Author

Ronces&Racines

Position n°2 : ça arrive et c’est OK
Les docteur·es qui transitionnent les lesbiennes
Au commencement, les docteurs du genre refusaient de transitionner des femmes hétérosexuelles. Les seules qu’ils acceptaient de traiter étaient des femmes lesbiennes, et cela ne leur posait aucun problème – ils ne s’embêtaient pas à faire la distinction entre transsexuelles et homosexuelles, à l’instar de ce qu’ils faisaient pour les hommes.. Le psychiatre Robert Stoller de l’UCLA (University of California, Los Angeles) a même fini par estimer que la transsexualité féminine n’était rien de plus que « la forme ultime de l’homosexualité ».
Susan Bradley
La psychiatre Susan Bradley a fondé en 1975 une clinique de l’identité de genre pour mineur·es à Toronto. J’ai déjà évoqué précédemment Gender Identity Disorder and Psychosexual Problems in Children and Adolescents, le livre réactionnaire publié en 1995 qu’elle a co-écrit avec Kenneth Zucker.
En 2022, Bradley évoquait une de ses premières patientes, une jeune femme désirant être un homme. Bradley l’a « aidé » à obtenir une transition médicale. Peu après, sa patiente « a pu se marier » avec sa meilleure amie.
« Je ne pense pas qu’il [elle] ait jamais considéré faire… être gay, ou être lesbienne et s’engager dans ce type de relation. »
Des années plus tard, alors qu’elle faisait le deuil de son épouse décédée, cette patiente de Susan Bradley a décidé qu’elle avait besoin d’une phalloplastie. Bradley se rappelle en riant avoir « signé les papiers » afin que sa patiente subisse cette chirurgie risquée et mutilante consistant à découper une bande de peau sur une partie du corps, la façonner en forme de tube et la suturer sur l’entrejambe. Elle ajoute : « La situation s’est avérée très intéressante pour moi. »
Lors de cet entretien, les deux animatrices du podcast (Sasha Ayad et Stella O’Malley) ont abordé le sujet de la conversion par transition de jeunes homosexuel·les. Bradley admet que « il est possible que certain·es [jeunes s’identifiant comme trans] se révèlent gays ou lesbiennes ». Mais elle affirme qu’elle ne pouvait pas aider ces patient·es à l’époque car il n’existait pas de « groupes de soutien » vers lesquels les orienter. Apparemment, évoquer elle-même le sujet avec ses patient·es n’était pas une option.
Bradley s’est défendue d’avoir causé du tort à cette jeune patiente lesbienne en la transitionnant au cours des années 70 :
« J’aurais sans doute eu bien du mal à la convaincre de vivre en tant que lesbienne à ce moment-là car ce n’était pas une situation socialement bien acceptée… elles ressentaient n’avoir pas d’autres solutions… la question était : que faire de ça ? [rire]… mais je pense que certaines [lesbiennes] peuvent obtenir quelque chose par cette transition, une personne qui les accepte pour ce qu’elles sont, et je pense que c’est ça qui va fonctionner. »
Quelle formation Bradley a‑t-elle cherché à obtenir pour comprendre les lesbiennes, et quand ? A‑t-elle apporté une aide thérapeutique à sa patiente afin de surmonter son deuil avant de la recommander pour une chirurgie génitale ?
Depuis quelques années, Susan Bradley s’est montrée inquiète de la transition de jeunes autistes.
Ray Blanchard
Le psychologue Ray Blanchard est mondialement connu pour son travail sur les fétichistes transsexuels (hommes transitionnant vers le sexe féminin) dans les années 80 et 90, qu’il a nommé « autogynéphiles ». Comme nombre de ses pairs, il a observé que la plupart des transsexuels étaient homosexuels ou des fétichistes. En 2023, dans un podcast tenu par la féministe Julie Bindel, il expliquait qu’il ne s’était jamais vraiment intéressé aux patients gays car, pour eux, la transition n’était « qu’une étape de plus ». Il décrit aussi cette cohorte comme des « hommes gays efféminés qui franchissent le pas ».
En 2017, Blanchard a co-écrit avec le psychologue Michal Bailey un article pour le site 4th Wave Now. Leur but était d’expliquer les différents types de dysphorie de genre à un lectorat principalement composé de parents d’adolescent·es s’identifiant comme trans, beaucoup de ces jeunes présentant le type « dysphorie de genre à présentation rapide » (« rapid-onset gender dysphoria », ROGD). Puisque ces jeunes étaient assez typiquement masculins (pour les garçons) ou féminines (pour les filles), iels étaient probablement hétéro. Blanchard et Bailey déclarent :
« À nos yeux, le groupe [de jeunes s’identifiant comme trans] atteints de dysphorie de genre à présentation rapide, ainsi que leur famille, subit le sort le plus tragique… Ils risquent des interventions médicales inutiles, mutilantes et nuisibles pour leur santé. »
J’imagine qu’ils sous-entendent que ces interventions sont nécessaires pour les jeunes homosexuel·les dysphoriques qui rejettent les stéréotypes de genre qu’on leur impose depuis leur enfance. Pourtant, il n’y a aucune étude crédible pour soutenir une telle idée. La rumeur prétend que Blanchard est gay. Mais pas du genre à franchir le pas, manifestement.
Les manuels
Par le passé, les institutions psychiatriques états-uniennes se sont inquiétées pour les personnes homosexuelles, mais ce n’est manifestement plus le cas, si on en croit leurs manuels.
En 1994, l’American Psychiatric Association publiait la quatrième édition de son Diagnostic & Statistical Manuel (DSM‑4). Il contenait un diagnostic intitulé « trouble sexuel non-spécifié » (« sexual disorder NOS ») incluant une « détresse marquée et persistante concernant sa propre orientation sexuelle ».
Cela signifiait que les thérapeutes devaient être vigilant·es face au risque d’homophobie intériorisée. Quand il fallait décider quel diagnostic apposer à un·e patient·e souffrant de trouble de l’identité de genre (ou tout autre problème), les psychiatres devaient déterminer si leur patient·e pouvait, en réalité, souffrir de ce trouble sexuel non-spécifié.
En 2013, la cinquième édition du manuel a été publiée. Il ne contient aucun diagnostic lié à l’orientation sexuelle. En 2015, l’American Psychological Association a publié son Guide pour pratiquer la psychologie avec des personnes transgenres et non-conformes au genre [TNCG]. Il n’y a aucun avertissement quant au risque de diagnostiquer une personne homosexuelle comme trans. Pourtant, il contient cette observation :
« Grâce à un plus grand confort dans leur corps et leur identité de genre, les personnes TNCG peuvent explorer certains aspects précédemment cachés de leur orientation sexuelle ou qui leur semblait en dissonance avec leur sexe assigné à la naissance. »
Autrement dit, certaines personnes homosexuelles ne peuvent entamer des relations avec les personnes qui les attirent qu’à condition de se présenter comme des membres de l’autre sexe – et donc de passer pour hétéro. Est-ce que ces patient·es devraient être traité·es pour leur homophobie intériorisée ? Non, car cela n’existe pas (selon le DSM‑5).
Parmi les rédactrices et rédacteurs de ce guide apparaissent Walter Bockting, qui s’est parjuré en 2008, et Laura Edwards-Leeper, qui a lancé sa carrière en aidant Norman Spack à transitionner des ados de 12 ans.
Le DSM‑5 et le Guide pour pratiquer la psychologie avec des personnes TNGC de 2015 remarquent tous deux qu’il existe un lien entre homosexualité et détresse « de genre ». Le guide, par exemple, dit ceci :
« Bien que quelques études suggèrent un lien potentiel entre développement de l’identité de genre et l’orientation sexuelle, le mécanisme sous-tendant cette relation est inconnu. »
Ces manuels présentent les faits de façon neutre mais n’en tiennent pas compte.
Les thérapeutes de la clinique Tavistock
Hannah Barnes, la journaliste ayant rédigé Time to Think, décrit ainsi les vues de certain·es praticien·nes de Tavistock :
« [Ils] reconnaissent que, bien qu’ils soupçonnent que certains de ces jeunes gens pourraient être gays, le monde dans lequel ils vivent rend préférable le fait d’être trans (et hétéro). Ce n’était pas, à leurs yeux, une « thérapie de conversion pour les jeunes gays », mais, tout simplement, la réalité. Le D. Alex Morris, psychologue de son état, donne pour exemple un jeune [garçon] vivant dans une partie rurale du pays. »
Morris dit à Barnes :
« Sont-ils vraiment gays ? Ou sont-ils vraiment trans ? Ou est-ce une façon improductive de réfléchir au problème ? Pour moi, c’est une façon improductive d’y penser. »
Ailleurs dans le livre, Barnes cite la praticienne Natasha Prescott :
« Donc, parfois je soulevais la question [auprès mes collègues], et tout le monde réagissait comme si, je ne sais pas, ils étaient anxieux ou se sentaient attaqués. Mais quand même, il y avait une réelle envie de protéger les gens contre des émotions désagréables, horribles, donc quelqu’un interviendrait et détendrait l’atmosphère. »
Je me demande si Morris faisait partie de ces thérapeutes qui cherchaient à éviter des « émotions désagréables ».
0 commentaires
0
Position n°1 : ça n’arrive pas
Selon l’industrie de la santé mentale, la réponse invariable à ces deux questions est : « mais nan ».
Les acolytes d’Harry Benjamin
Selon Benjamin, homosexuel·les et transsexuel·les sont deux catégories bien distinctes. Endocrinologue de profession, il s’est aussi improvisé expert en psychologie. Ses théories ont influencé la première vague de thérapeutes « spécialistes du genre » états-uniens.
Dans Le Phénomène transsexuel (1966)1, Benjamin explique que le transsexuel mâle n’est pas gay puisque :
« Il n’aime pas [le style de vie gay]. En vérité, il n’aime pas les homosexuels et ressent n’avoir rien en commun avec eux. »
De même pour les lesbiennes :
« Sexuellement, les transsexuelles femelles peuvent être des amantes passionnées, séduisant les femmes ainsi que le feraient des hommes, mais elles ne le font pas comme des lesbiennes, qu’elles détestent souvent profondément. »
Ainsi persuadé que personnes transsexuelles et homosexuelles ne sont pas les mêmes individus puisque appartenant à des catégories bien distinctes, Benjamin affirme :
« L’homosexuel est un homme et ne souhaite pas être autre chose. Il est simplement excité sexuellement par d’autres hommes. Même s’il est du type efféminé, il est toujours en harmonie avec son sexe mâle et son genre masculin. »
(Comme de nombreuses personnes quand elles discutent de l’homosexualité masculine, Benjamin a tendance à être assez phallocentrique.) Benjamin écrit aussi que les travestis (fétichistes) ne souhaitent pas avoir recours à une chirurgie de réassignation sexuelle.
