment avorter ? Comment allaiter son nourrisson lorsque l’on souffre soi-même de la faim, et que notre corps ne produit pas le lait nécessaire ?
Les témoignages de médecins qui opèrent des césariennes sans anesthésie abondent aujourd’hui dans les médias25. Pouvons-nous nous imaginer l’horreur que cela représente ? Pouvons-nous comprendre la détresse des femmes forcées de quitter leur maison bombardée, se retrouvant à la merci de n’importe quel homme en colère, de n’importe quel soldat israélien ? Pouvons-nous nous représenter la détresse des infirmières qui voient passer chaque jour devant leurs yeux des dizaines de patient·es défiguré·es, traumatisé·es ? Celle des mères qui pleurent leurs enfants, dont elles ont pris soin chaque jour jusqu’à leur mort précoce ?
Et que doivent-elles ressentir, quand, à cette immense misère, s’ajoute l’indécence des civils et militaires colonisateurs, qui parodient leur souffrance sur les réseaux sociaux, qui souillent leurs jardins, qui moquent leurs tenues abandonnées dans leurs maisons détruites26 ? Cela, en plus de ce qu’ils commettent d’indigne envers l’ensemble du peuple palestinien, lui volant sa culture, ses objets, ses terres, ses danses, tout ce qui constitue son identité27. Le colon est abject, il vole, massacre, humilie, détruit – et, dans cette rage haineuse, son mépris des femmes est toujours un moyen supplémentaire, cruel et pervers, de marquer sa domination.

Un combat multiple : féministe, antiraciste, décolonial et bien plus

Face à l’horreur de l’actualité en Palestine, il nous a semblé essentiel de consacrer l’un de nos premiers articles aux femmes palestiniennes. Leur domination s’inscrit dans un cadre raciste et misogyne bien plus vaste que la seule oppression sioniste, celui de la colonisation et de l’impérialisme menés par les hommes sur les femmes, sur les sociétés qu’ils considèrent comme inférieures, sur le vivant et la nature.
Si nous voulons résister à cet élan destructeur, nous devons nécessairement mener un combat multiple, qui s’élève contre toutes les modalités de la domination masculine, et à leur intersection dans un schéma récurrent opposant la norme dominante à son « opposé » artificiellement infériorisé : Hommes/femmes, Blanc·he/racisé·e, Occidental/« autre », Civilisé/sauvage, naturel ou « primaire », etc.
Nous ne sommes pas libres si toutes les femmes ne le sont pas !

Ilya.

Vous souhaitez contacter notre équipe ? Envoyez un mail à l'adresse ci-dessous :

contact@roncesetracines.fr

favicon

1 Supposément, car à ce jour aucune preuve tangible n’a été apportée par Israël pour étayer cette déclaration, voir par exemple ce lien et celui-ci.


2 Les féministes occidentales restent peu nombreuses, le féminisme n’est pas un phénomène de masse. Pour autant, nous nous devons de le critiquer sérieusement si ses actions divergent des valeurs au nom desquelles on le fait vivre.


3 À propos des tué·es par l'armée d'occupation israélienne du 7 octobre, suivre ce lien. À d’autres occasions, l'armée d'occupation israélienne a tué ses propres concitoyens, voir par exemple ce lien.


4 Pour plus de précisions sur le rôle des femmes dans la résistance, voir Eileen Kuttab, “Palestinian Women in the ‘Intifada’: Fighting on Two Fronts”, 1993.


5 Pour plus de détails, voir Joost Hiltermann, “The Women’s Movement during the Uprising.” Journal of Palestine Studies 20, no. 3, 1991.


6 Au sujet du pinkwashing d’Israël, lire ceci.


7 Le territoire d’Israël est palestinien, il revient aux indigènes qui précèdent la colonisation sioniste, quelle que soit leur ethnie ou leur religion.


8 Pour une idée de l’atmosphère humiliante de ces checkpoints, voir cet article.


9 Un témoignage des complications pour les malades qui doivent traverser les points de contrôle : suivre ce lien.


10 Un témoignage parmi tant d’autres : lire ici.


11 Suivre ce lien.


12 Une étude sur la sous-détection du cancer du sein chez les femmes palestiniennes : suivre ce lien.


13 Le livre Les matins de Jénine de Susan Abulhawa évoque cette perte de façon majestueuse.


14 Il est légitime de s’interroger sur ce qui distingue un colon « actif » d’un civil israélien qui se trouverait « seulement » vivre sur un territoire colonisé.


15 Cette étude analyse le phénomène en dehors du cadre de « guerre » : voir ici.


16 Pour approfondir le sujet des femmes incarcérées en Palestine, lire ceci.


17 Ces femmes sont interviewées dans le reportage « Le calvaire des femmes palestiniennes dans les prisons israéliennes », réalisé par Alice Froussart pour RFI, 24/03/2023. Disponible ici.


18 Détail du rapport et analyse ici.


19 Loi abolie en 2018 : suivre ce lien.


20 Voire cet article.


21 Un exemple disponible ici.


22 Pour approfondir le lien entre colonisation et féminicides des Palestiniennes, lire le chapitre « Féminicide et colonisation : entre politique d’exclusion et culture de contrôle des Palestiniens en Israël » dans l’ouvrage de Christelle Taraud, Féminicides : Une histoire mondiale.


23 Sur les crimes d’honneur en Palestine, voir ce lien.


24 Sur le fait qu’il s’agisse bien d’un génocide : suivre ce lien ou encore la lettre de démission du haut fonctionnaire de l’ONU Craig Mokhiber.


25 Par exemple ici.


26 Une partie des moqueries et humiliations est décrite ici.


27 Lire le livre Le Bleu entre le ciel et la mer de Susan Abulhawa, pour une approche littéraire de cet effacement culturel.


Illustration n°1 : In solidarity with Palestine, Burhan Karkoutly, 1978.


Illustration n°2 : All Women Strugglers, Burhan Karkoutly, 1982.

Laisser un commentaire