Des docteurs du genre ayant de réelles compétences en psychologie se sont raccrochés au modèle inventé par Benjamin, que j’ai appelé la fausse trichotomie. Jusque dans les années 1980, les médias, et même des juges, ont consciencieusement rabâché cette affirmation que les homosexuels sont bien distincts des transsexuels2.
Une dernière chose concernant les « transsexuel·les classiques » de Benjamin : il dit qu’iels s’identifient avec le sexe opposé dès l’enfance. C’est une expérience courante chez les gays et les lesbiennes.
Ira Pauly
Les docteurs du genre durent éventuellement admettre que des personnes homosexuelles sollicitaient leurs services et que peu parmi elles correspondaient à la description du parfait transsexuel de Benjamin. Cela n’a pas empêché des thérapeutes de premier plan dans ce domaine de nier la réalité pendant encore des années, créant une distinction douteuse entre transsexuel·les « primaires » et « secondaires ». En 1983, le psychiatre Ira Pauly, en collaboration avec d’autres, a présenté un article affirmant ceci :
« [Certains maintiennent] que les patients sollicitant une réassignation sexuelle sont généralement des transsexuels secondaires, c’est-à-dire des travestis et des homosexuels féminins… Nous constatons cependant que la plupart de ces demandes proviennent bel et bien de transsexuels primaires dont l’identification à l’autre genre remonte à l’enfance, et se présentent de façon stable sur une période de plusieurs années. »
À peu près à la même époque, Pauly faisait transitionner une jeune lesbienne de 14 ans.
Les bloqueurs de puberté
Les enfants peuvent être perçu·es comme féminin·es ou masculin·es dès leur plus jeune âge mais leur sexualité ne se développe qu’à la puberté. Cela amène certain·es à s’identifier à des personnes de l’autre sexe avant qu’iels ne puissent découvrir leur orientation sexuelle – cela donne à l’identification trans une longueur d’avance d’une décennie, qui devrait légitimement faire craindre aux professionnel·les de santé un faux diagnostic. Mais bien des chef·fes de file de la profession ont, au contraire, certifié que cela n’est pas possible puisque « l’identité de genre » est réelle et se développe indépendamment de la sexualité.
Des psychologues prétendent, depuis au moins 1972, que l’identité de genre se fixe dès la petite enfance. John Money3, dont le travail soutenant cette thèse a été discrédité au cours des années 1990, fut le premier champion de cette doctrine.
Quand des médecin·nes du genre aux États-Unis ont commencé à utiliser des bloqueurs de puberté sur des enfants de 12 ans dans le cadre d’une transition, au milieu des années 2000, iels répétèrent les hypothèses (jamais prouvées) de Money concernant la formation d’une identité de genre dès l’enfance, sans jamais le citer.
La World Professional Authority for Transgender Health (WPATH)4, dont certains membres sont des professionnel·les de la santé mentale, reconnaît dans son septième « Standard of care5 » publié en 2012 (SOC7) que la plupart des enfants prépubères désistent* et se révèlent homosexuel·les en grandissant. Cependant, l’organisation prétend que le premier jour de puberté est une ligne rouge qui, une fois franchie, change tout :
« À l’inverse, la probabilité que la dysphorie de genre continue jusqu’à l’âge adulte semble être bien plus importante pour les adolescent·es. Aucune étude prospective formelle n’existe à ce jour. Cependant, lors d’une étude portant sur 70 adolescents et adolescentes ayant un diagnostic de dysphorie de genre et auxquel·les ont été données des hormones bloquant la puberté, toutes et tous ont décidé de continuer avec des interventions de réassignation sexuelle. »
D’autres chercheurs et chercheuses ont lu cette étude (provenant du fameux « protocole hollandais ») et ont suggéré que les bloqueurs ont pu perturber le processus naturel se produisant à la puberté et qui permet habituellement à ces jeunes d’accepter leur sexe. Mais la WPATH n’a pas pris cette hypothèse en considération, traitant plutôt cette seule étude comme une preuve irréfutable que des jeunes de 12 ans s’identifiant à l’autre sexe ne désisteront plus, ce que leur suggérait déjà leur immense sagesse ancestrale. Des professionnel·les de santé se sont par la suite appuyé·es sur le SOC7 pour recommander l’usage de bloqueurs de puberté.
Avant même le SOC7, un des principaux doctorants dans le domaine du genre, le psychologue Richard Green, avait fait pression sur les autorités de santé britanniques pour qu’elles recommandent la prescription de ces fameux bloqueurs de puberté. Il connaissait pourtant parfaitement la littérature concernant le désistement des adolescent·es puisqu’il avait écrit en 1987 un livre intitulé The Sissy Boy Syndrome : The Development of Homosexuality6.
La direction de la clinique Tavistock
Fut un temps, la clinique Tavistock, spécialisée en psychiatrie, était réputée dans tout le Royaume-Uni. Son service spécialisé dans le développement de l’identité de genre (GIDS) prenait en charge des mineur·es, jusque récemment. La journaliste Hannah Barnes relate dans son livre sur ce service, Time to Think, que « l’homophobie était un problème, selon la plupart [des personnes interrogées pour cette enquête], et tout particulièrement pour les adolescentes qui se présentaient en grand nombre [au GIDS] ».
Barnes cite les observations de la psychologue Kirstie Entwistle, qui pratiquait au GIDS de Leeds : 
« Entwistle a été choquée par l’homophobie généralisée dont elle a été témoin lors de ses consultations. Elle affirme que ce n’était pas un sujet discuté par l’équipe et il n’y avait aucune formation sur comment parler de sexualité avec de jeunes gens. »
Si on en croit le Rapport Cass, les thérapeutes de GIDS n’avaient pas pour habitude d’aborder la question de la sexualité avec leurs patient·es. Ce qui signifie qu’il n’y avait pas de dépistage d’une potentielle homophobie intériorisée chez les patient·es mineur·es et qu’il n’y avait pas de discussion avec ces jeunes de l’impact que pourrait avoir sur leurs futures relations amoureuses et sexuelles des effets secondaires tels que l’atrophie vaginale ou le sous-développement du pénis.
Certain·e praticien·ne savaient que de jeunes gays et lesbiennes étaient transitionné·es en masse (on y reviendra très vite), mais l’institution dans son ensemble était dans le déni.
Des praticiens homosexuel·les ont témoigné avoir rapporté leurs inquiétudes à la directrice, Polly Carmichael, qui a alors sous-entendu qu’iels manquaient d’objectivité contrairement à leurs collègues hétérosexuel·les. Carmichael a nié cette accusation. Cependant, une personne travaillant à la clinique a anonymement affirmé à Hannah Barnes que cette peur d’être en train de perpétrer une thérapie de conversion sous couvert de transition provenait « d’un certain nombre de praticiens gays… qui ne sont donc pas neutre à ce sujet ».
D’après le D. Matt Bristow, lui-même ouvertement gay :
« On a entendu des remarques homophobes tous les jours pendant des années et on devait faire avec. Quand on essayait d’adresser le problème en réunion d’équipe, on était tout simplement ignoré. »
Jack Turban
Le DSM‑5 a changé les critères diagnostics du « trouble de l’identité de genre » (gender identity disorder) et l’a rebaptisé « dysphorie de genre ». Il faut maintenant littéralement prétendre appartenir à l’autre sexe pour obtenir ce diagnostic. Autrement, la dysphorie de genre est globalement la même chose que le trouble de l’identité de genre, qui était déjà de toute façon un diagnostic bidon.
Quoi qu’il en soit, ce changement, rendant nécessaire certains mots magiques (« Je suis un garçon ! »), n’a pas été fait sur la base d’études cliniques démontrant leur vertu prédictive.
Les médecin·nes du genre, tels que le psychiatre Jack Turban, choisissent d’ignorer les études attestant le désistement de la plupart des jeunes, en utilisant l’argument que celles-ci portaient sur des enfants diagnostiqué·es avec un trouble de l’identité de genre et non une dysphorie de genre. C’est leur nouvelle excuse ; iels ne se cachent plus derrière les données douteuses utilisées pour le SOC7.
Jack Turban est gay. Il est donc bien mieux situé que le praticien hétéro de base pour se rendre compte du danger que représente pour les jeunes lesbiennes et gays la médecine du genre. Il est aussi mieux placé que le praticien hétéro de base pour se créer une marque de fabrique en tant que gourou LGBTQ.
0 commentaires
0
Glenna Goldis, une avocate états-unienne et militante pour la protection des personnes LGB est l’autrice de cet article. Elle a gracieusement accepté de nous laisser traduire et publier sur notre site certains de ses articles, notamment celui que vous vous apprêtez à lire. Nous tenons à préciser qu’elle n’a cependant pas pu valider la correction, n’étant pas elle-même francophone.
L’autrice a vu l’impact de la croyance en l’identité de genre sur la communauté lesbienne – un nombre affolant de femmes lesbiennes et bisexuelles ont transitionné socialement et médicalement ces vingt à trente dernières années aux États-Unis. Elle a donc décidé d’enquêter sur ce phénomène et a développé une vraie expertise au sujet de l’histoire de la médecine du genre depuis les années 60 et sur l’aspect légal du transactivisme.
Alors qu’elle écrivait auparavant sous pseudonyme (Unyielding Bicyclist), Glenna Goldis a décidé d’écrire à visage découvert depuis octobre 2024, au risque de sa carrière. Cela lui permet d’intervenir sur la scène médiatique mais aussi de s’organiser avec ses pairs dans sa profession pour lutter contre la propagation de l’identité de genre dans les lois et décisions de justice, ce qui a des impacts négatifs concrets sur la protection et les droits des femmes, des mineur·es et des personnes LGB.
Point sur le vocabulaire
L’anglais étant une langue plus synthétique que le français, il est parfois difficile de traduire certain·es termes et expressions sans avoir recours à de longues périphrases. Nous avons donc parfois fait le choix d’une traduction littérale afin de ne pas alourdir le texte. Certains termes employés peuvent aussi porter à confusion, notamment en raison du vocabulaire employé par le militantisme LGBTQ+, queer, ou transféministe qui tend à s’imposer dans les débats. Nous partageons donc avec vous, ci-dessous, un court glossaire pour expliciter les termes utilisés dans cet article en plusieurs parties.
Nous mettrons un astérisque après chaque première utilisation d’un mot défini dans notre glossaire afin que vous puissiez directement passer à la lecture de l’article, si vous le souhaitez. Vous n’aurez qu’à vous référer au glossaire si vous n’êtes pas certain·e de la signification du mot précédé d’un astérisque.

Affirmation (d’une identité transgenre) : pratique consistant à approuver, encourager et valider l’identification d’une personne à une identité qui n’est pas celle de son sexe.

Critiques du genre : nom générique donné à toutes personnes militant contre le dogme de l’identité de genre (voir notre article à ce sujet).
Dysphorie de genre : terme inventé en 1973 pour désigner le malaise persistant ressenti par certaines personnes vis-à-vis de leurs caractéristiques sexuelles et de leur non-conformité aux attentes sociales vis-à-vis de leur sexe (c’est-à-dire les normes de genre : un garçon se doit d’être masculin et une fille féminine sous peine d’être sanctionné·e et mis·e à l’écart). La dysphorie de genre est officiellement devenue un diagnostic médical quand elle a été intégrée dans la cinquième édition du manuel diagnostic de l’American Psychiatric Association (DSM‑5), publié en 2013. Ce terme remplace ceux de « transsexualisme » et « trouble de l’identité de genre ».
Identité transgenre : cf Personne transgenre
Iels : troisième personne du pluriel incluant femmes et hommes sans appliquer la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin (un homme et mille femmes = ils). Si ce mot peut heurter des personnes n’ayant pas l’habitude de le lire, nous vous assurons que l’on s’y fait.
Médecin·ne du genre : tout personnel médical travaillant dans le domaine de la médecine du genre. Les métiers les plus représentés sont la psychologie et psychiatrie, l’endocrinologie et la chirurgie. Médecinne est le féminin du mot médecin que nous avons choisi d’utiliser dans cet article, pour des raisons de commodité. Il existe également le mot médecienne.
Médecine du genre : tout le champ médical dont la vocation est « d’affirmer » l’identité déclarée des patient·es et d’effectuer des transitions médicales par des interventions hormonales et chirurgicales.
NdT : abréviation de « note de la traductrice ». Cela signifie que la note de bas de page a été rédigée par la traductrice et n’existait donc pas dans le document original. La traductrice prend donc toute la responsabilité si une erreur a été commise dans ces notes.
Thérapeute : personne pratiquant une thérapie d’ordre psychologique (psychologue, psychiatre ou psychanalyste).
Transactivisme : mouvement militant prétendant lutter pour les droits des personnes « transgenres », groupe caractérisé par le fait de revendiquer une identité qui n’est pas celle de leur sexe. Attention, toutes les personnes « transactivistes » ne sont pas transsexuelles et ne revendiquent pas forcément elles-mêmes une identité transgenre.
Personne transgenre ou trans : personne revendiquant une identité qui n’est pas celle de son sexe (homme ou femme transgenre, non-binaire, genderqueer et bien d’autres encore).
Transsexuel·le / personne transsexuelle : personne qui cherche à passer pour un membre de l’autre sexe et qui, pour cela, a eu recours à des interventions médicales (hormones, chirurgies). Un homme transsexuel est un homme ayant effectué une transition médicale afin de passer pour une femme. Une femme transsexuelle est une femme ayant effectué une transition médicale afin de passer pour un homme.
Transitionneur / transitionneuse : personne ayant eu recours à une transition médicale pour passer pour un membre de l’autre sexe. Nous utilisons ce terme à la place de transexuel·le quand nous ne disposons pas d’informations sur la ou les personnes et ne pouvons donc pas savoir si cette personne a, par la suite, détransitionné. Ce terme inclut donc toutes les personnes ayant eu recours à une transition médicale dans leur vie, quelle que soit leur situation actuelle.
Transition : la transition regroupe tous les actes visant à se faire passer pour un membre de l’autre sexe ou d’entraîner une confusion quant au sexe de la personne (barbe + voix grave + seins par exemple). La transition sociale consiste, le plus souvent, à changer de nom, à changer la mention de sexe sur les papiers administratifs et à annoncer une identité fausse à son entourage. La transition médicale regroupe toutes les interventions médicales ayant pour vocation de modifier les caractéristiques sexuelles secondaires de la personne (chirurgies des organes génitaux, de la poitrine, des traits du visage, prise d’hormones, ou, au contraire, inhibition de la production de certaines hormones, etc.).
Détransition : regroupe tous les actes, médicaux ou non, visant à réintégrer socialement sa propre classe de sexe. La personne peut arrêter la prise d’hormones ou de bloqueurs d’hormones, avoir recours à de nouveaux actes médicaux (implants mammaires pour les femmes, double mastectomie pour les hommes, par exemple) ou encore changer son prénom et ses papiers d’identité.
Désistement : abandon de l’identification à une identité transgenre avant tout processus de médicalisation. La personne a, le plus souvent, effectué une transition sociale auprès de ses proches, voire auprès d’institutions.
Mieux vaut une personne trans hétéro qu’un gay ou une lesbienne
Imaginez si les personnes noires subissaient de façon disproportionnée des amputations de leur pénis et de leurs seins – la gauche y verrait, à juste titre, un scandale. Aujourd’hui, je vais traiter, avec la gravité qu’elle mérite, la question de pourquoi des thérapeutes* aident les personnes homosexuelles à abîmer ainsi leur corps.
La médecine du genre* induit des effets secondaires sévères sur les corps. Ces interventions sont objectivement nocives. Les thérapeutes se rendent complices de ces mutilations et préjudices physiques quand iels* signent les courriers d’adressage pour la chirurgie de leurs patient·es et « affirment* » leur identité trans*. Bien que certain·es assurent que ces interventions à risque sont nécessaires pour prévenir des tentatives de suicide, cette assertion n’est soutenue par aucune preuve fiable.
Cet article examine les actes et propos de plus d’une douzaine de thérapeutes influent·es et de trois institutions majeures dans le domaine de la santé mentale : l’American Psychiatric Association, l’American Psychological Association et le Gender Identity Development Service (GIDS) du Royaume-Uni. J’établirai leur diagnostic à la fin.
Les patient·es
Les lesbiennes représentent seulement 2 % des femmes et pourtant, au cours du XXe siècle, presque toutes les transitionneuses* étaient lesbiennes. Le docteur du genre* danois Christian Hamburger rapportait, au milieu du siècle, qu’une des raisons principales évoquée par les femmes recherchant ses services était de pouvoir épouser leur compagne. Les transitionneuses attirées par les hommes étaient « hyper rares » selon Ray Blachard, sexologue ayant pratiqué des « thérapies de genre » de 1980 à 1995 dans une clinique de Toronto.
Parmi les jeunes filles britanniques reçues en 2012 par le Gender Identity Development Service (GIDS), plus de 90 % déclaraient être attirées par des filles. Une étude néerlandaise de 2011 a constaté que plus de 95 % des filles désirant être des garçons depuis l’enfance jusqu’à l’adolescence ressentaient de l’attirance envers les filles. Sur les 70 jeunes dont la puberté a été bloquée lors de l’essai clinique aujourd’hui connu sous le nom de « protocole hollandais » (Dutch protocol, 2006), 62 étaient homosexuel·les, et un seul, un garçon, affirmait être hétérosexuel. De nos jours, mêmes des lesbiennes plus âgées consultent en masse des chirurgiens esthétiques pour des opérations de « masculinisation du torse » ou « torsoplastie », c’est-à-dire des doubles mastectomies.
Les lesbiennes et les gays veulent changer de sexe parce qu’iels sont isolé·es, mal renseigné·es, mal à l’aise avec le fait d’être différent·es, traumatisé·es par du harcèlement ou d’autres violences homophobes, exposé·es à une contagion sociale dans leur « communauté », parce qu’iels cherchent à étendre leur choix de partenaires potentiel·les, ont été ciblé·es par des prédateurs sexuels ou encore, parce qu’iels se détestent.
Toutes les personnes trans* ne sont pas homosexuelles. Il y a aussi des fétichistes, au moins depuis Einar Wegener. Des personnes souffrant de délires mentaux ont aussi eu recours à des chirurgies de réassignation sexuelle. Dernièrement, une plus grande diversité de profils parmi les jeunes diagnostiqué·es (ou se diagnostiquant) avec une « dysphorie de genre* » est apparue, dont des personnes sur le spectre de l’autisme et des victimes de violences sexuelles. Cette « dysphorie de genre » apparaît généralement à la suite d’un endoctrinement à l’école ou en ligne. Cependant, dans cet article, je me concentre sur les gays et lesbiennes quel que soit leur âge – un groupe social particulièrement sensible à l’influence de la propagande autour du changement de sexe.
Question : est-ce qu’iels s’identifient comme trans parce qu’iels sont homosexuel·les ? Est-ce que ça devrait nous inquiéter ? Voici les réponses fournies ces dernières décennies par des thérapeutes travaillant dans le domaine de la médecine du genre.
0 commentaires
0

Toutes les sociétés humaines, à notre connaissance, font la différence entre les personnes de sexe féminin et celles de sexe masculin. C’est un fait de la nature puisque nous sommes des animaux ayant une reproduction sexuée. Cette différence est constatée, pas imposée socialement. Ce qui, par contre, est imposé par les sociétés patriarcales, c’est une hiérarchie entre mâles (individus de sexe masculin) et femelles (individues de sexe féminin). Le féminisme a pour but de mettre fin à cette hiérarchie en déracinant le patriarcat, ce qui implique de transformer intégralement nos sociétés.

Certains mouvements féministes1 ont tenté de minimiser les différences entre les sexes – ou de prétendre qu’elles n’avaient aucune importance, voire qu’elles n’existaient pas. L’objectif était de contrer les arguments essentialistes cherchant à justifier et naturaliser la hiérarchie sociale en invoquant la biologie. Malheureusement, cette stratégie ne peut pas fonctionner. Ce n’est pas la différence qui crée la hiérarchie, mais la société. Tenter de nier une réalité incontestable, celle du dimorphisme sexuel de l’espèce humaine, est non seulement intellectuellement invalide, mais c’est en plus, stratégiquement, une impasse qui finit inévitablement par se retourner contre les femmes – et contre les féministes. Les femmes ne sont pas des hommes, notre lutte ne peut pas et ne doit pas l’ignorer.
I/Femme ou homme : question de sexe ou d’identité de genre ?
Lorsque nous parlons d’êtres humains, nous n’utilisons que très peu, en français, les termes mâles et femelles, qui servent à catégoriser la plupart des animaux, ainsi que certaines plantes. Pour désigner les adultes, nous employons les noms hommes et femmes. Pour les enfants, filles et garçons. La définition de ces mots dans les dictionnaires2 est parfaitement claire : un homme est un « être humain adulte de sexe masculin » et une femme un « être humain adulte de sexe féminin ». Jusqu’à récemment cependant, personne n’allait jamais chercher ces définitions, parce que ce sont des mots extrêmement communs dont nous connaissons toutes et tous le sens3.
Pour rappel, la femelle est l’individue produisant de gros gamètes immobiles (ovules) et, dans le cas de notre espèce, qui prend en charge la gestation, l’accouchement et l’allaitement. Le mâle produit de petits gamètes mobiles (spermatozoïdes), en plus grande quantité. Bien sûr, si pour une quelconque raison l’individu·e est infertile et ne produit pas de gamètes, il ou elle reste mâle ou femelle puisque son corps s’est développé pour produire l’un ou l’autre. On remarquera deux choses : chez l’être humain, la charge de la reproduction est clairement répartie de façon inégale. Ce qui amène à la remarque suivante : ces rôles dans la reproduction entraînent des différences corporelles importantes. On parle, dans ce cas, de dimorphisme sexuel.
Comme évoqué dans l’introduction, nier les différences entre les sexes dans notre société patriarcale ne peut que se retourner contre les femmes. On le constate d’autant plus facilement que la science et la médecine, qui reconnaissent évidemment le dimorphisme sexuel humain, ont tendance à négliger la physiologie spécifique des femmes dans leurs recherches pour ne prendre en compte que celle des hommes4. Les médicaments sont testés sur des mâles (rats, singes, entre autres animaux exploités, et humains), les équipements de sécurité sont calibrés pour des corps d’hommes, les symptômes des femmes sont moins étudiés (que l’on parle de crise cardiaque ou d’autisme), la recherche néglige souvent ce qui touche spécifiquement nos corps femelles (cycles menstruels, grossesses, allaitement, organes liés au plaisir sexuel…). Un exemple éloquent est celui des tests de sécurité des voitures5 : jusqu’à récemment, les mannequins imitaient le corps masculin, et, pour exécuter les simulations d’accident avec des passagères, on ajoutait seulement une paire de seins au mannequin de gabarit masculin. Résultat : encore aujourd’hui, les femmes subissent de façon disproportionnée des blessures graves pouvant conduire à la mort, dans les accidents de voiture réels – alors même qu’elles en causent moins !
Les femmes ne sont pas de petits hommes castrés avec des seins. Nos os sont différents, nos muscles, notre répartition des masses graisseuses, nos taux d’hormones, nos organes, la forme de notre tête ou de notre bassin ! La liste est longue, et les conséquences si ces différences sont ignorées, graves. De plus, c’est une insulte envers les femmes, une négation de notre réalité physique. Irait-on dire aux hommes qu’ils sont des femmes de grande taille sans seins et avec un clitoris hypertrophié ? Aujourd’hui pourtant, certain·es affirment qu’un enfant, un adolescent ou un adulte de sexe masculin peut être une fille, une adolescente ou une femme, et vice versa. Les expressions « homme de sexe féminin » et « femme de sexe masculin » sont des oxymores. Si on veut écrire de la fiction ou de la poésie, pourquoi pas. Quand il s’agit de décrire la réalité, c’est non seulement faux, mais aussi totalement absurde.
De plus en plus de personnes semblent pourtant adhérer à cette idée qu’être une femme ou un homme n’aurait rien à voir avec la réalité matérielle de la sexuation des êtres humains. Ce ne serait pas une question de sexe mais une question d’« identité de genre ». Cette notion de l’identité de genre a réussi à s’imposer en quelques années, au point que citer la définition du dictionnaire, quand on définit ce qu’est une femme, passe désormais pour de la haine ou de la bêtise. Certes, pour démanteler les nombreuses idées reçues et contrer la désinformation portée par le mouvement queer ou transactiviste6 et par certaines personnes transsexuelles7 , il ne suffit pas de réaffirmer ce que sait pertinemment la majorité de la population, qu’être un homme ou une femme dépend de notre sexe. Il était cependant nécessaire de commencer par là.
II/Identité de genre, définitions
Les définitions que nous allons exposer ici ne sont pas les nôtres. En premier lieu, parce que nous ne reconnaissons pas le concept d’identité de genre comme valide – vous comprendrez pourquoi en lisant ce qui suit. Ensuite, parce que nous ne voulons pas que l’on nous accuse de simplifier ou de déformer les propos des défenseur·ses de cette notion. Nous citerons donc mot pour mot les définitions données, recueillies dans une sélection d’ouvrages représentatifs de la production contemporaine sur ce sujet8 . On notera que les huit livres en question (références disponibles en notes, les ouvrages sont identifiés par une lettre) ont été publiés ces cinq dernières années, couvrent les mêmes thématiques et sont mis en avant en bibliothèque – le sujet est donc loin d’être marginal aujourd’hui.
1. L’identité de genre est une construction sociale
Le terme « genre » a été utilisé par les féministes depuis les années 19709 pour désigner la féminité et la masculinité, les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes (l’exemple classique étant la femme au foyer qui prend soin de son mari et de ses enfants pendant que l’homme travaille en entreprise /à l’usine / etc.), et, de façon générale, toutes les choses qui sont associées, dans une société donnée, à un sexe ou l’autre (le rose, la passivité et la lune pour les filles, le bleu, la violence et le soleil pour les garçons…)10 . Pour ajouter à la complexité de la chose, en anglais, le mot « genre » peut être utilisé pour désigner le sexe d’une personne — ce qui peut causer des problèmes de traduction et entraîner des confusions. En français, la distinction entre sexe et genre est plus marquée, mais tend, dans le brouhaha philosophico-politique actuel, à se brouiller.
Certain·es transactivistes s’appuient sur cette notion féministe du genre pour prétendre que certains mâles, dits « femmes trans », sont des femmes, de même que certaines femelles seraient des « hommes trans ». Ces personnes, en général, argumentent que les hommes ayant effectué des traitements médicaux (prises d’hormones et chirurgies) pour tenter d’adopter certaines caractéristiques physiques spécifiques aux femmes deviennent, de ce fait, des femmes. Ils estiment que, puisqu’ils nous ressemblent (plus ou moins), puisqu’ils adoptent les codes esthétiques de la féminité et puisqu’ils se revendiquent comme femmes, ils seraient perçus et traités socialement comme des femmes. Et puisqu’être une femme serait, en partie au moins, une construction sociale – on remarquera dans plusieurs livres le détournement de la citation culte « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir11 – ces hommes deviendraient des femmes.
« Comme [Margaret] Mead, [Simone de] Beauvoir et [Judith] Butler nous l’ont expliqué, à la différence du sexe, le genre n’est pas anatomique mais social. Ce sont les membres de la société (vous et nous) qui le construisons et le font évoluer. »
Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC
« Le genre est civilisationnel, culturel et non biologique. […] Le genre et ses matérialisations comme données identitaires ne sont donc pas existantes par nature, mais forgées et accumulées par nos sociétés pour répondre à différents besoins de fonctionnement, et pour asseoir les jeux de privilèges et de domination. »
Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Cette première justification peut sembler assez convaincante au premier abord, notamment pour des féministes adhérant à l’idée d’une construction sociale de la catégorie femme. Nous sommes d’ailleurs nombreuses à avoir été satisfaites, pour un temps, par cette explication. Après tout, nous nous sentons évidemment solidaires avec toutes les personnes subissant des agressions sexistes. Cependant, il suffit d’y réfléchir un peu pour se rendre compte que c’est absurde.
Déjà, ce raisonnement ne s’appliquerait qu’aux personnes transsexuelles parvenant à se faire passer de façon convaincante pour des personnes de l’autre sexe. Malgré les interventions hormonales et chirugicales disponibles actuellement, c’est loin d’être toujours le cas. De plus, bien des personnes se revendiquant « transgenres » veulent être reconnues comme hommes ou femmes sans même chercher à prendre l’apparence d’un membre de l’autre sexe.
Une femme qu’on prend pour un garçon – comme ça a été le cas pour plusieurs d’entre nous puisque nous n’adhérons pas à des normes de genre sexistes – ne devient pas un garçon. Un homme hétéro qui subit une agression homophobe, puisque présumé gay, ne devient pas gay car il a été « socialement traité comme » un homme homosexuel. Pourquoi donc est-ce que les personnes transsexuelles seraient différentes ? Parce qu’elles subissent des interventions médicales ? Parce que la confusion est créée intentionnellement ? Parce qu’elles auraient un trouble mental12 ? Parce qu’elles revendiquent une identité qui n’est pas la leur ?
On ne peut pas devenir plus une femme ou plus un homme en changeant son corps. En fait, on ne peut pas devenir « plus » une femme ou un homme tout court, car le sexe n’est pas un spectre sur lequel nous pouvons nous déplacer. Une femme ayant subi une double mastectomie des suites d’un cancer du sein, ou une ablation de l’utérus, n’en devient pas moins une femme, car elle n’est pas moins femelle après ces opérations. Un homme castré n’est pas moins mâle, pas moins un homme.
Cette argumentation a au moins le mérite de s’appuyer sur des éléments concrets. Il y a une apparence de logique dans ce raisonnement, puisque certaines personnes transsexuelles sont effectivement perçues comme des membres de l’autre sexe. La justification suivante s’appuie aussi sur des arguments matériels et potentiellement mesurables. Vous verrez que c’est loin d’être toujours le cas.
2. Identité de genre : l’hypothèse des cerveaux
Un autre raisonnement s’appuie sur l’idée qu’il y aurait des cerveaux de femmes et des cerveaux d’hommes, et que certaines personnes auraient un cerveau d’homme dans un corps de femme et vice versa. L’hypothèse a même fait l’objet d’études scientifiques – peu concluantes pour le moment13 . Cette explication, assez populaire aux États-Unis, ne fait pas recette en France. Cela se constate dans les livres étudiés pour cet article : sur les huit, seuls trois évoquent cette hypothèse mais uniquement pour s’en distancier.

« Concernant le cerveau, il n’existe probablement rien de tel qu’un cerveau « masculin » et un cerveau « féminin » […]. Une compréhension du cerveau comme fonctionnant et se structurant sur un modèle de mosaïque, incluant des éléments dits « masculins » et « féminins », semble plus proche de la réalité. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de notre enfant sur le genreE

« De la science aux médias en passant par les conversations du quotidien, les débats qui opposent l’inné et l’acquis sont profondément ancrés dans notre culture et partent souvent du principe que l’une ou l’autre option est, dans un sens, plus « acceptable » que l’autre. […] Ces questions s’expliquent par le fait que, dans la culture anglo-américaine actuelle, les gens accordent souvent plus de légitimité aux choses quand elles trouvent leur « origine » dans notre cerveau ou notre ADN. Nous tenons à préciser ici qu’il importe peu que le genre d’une personne s’explique par des raisons biologiques, psychologiques ou sociales – ou une combinaison des trois. »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Filles et garçons ont-ils le même cerveau ? Oui, ils ont le même cerveau ! Du point de vue de l’anatomie, c’est-à-dire de la forme et de la structure, le cerveau d’un fœtus de fille est identique au cerveau d’un fœtus de garçon ! »

C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identiteG
Pas la peine donc de s’y attarder, si ce n’est pour préciser que nous n’adhérons pas à une vision dualiste de l’être humain. Le dualisme appliqué à l’individu divise la personne en deux, entre un esprit et un corps, deux entités décrétées distinctes et hiérarchisées. L’esprit contiendrait notre essence véritable, jugée supérieure, transcendante, tandis que le corps serait le lieu du trivial et du méprisable, un simple véhicule, une machine nous permettant d’intéragir avec le monde, mais rien de plus. L’esprit – ou la conscience, ou l’âme – est généralement perçu comme situé dans le cerveau (pourtant bien matériel et partie intégrante du corps), celui-ci déterminerait donc qui nous sommes vraiment.
Cette vision du monde, promouvant la primauté de l’esprit (associé aux choses intellectuelles, à la noblesse, à la rationnalité voire à l’âme immortelle) sur le corps (qui relèverait du vulgaire, un amas de chair périssable, imparfaite et défaillante) est très répandue14 .
Nous, féministes de Ronces & Racines, considérons que nous sommes nos corps, pleinement, entièrement. Si conscience il y a, elle fait partie de nous et n’est pas une chose détachée de notre matérialité. Que nous soyons nées avec un handicap, une orientation sexuelle qui n’est pas commune, un cerveau atypique ou des hormones hors normes, notre corps n’est pas une erreur et aucune de nous n’est moins femme qu’une autre.
3. Identité de genre auto-déterminée
Nous avons commencé par les deux définitons de l’identité de genre qui semblent les moins absurdes, mais qui sont aussi les moins fréquentes. L’affirmation la plus commune, notamment dans les milieux de gauche se revendiquant féministes, est que l’identité de genre d’une personne dépend de son « ressenti » — quoi que cela puisse bien vouloir dire. Ainsi, seule la personne elle-même serait en mesure de déterminer cette « identité », et les autres ne devraient, sous aucun prétexte, pouvoir la remettre en question.
Quel ressenti exactement permet de déterminer si nous sommes des hommes ou des femmes ? Un ressenti, par définition, est subjectif et dépend de chaque personne. D’après les transactivistes, le ressenti de chacun·e au sujet de sa propre identité de genre n’aurait rien à voir avec la masculinité, la féminité ou son sexe, puisqu’à leurs yeux une femme féminine peut se revendiquer homme ou non-binaire (ni une femme, ni un homme, ou parfois les deux) et qu’un homme masculin n’ayant en rien changé son apparence peut s’identifier comme une femme.
De plus, les hommes s’identifiant comme femmes auraient toujours été des femmes, même avant de s’identifier comme tels et sans la moindre once de féminité préalable à une éventuelle transition. L’identité de genre serait impossible à changer. Elle peut, par contre, être changeante, puisque certaines personnes s’identifient comme « genderfluid » ou revendiquent successivement diverses identités de genre – qui doivent toutes être considérées comme vraies et ne jamais faire l’objet de remises en question15 . Cette définition de l’identité de genre repose donc sur le principe suivant : « je suis ce que je prétends être ».

« L’identité de genre se définit généralement comme la façon dont nous nous percevons. »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Chaque personne a une identité de genre ; elle correspond à ce que profondément, on se ressent être, entre fille/femme, homme/garçon, quelque part « entre les deux » ou au-delà […]. Il s’agit donc d’un ressenti, et aussi d’une image mentale de soi. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de botre enfant sur le genreE

« Identité de genre : Expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun·e, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance. »

C’est quoi mon genre ?F

« Identité de genre : Conviction intime d’appartenir à un genre donné : homme, femme, transgenre ou tout autre terme identifiant (genderqueer, non-binaire ou agenre ou agender). Peut correspondre ou non au sexe attribué à la naissance. »

C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identitéG

« Identité de genre : Compréhension et expérience intimes que nous avons de notre genre, et la manière dont on le définit. »

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH
Comme vous pouvez le constater par vous-mêmes, ces cinq définitions ne parlent que de « ressenti », de « conviction », de « compréhension intime », sous une forme ou une autre. À ce stade, on pourrait tout aussi bien utiliser le terme croyance. Mais il n’y a pas que ces livres qui adhèrent à cette (absence de) définition ; c’est le cas de tous, sans exception. Certains sont juste un peu moins transparents que d’autres à ce sujet, car, il faut l’admettre, la pilule est un peu grosse à faire passer.
III/Stéréotypes sexistes et enfumage intellectuel
Il faudrait donc, selon cette dernière définition, croire sur parole et sans aucune remise en question la déclaration d’identité de genre d’un·e enfant de trois ans, d’une jeune personne souffrant de troubles psychiatriques sévères ou encore d’un pédocriminel condamné et en détention ? Il faudrait donc croire en une identité qui ne se base sur rien de matériel et peut se définir d’autant de façons qu’il y a de personnes revendiquant la même étiquette ?
Pour réussir à convaincre, l’argumentation se doit donc d’être un peu plus étayée. Néanmoins, fournir une définition précise et fonctionnelle excluerait forcément certains hommes s’identifiant comme femmes (ou tout autre configuration) puisqu’il y en aura toujours qui ne se reconnaîtront pas dans une définition basée sur des critères précis, alors même que le but de ces définitions circulaires16 est de n’invalider aucune identité auto-proclammée. Toutes les personnes définissant l’identité de genre comme « le genre auquel une personne s’identifie17 » a donc nécessairement recours à un enfumage intellectuel plus ou moins réussi. Quel que soit le discours adopté, la finalité est et doit être toujours la même : pouvoir affirmer sans ciller que « les femmes trans sont des femmes », « les hommes trans sont des hommes », « les personnes non-binaires sont non-binaires » et ainsi de suite.
1. Le recours à la notion féministe de genre
En évoquant la notion féministe du genre, vieille de plus de 50 ans, les autrices et auteurs de ces livres apportent une caution intellectuelle et égalitaire au concept d’identité de genre. Une certaine insistance sur la complexité de cette notion permet aussi de masquer le néant matériel et conceptuel de leur définition.

« Comme [Margaret] Mead, [Simone de] Beauvoir et [Judith] Butler nous l’ont expliqué, à la différence du sexe, le genre n’est pas anatomique mais social. Ce sont les membres de la société (vous et nous) qui le construisons et le font évoluer. […] Le genre se négocie aussi au niveau individuel. […] Plus que social, le genre est aussi psychologique. »

Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC

« Le genre est une notion complexe, qui comprend plusieurs dimensions, dont l’identité de genre, les rôles et les expressions de genre. Le genre est aussi une construction sociale et englobe les attentes socialement construites qui désignent des rôles, des identités et des comportements particuliers comme étant appropriés soit pour les femmes, soit pour les hommes..»

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH

« Pour résumer, le genre est hétérogène plutôt que binaire – à tous les niveaux : biologique, psychologique et social. […] Nous aimons utiliser le terme « biopsychosocial » pour illustrer le fait que, chez tout individu, l’expérience du genre associe de manière complexe des aspects biologiques, psychologiques et sociaux. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de botre enfant sur le genreE
Comme vous pouvez le constater au travers de ces brefs extraits, le genre est présenté comme une chose complexe, ancrée dans nos sociétés, et qui peut s’exemplifier de façon concrète (vêtements, rôles sociaux, traits de caractères, etc.). Néanmoins, on retombe toujours sur le « ressenti intérieur » comme seul critère valable pour déterminer l’identité de genre d’une personne. Vous pouvez le constater grâce aux deux définitions déjà citées (2 et 5) et celles ci-dessous, portant sur les personnes transgenres et non l’identité de genre.

« Transgenre : personne qui ne se reconnaît pas dans le genre associé à son sexe biologique. On peut avoir un pénis tout en ayant le sentiment profond d’être une femme (femme trans). Ou avoir un vagin et se sentir homme (homme trans). »

Je suis qui ? Je suis quoi ?A

« Transgenre ou « trans » : personne dont l’identité de genre – son expérience intime et personnelle du genre – ne coïncide pas avec le sexe biologique qui lui a été assigné à la naissance. »

Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC
Un seul livre a le mérite d’être plus subtil et de ne jamais explicitement formuler une définition intégrant cette notion de ressenti, Une histoire de genres. La définition qui y est donnée de l’identité de genre, nous l’avons déjà citée :

« Identité de genre : L’identité de genre (on peut aussi juste parler “du genre” d’une personne) est le facteur sociologique d’appartenance à un genre ou plus, qui forme les ensembles humains composant une société. L’identité de genre est majoritairement fondée sur des données biologiques à la naissance, considérées comme inhérentes et objectives. S’ajoutent des facteurs liés à la culture et transmis par l’éducation qui font de ce genre perçu comme biologique une vérité sociale qui conditionne l’intégration d’un individu. »

Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Néanmoins, l’auteur nie catégoriquement que c’est la société qui classifie les personnes, ce que laisse pourtant entendre cette définition. Il affirme que « les transitions sociales et médicales amènent des changements, mais qui relèvent de la perception physique du genre, d’une lecture sociale et non de l’identité fondamentale ». Il y a donc bien une identité qui n’est pas le fait d’une catégorisation sociale par une culture (la « lecture sociale ») mais provient directement de la perception de la personne elle-même de ce qu’elle est. D’ailleurs, le masque tombe un peu plus loin :

« En définitive, une personne trans se sent effectivement d’un genre donné, parce qu’elle est dudit genre, et c’est cela qu’il vaut mieux verbaliser : un homme trans est un homme. »

Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Autrement dit, nous sommes ce que nous disons être, et nous le disons parce que c’est ce que nous sommes. On peut difficilement faire raisonnement plus circulaire que ça.
2. Les inévitables stéréotypes
Toute cette théorisation, c’est bien beau, mais on passe à côté de quelque chose de fondamental. En réalité, pourquoi une personne ressentirait appartenir à la catégorie de l’autre sexe ou, tout du moins, ne pas appartenir à la catégorie de son propre sexe ? La réponse est simple, elle était là tout du long : le genre, dans son sens féministe initial. Il y a un certain nombre d’attentes et de représentations sociales associées au fait d’être un homme ou une femme. Une personne qui ne correspondrait pas à ces attentes risque fortement de se sentir en décalage par rapport aux filles et garçons, aux femmes et aux hommes qui l’entourent et qui semblent s’y conformer.
Un petit garçon qui veut porter des robes, faire des jeux de rôles avec les filles et imiter sa maman à la maison, sera automatiquement perçu comme féminin. De là à se dire qu’il n’est pas un garçon, il n’y a qu’un pas que certain·es franchissent. Bien sûr, cela relève du sexisme : il y aurait de « vraies femmes », celles d’entre nous qui sont féminines comme il faut, et de « vrais hommes », bien masculins, voire même virils. Cependant, pour les autrices et auteurs cité·es, impossible d’admettre que « l’identité de genre » puisse être le résultat d’une vision profondément sexiste et normative de la société, puisqu’iels se revendiquent féministes. Mais quand on lit les récits personnels, plus concrets, des personnes ayant transitionné, c’est malheureusement bien ce que l’on constate.

« Petit, j’ai toujours senti que je n’étais pas comme les autres filles de mon âge […]. Je traînais avec des garçons, je jouais au foot avec eux, je portais des joggings, des pulls larges et des baskets. En grandissant, j’ai essayé d’être plus féminin mais vers 15 ans j’ai compris que ce n’était pas possible, alors j’ai recommencé à m’habiller au rayon hommes et je me suis coupé court les cheveux. Un an après, j’ai compris que j’étais un homme transgenre. »

Je suis qui ? Je suis quoi ?A

« Sur le plan du genre, je suis une personne non-binaire – ou genderqueer – âgée d’une petite quarantaine d’année. Pour moi, cela signifie que je me situe quelque part au milieu du spectre entre masculin et féminin, et que certains aspects de ma personnalité sont plus « masculins », « féminins » ou « androgynes ». »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Quand j’étais enfant, je ne me posais pas la question de si je me sentais fille ou garçon. Puis au collège, j’ai eu l’impression que tout à coup, on me considérait complètement autrement18 . J’ai compris quelle place19 j’avais aux yeux des autres, et ça ne m’allait pas. Toujours en 4e, je me suis coupé les cheveux, et dans le métro on m’a dit « monsieur » et « jeune homme ». Et là, je me suis senti mieux, j’ai eu le sentiment d’être bien. »

C’est quoi mon genre ?F

« Au théâtre, je pouvais échapper à mon sexe – et tout ce qu’il impliquait de bonne conduite hétérosexuelle – pour devenir Van Helsing, Aladdin ou le narrateur non identifié. Sur scène, peu importait si j’échouais à performer la féminité blanche, car ma voix grave, ma présence et mes manières masculines y étaient des atouts. Sur scène, je pouvais tomber amoureux·se de Jasmine et le public m’applaudissait. »

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH
Ces témoignages sont issus des seuls huits livres étudiés. On en trouve des milliers d’autres sur toutes les plateformes (articles, podcasts, chaînes youtubes, etc.) qui donnent la parole aux personnes trans. Nous vous invitons à les lire20.
Après toutes ces belles paroles, ces définitions inaptes et ces témoignages précieux, nous voulons achever cet article par deux dernières citations illustrant parfaitement l’absurdité du genre selon le transactivisme : « il y a autant de genres que d’individus » (3) et « notre genre s’apparente à un flocon de neige : aucun n’est identique à un autre » (2). Des définitions bien plus utiles que celles basées sur le sexe des individu·es, surtout quand il s’agit, pour nous féministes, de dénoncer la domination d’un sexe sur l’autre, non ?
Ronces & Racines.
0 commentaires
0
Le constat : de l’injustice en ce bas monde

Le monde est beau, était beau avant qu’on ne le ravage. La vie est savoureuse – pourtant, on constate des horreurs « civilisées » quotidiennes, comme des génocides, des morts liées aux bouleversements climatiques, le massacre industriel de milliard d’animaux ayant vécu des vies dénuées de tout sens. On constate des injustices énormes dans le rapport à ces malheurs : les un·es souffrent, tandis que les autres profitent à leurs dépens, de façon stérile et superficielle.

Or, il s’avère que « les un·es » et « les autres » ne sont pas des catégories abstraites, gratuites : ce sont des groupes qui existent matériellement, qui sont distincts les uns des autres selon des critères définis, et dont l’un a imposé sa position dominante sur l’autre : la domination existe bel et bien, elle n’est pas purement théorique.
Ainsi, les hommes oppriment, tuent, violent les femmes ; les Blanc·hes occidentaux profitent d’un système institutionnel (État, Justice, Police/Répression…) fondé sur le racisme ; les colons exploitent et déciment les colonisé·es ; les humains « civilisés » font un carnage des autres animaux et du vivant en général, etc.
Ces dichotomies sont parfois fondées sur des distinctions réelles, qui permettent une catégorisation scientifique, mutuellement exclusive, des groupes d’individus. C’est le cas entre les femmes et les hommes (on ne peut pas être un peu mâle, un peu femelle, ou les deux à la fois), les humains et les autres animaux (on ne peut être à la fois humain et non-humain). Mais parfois pas : les colons, par exemple, ne se distinguent pas des colonisé·es par des caractéristiques absolues mais par le système colonial qu’ils imposent, de même que le concept de « race » est biologiquement inopérant chez les humains : il s’agit d’un système social imposé artificiellement (même s’il repose sur des différences physiques observables) et non exclusif (on peut être à la fois noir et asiatique et blanc, contrairement au sexe les mélanges sont possibles).
Dans l’oppression, la binarité ou la catégorisation factuelle se transforme en hiérarchisation qui, elle, est toujours sociale et parfaitement arbitraire. Comme si l’on disait que, parce que le bleu est différent du rouge, il lui était intrinsèquement supérieur, on décrète que celui à la peau claire vaut plus que celui à la peau sombre ; que l’être capable de produire des ovules est de fait inférieur à celui qui produit du sperme.
C’est complètement débile, évidemment. Alors, pour asseoir son autorité, le groupe dominant va enrober de mythes gluants la hiérarchisation qu’il opère. Ainsi, la « civilisation », Grandiose Œuvre du Développement et du Progrès humain, est vernie de valeurs estimées supérieures, décorée de croyances — profondément ancrées — en sa supériorité sur la nature décrite, elle, comme « primitive » et « vulgaire ». L’homme Viril, dépeint comme rationnel, intelligent, fort et cool, est désigné comme supérieur à la femme, cette chose fragile et hystérique, méprisable et superficielle : cette dichotomie s’appelle le genre, système de stéréotypes censé justifier la domination patriarcale.
Bref, la vie est belle, ou pourrait l’être sans ces saletés de hiérarchies créées par le pouvoir et le légitimant en retour. Personne ne vaut plus ou moins qu’autrui, personne ne mérite une vie moins digne qu’autrui. Nous savons que personne n’est libre si nous ne sommes pas toutes et tous libres : tant que ces injustices persistent, il va falloir se battre contre.
La définition du problème, sa circonscription
Or, pour se battre réellement, pour résoudre une situation d’injustice, il nous faut d’abord clairement la définir, la comprendre, pour penser ensuite les stratégies qui nous seront les plus utiles.
En effet, si nous ne comprenons pas que c’est tel chardon, et non tel trèfle, qui étouffe notre potager, nous aurons beau jeu de lutter dans le vent et de s’acharner contre la mauvaise plante. La première étape est donc la définition simple et claire, honnête et totale du problème. Or, n’en déplaise aux adeptes du culte de l’inclusion, définir c’est délimiter, c’est-à-dire, exclure. Une définition précise ne peut sémantiquement pas intégrer une chose et son contraire. Pour définir, il nous faut des critères. Ceux-ci doivent êtres quantifiables, qualifiables, observables. Ce qu’on va définir, ce sont d’abord les protagonistes de la situation d’inégalité : qui opprime, qui est opprimé ?
Une fois qu’on a défini les groupes auteurs et victimes de ces hiérarchies, le groupe opprimé pourra se reconnaître comme tel, développer une « conscience de classe », et lutter en tant que communauté contre le groupe reconnu comme oppresseur.
Prenons l’exemple du patriarcat, mode d’organisation sociale, politique et économique fondé sur le sexisme, c’est-à-dire sur la hiérarchisation entre les sexes (mais ce principe marche pour toutes les oppressions).
Chez les mammifères, on peut distinguer deux groupes d’individus en fonction de leur rôle dans la reproduction : les femelles sont les individus normalement capables de produire des grands gamètes et d’accueillir la vie dans leur ventre, tandis que les mâles ne savent produire que des petits gamètes. En fonction des espèces, on attribue différents noms aux individus en fonction de leur sexe : la biche et le cerf, la lapine et le lapin, et, tenez-vous bien, la femme et l’homme – car, je vous le donne en mille, notre espèce, si prétentieuse qu’elle soit souvent, ne se distingue pas, sur le plan de la reproduction, des autres mammifères.
Ici, le problème n’est pas cette différence naturelle, non, le problème est la hiérarchisation sociale qui en résulte : pourquoi diable le groupe qui produit les petits gamètes tourmente le second ?
Eh bien, du fait de son sexe, justement : les hommes veulent le contrôle du corps des femmes, de leur fécondité, de leur faculté de reproduire dans leur propre corps les membres de la société humaine.
Pour ça, on institue un outil fort pratique déjà évoqué plus haut, le genre, qui correspond à l’ensemble des stéréotypes affublés aux individus en fonction de leur sexe. C’est-à-dire le mythe à mille facettes qui va tenter de justifier la suprématie des Zhôms sur les Fâmes (je l’écris exprès comme ça, pour montrer que les Fâaames comme on l’entend dans la culture depuis l’enfance, ce n’est pas la même chose que les femmes, simplement adultes humaines femelles, pareil pour les Zhôms).
Selon les cultures, ce mythe va prendre des colorations différentes, mais sa finalité sera toujours la même : le pouvoir social des individus à appendice longitudinal sur les femmes.
Bref : le problème n’est pas la différence entre les hommes et les femmes, mais la hiérarchisation entre les zhôms et les fââmes.
La nécessaire radicalité
On a donc réussi à définir le problème : la hiérarchisation entre des groupes sociaux, quels qu’ils soient. Il s’agit maintenant de proposer des modes d’action pour y remédier.
Nous parlons de problèmes graves, sérieux : des choses qu’on veut abolir, éradiquer, résoudre définitivement. Quand on fait face à un génocide, on ne veut pas « adoucir le génocide » en légiférant pour en interdire les pires « dérives ». Non : on veut qu’il cesse pour toujours. Idem pour la prostitution, l’esclavage, toutes ces horreurs dans lesquelles des millions d’individus sont torturés, violées, méprisés – tuées.
Quand la nature est dévastée, on ne peut souhaiter s’accommoder de cette dévastation en remplaçant les pailles en plastique par des pailles green en bambou green : on veut y mettre un terme. On veut que pas une seule espèce animale de plus ne s’éteigne, que pas un seul kangourou supplémentaire ne meure dans un incendie causé par l’humain, que pas un seul hérisson ne soit encore sauvagement écrabouillé par les roues d’un SUV.
Quand les femmes ont toutes subi des agressions sexuelles à différents degrés ; quand plus de cent mille femmes sont tuées chaque année dans le monde parce que femelles ; quand le viol est employé comme arme de guerre, et quand les mutilations génitales féminines – mutilations des organes génitaux, biologiques, pas du genre, donc – sont encore pratiquées par millions sur la planète, on veut mettre un terme définitif à l’impunité, à l’ultraviolence et à la prétention cruelle des hommes. On ne veut pas que les femmes aient « un peu moins peur » dans la rue ou dans leur foyer, qu’elles se fassent « un peu moins défoncer la gueule » par leur conjoint, « un peu moins violer » dans le porno. On veut détruire le système qui permet cette violence ubiquitaire des hommes sur les femmes.
Ça, c’est la r a d i c a l i t é. C’est-à-dire, étymologiquement, littéralement : « prendre le problème à la racine », pour qu’il ne repousse pas sur une souche mal abolie. ON NE VEUT PAS repeindre notre cage en doré, en rose poudré ou en verdâtre, mais bien démanteler la cage, barreau par barreau et aussi longtemps qu’elle tiendra debout.
La radicalité est, par essence, incompatible avec le réformisme (pratique qui consiste à introduire des réformes politiques en restant dans le cadre institutionnel existant, celui-là même qui participe au maintien des oppressions qu’on combat). On ne peut à la fois aménager notre cage avec des petits coussins douillets, et s’activer à la détruire.
On ne peut lutter contre l’industrie ET prôner une industrie capitaliste et durable. C’est un oxymore.
On ne peut pas lutter pour l’émancipation totale, absolue, sans condition, des femmes, pour leur libération en tant que classe de sexe, ET prôner le renforcement de l’outil de notre oppression, le genre, notamment en en faisant une « identité ».
On ne peut lutter contre l’exploitation sexuelle tout en prétendant s’empouvoirer en s’autosexualisant pour le plaisir de ceux qui nous oppriment. De toute façon, on ne peut pas prétendre qu’un truc que les zhôms attendent de nous puisse être féministe ou libérateur.
Ami·es libérales, ne voyez-vous pas la contradiction criante de votre idéologie ? Ne percevez-vous pas le manque d’ambition, d’intégrité, d’honnêteté du libéralisme – qui en réalité confine à l’individualisme triste, qui en réalité ne profite qu’à quelques individus privilégiés à l’échelle du monde, sans remettre en question les fondements de toutes les oppressions que vous pensez combattre ?
Si vous avez réellement soif de justice, ne voyez-vous pas l’importance d’une cohérence radicale et d’une intégrité véritable ? Sans rien concéder à la facilité et au confort(misme), à la paresse intellectuelle ?
Ne comprenez-vous pas que ce positionnement radical résulte d’un besoin profond d’équité, d’amour de la liberté (la vraie, commune, pour toutes et tous, pas que pour quelques Occidentaux privilégiés) et de la justice – et non pas de la haine que vous vous exténuez à projeter sur nous ?
Ne percevez-vous pas que la position réformiste des libéraux en tout genre ne servira jamais la libération totale, générale, de tous les groupes opprimés, puisqu’elle ne prend en compte que les intérêts de riches et d’Occidentaux déjà privilégiés : c’est le cas des « écolos » du vendredi, qui vantent les bienfaits des voitures électriques et de l’internet collaboratif (qui reposent sûrement sur un extractivisme vert, éthique et sur une destruction raisonnée des océans, hein), bref, qui pensent que si la destruction coloniale est trop lointaine pour être directement visible, elle en devient tolérable.
C’est le cas des queers, qui n’aspirent qu’à « subvertir » le système oppressif, donc pas à le briser. En préférant transitionner d’une case à une autre (cases de genre, donc de clichés néfastes, puisque le sexe, faut-il le redire, ne peut être modifié), non seulement ne remettent pas en cause le patriarcat, mais en plus retirent aux femmes les mots mêmes de leur lutte, les mots qui leur servent à se nommer et à nommer leurs oppresseurs. Le tout, avec le soutien évident et mielleux de l’immense industrie chirurgicale, esthétique et pharmaceutique – qui, comme sa comparse l’industrie pornographique, est constituée d’extrêmes gauchos, n’est-ce pas.
C’est le cas, encore, des trotskystes-léninistes, qui veulent que les ouvriers se réapproprient les outils de la production, sans remettre en cause le moins du monde l’existence même de cette production de masse, de ses machines et industries destructrices, polluantes et funestes.
Voilà, avec ce petit texte évidemment j’ai l’impression de réinventer l’eau tiède, mais parfois, probablement, les choses basiques sont bonnes à être rappelées. La radicalité est indispensable si l’on souhaite faire quelque chose de concret contre les injustices du monde. Je ne sais pas comment mettre en place cette radicalité dans tous les domaines, car c’est quelque chose que nous devons discuter ensemble, en commun. Personne n’est capable de nous donner toutes les réponses. Mais ce qui est sûr, c’est que l’action doit commencer par une réflexion honnête : il s’agit de ne pas se voiler la face, ne pas se mentir à soi-même, ne pas se satisfaire de mensonges duveteux et de (non)solutions simplistes. De ces fausses solutions qui nous permettraient par exemple, à nous, gens de gauche et anarchistes occidentales, de continuer à mener nos modes de vie confortables sans rien changer, avec la conscience plus ou moins tranquille (au prix d’une importante dissonance cognitive, toutefois).
La radicalité n’est ni extrémisme, ni amertume, ni cynisme : elle est simplement la soif de justice, de dignité et de beauté pour toutes et pour chacun.

Anir, publié le 24 décembre 2024.

0 commentaires
0

Le consentement est utilisé, dans les débats sur la prostitution, pour porter la lumière sur celles qui subissent plutôt que sur ceux qui violentent. Parler du « choix des femmes » dans la pornographie et la prostitution revient à tirer un épais rideau entre ce qui est présenté sur la scène (les corps exposés, leur disponibilité apparente, le consentement de surface), et ce qui est dissimulé en arrière-plan (des industries profondément misogynes et prédatrices, la manière dont le consentement s’est formé ou a été extorqué). On voudrait nous faire croire que les femmes choisiraient d’être en situation de prostitution, d’être des objets de la pornographie, de se soumettre aux désirs d’hommes et ce, dans une prétendue démarche féministe de libre disposition de leur corps et leur sexualité.

L’illusion d’une sexualité « libérée & positive »
Ne connaître de la sexualité que ce que la culture patriarcale nous en a appris amène certaines femmes à penser l’intime selon le prisme masculin. La définition féministe selon laquelle le fait d’avoir des rapports sexuels avec une personne qui ne le désire pas constitue un viol disparaît mystérieusement lorsque de l’argent rentre en jeu. Comme si la nature transactionnelle de l’acte, ou le fait qu’un homme ait sciemment des relations sexuelles avec une personne subordonnée (c’est la partie qui paie qui détient le pouvoir, à l’instar du patron et de l’employé·e), annulait le traumatisme. L’autrice Rhéa Jean, explique dans L’intime et le marché que « la personne dans la prostitution dit d’abord « non » à la rencontre sexuelle par le fait de ne pas être accessible autrement que par l’argent. Ainsi, la prostitution dépend non pas d’un consentement préalable [..] mais d’un refus initial. »
Une personne sexuellement libérée cherche d’autres personnes libres et égales avec qui partager un désir mutuel. Elle ne monnaie pas son intimité, et encore moins ne soudoie des femmes qui ont besoin d’argent. Quiconque propage l’idée que le sexe peut être un service offert aux hommes légitime le fait de ne pas tenir compte du désir, du confort et des limites de ses partenaires sexuel·les. C’est la continuité de la culture du viol qui invisibilise la sexualité et le plaisir des femmes. La pornographie s’aligne sur le discours des défenseurs de la prostitution en parlant de « sexualité positive, libérée », et bénéficie d’un statut protégé dans les cercles de gauche, qu’elle ne mérite absolument pas. Comme l’explique la journaliste Gloria Steinem, « nous prétendons que le porno est sexuellement libérateur, alors qu’il renforce tous les stéréotypes sexuels et raciaux que nous abhorrons1. »
Un choix favorisé par la société

« Le fait que le choix d’une femme soit inégal à celui d’un homme dans cette société est la raison pour laquelle les prostituées sont principalement des femmes et des filles, et pourquoi les prostitueurs sont presque toujours des hommes2. »
Témoignage de Chelsea Geddes, survivante de la prostitution.
Personne ne suggère jamais à un homme de louer ses prestations sexuelles lorsqu’il est en difficulté financière, mis à part sur le ton de la plaisanterie. L’inverse est faux. Pour les femmes, c’est suggéré, et bien loin d’être une blague. S’il est plus facile pour les femmes de se dégrader sexuellement (notamment contre de l’argent), c’est d’une part à cause des agencements de nos sociétés, qui font en sorte que ce soit le cas pour elles de par leur socialisation, les traumatismes qu’elles subissent, ainsi que par les représentations médiatiques qui contribuent à normaliser leur objectification. Tout un discours contribue à cette normalisation : depuis les slogans mensongers qui affirment que la prostitution serait le plus vieux métier du monde (lire notre article La prostitution : une question de vocabulaire ?), en passant par le discours libéral qui promeut la pornographie et la prostitution comme un moyen d’autonomisation et d’empouvoirement pour les femmes (et seulement elles), jusqu’à la publicité sur les réseaux sociaux, à l’instar de celles de la plateforme Onlyfans, qui cible tout particulièrement les jeunes femmes sans le sou « qui en auraient assez de se nourrir de ramen à 99 centimes3 ». Tandis que les hommes ne s’imaginent jamais adopter une telle « activité », car la société les pousse à s’imaginer plutôt dans le rôle du « client ».
Les jeunes femmes elles-mêmes ironisent parfois sur le fait d’en venir à vendre leurs sous-vêtements, des photos dénudées ou de leurs pieds, ou encore à accepter les avances d’hommes riches, si elles échouent dans leurs études, dans leur carrière ou si elles se retrouvent dans une situation difficile. C’est bien parce qu’elles savent inconsciemment que si l’industrie du sexe était un choix, il serait celui de celles qui en possèdent le moins.
Lorsque l’on écoute les discours de femmes qui affirment avoir choisi la prostitution, derrière l’écran de fumée du « je suis ma propre patronne, je travaille quand je le veux », on découvre rapidement une précarité financière, un isolement, des violences, un ou plusieurs burn out qui rendent le travail salarié difficile, un conjoint qui « suggère » l’idée, etc.
Dans Grandir dans une société hypersexualisée, nous avons vu que les adolescentes de 18 – 19 ans qui entrent dans l’industrie des films « pour adultes » avouent candidement avoir visionné de la pornographie depuis un très jeune âge.
Cette information est loin d’être anecdotique, et bien connue des pornographes pour qui cette violation de l’esprit en maturation est une aubaine. Elle leur donne accès à un vivier de très jeunes femmes déjà formatées et désensibilisées à la violence sexuelle. Dans le documentaire Pornocratie4, un réalisateur français exilé en Hongrie, accusé maintes fois de faits de viols — qu’il n’hésite d’ailleurs pas à monétiser en les publiant en ligne, avoue de lui-même que certaines jeunes actrices affirment le connaître et regarder ses vidéos pornographiques depuis qu’elles ont seulement huit ans. Bien souvent, c’est l’âge auquel elles ont eu un accès sans surveillance à Internet. Ce qui ne peut laisser indemne le développement de leur identité.
Dans son ensemble, l’industrie de la pornographie bénéficie de l’infraction psychique perpétrée sur les jeunes femmes exposées à de telles images, qui en viennent à penser les corps comme des marchandises. Mais de quelle liberté de choix parle-t-on lorsque des adolescentes, à 18 ans à peine, décident de devenir l’objet de la pornographie, lorsqu’elles traînent derrière elles une décennie d’exposition à des images pornographiques violentes ?
Comme expliqué dans L’Alinéation traumatique, les violences subies entraînent diverses répercussions sur la personnalité et la sexualité d’une personne. La psychothérapeute Michaela Huber explique que « pour permettre à des inconnus de pénétrer son corps, il faut éteindre certains phénomènes naturels : la peur, la honte, le dégoût, l’étrangeté, le mépris et le sentiment de culpabilité. À leur place, ces femmes mettent l’indifférence, la neutralité, une conception fonctionnelle de la pénétration, une réinterprétation de cet acte comme un « travail » ou un « service » 5 ».
Le consentement face à la prédation

« Nous apprenons aux filles à être aimables, gentilles, hypocrites. Et nous n’apprenons pas la même chose aux garçons. C’est dangereux. Tant de prédateurs sexuels en ont tiré parti. »
Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, Chimamanda Ngozi Adichie.
Comme nous l’avons vu dans Formuler le refus est une compétence, la socialisation genrée entraîne une véritable différence d’assertivité entre les sexes. Les prédateurs ayant parfaitement conscience des mécanismes de domestication par lesquels les femmes passent, ils n’hésitent pas à les utiliser à leurs fins, notamment dans l’industrie des films pour adultes.
Dans le documentaire Beyond Fantasy6, un ancien producteur de films pornographiques explique qu’il dissimulait les conditions du contrat en amont, donnait le moins d’informations possible au préalable, jusqu’à ce que les jeunes femmes se retrouvent physiquement dans un environnement qu’il contrôlait. Il utilisait cette méthode coercitive d’autant plus s’il pensait qu’elles refuseraient de venir si elles savaient ce qu’il attendait d’elles. Bien qu’elles aient signé des « formulaires de consentement », ceux-ci n’étaient pas valides car elles ne disposaient pas de toutes les informations.
Dans le même documentaire, un autre ancien pornographe dévoile la manière dont ses confrères font en sorte d’obliger de jeunes actrices à céder à des pratiques sexuelles qu’elles ont catégoriquement refusées, usant de la surprise et de la coercition : ils les engagent pour une scène, éludant les détails, attendent qu’elles se soient suffisamment investies (biais cognitif du coût irrécupérable), de par le temps de trajet, la préparation pour le maquillage et la coiffure, la séance photo qui précède la scène, les premiers rapports sexuels, etc. Puis, tout d’un coup, usant de la surprise, les pornographes imposent une pratique refusée, expliquant que c’est obligatoire, car étant l’objet central de la scène pour laquelle elle ont été engagées. Si les actrices ne cèdent pas, elles repartiront sans être payées pour ce qu’elles ont déjà fait, et seront suivies par une mauvaise réputation qui les empêchera d’évoluer dans le milieu. Évidemment, une fois nues, exposées, seules, aveuglées par les projecteurs et entourées de plusieurs hommes bien plus âgés, dans un environnement qu’ils contrôlent, avec toute cette pression qu’ils mettent sur leurs épaules, elles se retrouvent à céder.
Lana Rhoades, ancienne « star porno », se remémore en pleurs dans un podcast une situation similaire : à 20 ans, elle se retrouve sur un plateau de tournage, seule, sans son agente, et est incapable d’exprimer son refus d’exécuter un acte inattendu. Elle se retrouve alors à laisser le pornographe uriner dans sa gorge7.
Cette forme de prédation est loin d’être réservée aux productions étatsuniennes, la pornographe et ancienne actrice x française, Liza Del Sierra, explique qu’elle faisait la même chose jusqu’à récemment sur le plateau de Ça Commence Aujourd’hui8 : « j’ai eu des comportements inappropriés avec des comédiennes ». Elle leur disait : « ça va, tu serres les dents pendant 20 minutes, j’aurais ma position [acte sexuel], si tu me fais galérer, on va y passer deux heures ». Comportement qui lui semblait normal car c’est exactement ce qu’elle avait elle-même connu dans cette industrie pendant une décennie : des pornographes qui franchissent les barrières érigées par les actrices, quand elles arrivent à exprimer des limites. Pour chaque actrice qui affirme être bien traitée, combien vivent un calvaire ?
Les témoignages recueillis lors de l’enquête sur l’un des rabatteurs de la pornographie française9 et pour le rapport du Sénat10 de 2022 permettent de comprendre la manipulation opérée pour que des femmes consentent, parfois, à faire le premier pas dans leur propre déshumanisation, puis l’engrenage qui s’ensuit. L’idée est toujours la même, amener la proie à penser qu’il s’agit d’un choix qui peut régler une bonne partie de ses problèmes.
Lorsque l’on confronte des consommateurs de pornographie à ces méthodes, ils nous répondent que ces femmes « l’ont choisi », ou encore « qu’elles aiment avoir des relations sexuelles et être payées pour » (si tant est que l’argent leur revient), qu’importe si la scène en question inclut des violences physiques réelles, et bien qu’il leur soit impossible, depuis leur écran, de déterminer si la personne a réellement consenti aux actes sexuels effectués, ni à ce que la vidéo soit diffusée. Et quand bien même elle y aurait consenti à l’époque du tournage, est-elle toujours d’accord pour que, parfois des années plus tard, la vidéo soit encore accessible à n’importe qui ? Les moyens de production et la source de ces images restent flous pour les consommateurs qui ne voient que des catalogues de vidéos qui entremêlent images légales et illicites. Pornhub a hébergé des vidéos de pédopornographie11 et de revenge porn, c’est-à-dire des vidéos diffusés sans l’accord des femmes filmées dans le but de les faire souffrir. L’entreprise qui possède Pornhub, nommée MindGeek à l’époque des faits (désormais Aylo), a avoué, lors de sa condamnation, avoir profité du trafic sexuel généré par ces vidéos12.
Rappelons que, dans la pornographie, contrairement à d’autres types de production cinématographique, il n’y a pas d’effets spéciaux, pas de fond vert. On entend souvent que la pornographie est de l’ordre du fantasme, de la fiction. Or, elle ne se réduit pas à une simple représentation, l’acte y est bien réel. La violence, les insultes, les humiliations et les tortures sont subies par de vraies femmes, dotées, s’il fallait le rappeler, d’une sensibilité physique et émotionnelle.
Parfois, les défenseurs de ces industries tordent leurs propres arguments pour parler de « meilleures conditions de travail » pour la prostitution et la pornographie, à l’instar des « meilleures conditions d’abattage » pour les autres animaux. Une vision welfariste13 (welfare veut dire bien-être en français) car il est impossible pour ces gens-là d’imaginer que l’accès aux corps des femmes, à travers des écrans ou directement entre leurs mains, puisse cesser d’exister.
Le consentement est une excuse

« Le consentement est le principal prétexte, légal et social, de ne rien faire contre les agressions sexuelles. »
Catharine MacKinnon, interviewée pour Le Monde14
Le mythe d’une égalité déjà acquise entre les femmes et les hommes est bien ancré, tout comme les arguments relatifs au choix. Ce discours entrave notre capacité à remettre en question les mécanismes de la prostitution, c’est d’ailleurs son but. Le consentement sert de bouclier dès lors que l’on pose des questions, que l’ont émet des réserves quant à l’agentivité réelle des femmes en situation de prostitution, alors qu’il est une notion bien trop limitée pour servir d’argument incontestable. Il est façonné et contraint par les conditions inégales dans lesquelles nous vivons, qui plus est lorsque nous pouvons intérioriser dans nos corps et notre pensée les mécanismes de la domination.
Chaque fois que nous dénonçons l’industrie sexuelle et sa violence (qui en fait partie intégrante, et sur laquelle elle se fonde), la discussion se transforme rapidement en débat sur le choix, annulant les discussions. Mais le féminisme ne débat pas de « choix » individuels. Le choix de faire ce que l’on veut, ce n’est pas le féminisme, c’est la liberté telle que la conçoit le libéralisme15. Le féminisme n’est pas la valorisation des ressentis personnels, c’est une lutte systémique qui dépasse largement les choix individuels et qui a pour but de libérer les femmes en tant que classe sociale, d’abolir le patriarcat et ses systèmes d’oppression. Qu’une poignée de femmes puissent peut-être trouver de l’empouvoirement (acquérir un maximum de pouvoir dans la société telle qu’elle est) dans l’industrie sexuelle ne signifie pas qu’il s’agit de féminisme. Cet empouvoirement ne remet rien en cause, certainement pas l’exploitation sexuelle des femmes, ne challenge pas la société patriarcale, et maintient le statu quo avec les hommes, c’est-à-dire la situation d’inégalité et d’oppression. Il met l’accent sur le succès individuel, à travers l’argent, de quelques personnes, au lieu de privilégier l’intérêt général de toutes les femmes.
Au lieu de parler du soi-disant choix des femmes, nous devrions porter notre attention sur le comportement des hommes, car ce sont eux qui commettent l’écrasante majorité des actes de violence, et bâtissent des industries avilissantes pour leur propre profit. Car en parlant de notre « droit à nous vendre », nous omettons le droit des hommes de nous acheter.
Une chose est sûre, il n’y a pas d’égalité dans l’industrie sexuelle. Derrière le mur imaginaire du consentement, subsiste la violence d’institutions profondément misogynes.

« Il était une fois, au début de cette vague féministe, un consensus reconnaissant les choix des femmes comme construits, imposés, encadrés, altérés, limités, contraints, façonnés par le patriarcat. Personne n’entendait par là que les choix des femmes étaient déterminés, ni que les femmes étaient des victimes passives ou impuissantes du patriarcat. »

Libéralisme sexuel et reproductif, Janice G. Raymond16.
Morgane.
0 commentaires
0

L es violences entraînent diverses répercussions sur la personnalité d’un·e individu·e, aussi bien dans sa relation à soi, que dans celle avec autrui. Démunie, une victime de violence peut se retrouver à bricoler des solutions de survie psychique d’urgence, telles que la passivité, l’identification à l’agresseur, une personnalité adaptée aux circonstances, une banalisation des actes subis, de la dissociation, etc. Des solutions qui permettent d’amoindrir la souffrance sur le moment, mais qui, en s’installant dans le quotidien, entravent la capacité de la personne à consentir de manière éclairée et à se protéger de nouvelles agressions.

L’aliénation par le viol
Aucune femme ne tombe par hasard dans la prostitution. Il n’existe pas non plus de sous-espèce de femmes prédisposées à assouvir les désirs sexuels des hommes afin de gagner leur vie. En réalité, l’entrée dans la prostitution se fait toujours par un glissement, une conjugaison de plusieurs facteurs1 : dénuement affectif, entourage dysfonctionnel, misère, fugue, coercition, agression sexuelle, inceste, addiction… Selon les estimations, entre 50% et 70% des personnes prostituées rencontrent des troubles psychiques2 : fragilité psychologique, dépression, syndrome post-traumatique, entre autres. En outre, 60 à 70 % des personnes prostituées déclarent avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles antérieures à l’entrée dans la prostitution3.
À la suite d’un viol, certaines femmes en viennent à minimiser ce qui leur est arrivé, afin d’apaiser, sur le court terme, la souffrance causée par ce traumatisme1. Ce déni est encouragé et facilité par la culture du viol (ensemble des comportements qui banalisent, excusent et justifient les agressions sexuelles) qui imprègne notre société.
Ainsi, pour les femmes dont on a réduit, par le passé, la souveraineté sur leur propre corps, la prostitution apparaît comme une solution, mêlant illusion de liberté et de pouvoir, de reprise de contrôle sur les violences passées en reproduisant l’acte subi (répétition traumatique), ou en faisant « payer » le client de son argent.
Dans son livre Il n’y a de lumière que dans la nuit, Caroline Doléans explique avoir commencé à se prostituer suite à un viol en réunion subi à 18 ans. Elle estime que cela lui donnait l’impression de reprendre le pouvoir. Il est à comprendre que le rapport prostitueur / prostituée est un viol, mais lorsqu’elle, la femme, se positionne elle-même dans le rôle de prostituée, elle pense pouvoir à minima émettre des réserves ou exercer une forme de contrôle dans l’acte sexuel. C’est une chose qu’elle n’a pas le sentiment de pouvoir faire en dehors du cadre de la prostitution, car elle peut choisir (parmi ceux qui la sollicitent) lequel sera le violeur, la manière dont son corps sera violé, où et quand cela se passera, et un dédommagement immédiat sous la forme d’une compensation financière. Virginie Despentes décrit également ce processus dans King Kong Théorie : « La prostitution a été une étape cruciale, dans mon cas, de reconstruction après le viol. Une entreprise de dédommagement, billet après billet, de ce qui m’avait été pris par la brutalité. » Elle explique dans le même ouvrage que « le viol fabrique les meilleurs putes ».
Or, on ne guérit pas le viol par le viol. C’est comme rouvrir inlassablement ses propres blessures en espérant qu’elles guériront mieux cette fois-ci, alors qu’on ne fait que fragiliser davantage sa peau déjà meurtrie.
L’inceste, terreau de la prostitution
Dans Prostitution and Male Supremacy4, Dworkin écrivait « l’inceste est la filière de recrutement [pour la prostitution]. C’est là qu’on envoie la fille pour lui apprendre comment faire. […] On l’entraîne. Et l’entraînement est spécifique et crucial : on l’entraîne à ne pas avoir de véritables frontières à son propre corps, à être bien consciente qu’elle n’est valorisée que pour le sexe, à apprendre au sujet des hommes ce que l’agresseur sexuel lui apprend. ». En d’autres termes, une enfant qui subit l’inceste a pour terrain une expérience familiale marquée par des abus sexuels, une dynamique alors bien connue par l’enfant, où les choses sont prévisibles, qui sait quel est son rôle, quelles sont les attentes. Il n’est alors pas surprenant que presque la totalité des mineures en situation de prostitution aient subi des violences sexuelles5.
Celles-ci introduisent l’enfant à la sexualité par une sur-stimulation physique et psychologique négative, et cela peut avoir un impact considérable sur son intégrité physique et sur son sens sexuel de soi6. En résulte soit une honte écrasante aboutissant à un retrait sexuel, soit une activité sexuelle compulsive et aveugle7, c’est-à-dire par exemple accepter n’importe quel étranger pour partenaire sexuel, en dépit de son attirance, orientation sexuelle ou désir. Une sexualisation traumatisante entraîne une confusion sur les normes et les standards sexuels (comportements et actes sexuels attendus dans le contexte intime)8, ce qui facilite l’entrée dans la prostitution où seules les demandes des hommes prostitueurs comptent.
Le désir des survivantes de violences sexuelles peut aussi se retrouver fortement altéré, se construisant parfois à partir de traumatismes, surtout si ces derniers sont renforcés par l’exposition à des images dégradantes, comme expliqué dans l’article Grandir dans une société hypersexualisé.
Dans une entrevue du podcast Other People’s lives9, une femme explique avoir développé des fantasmes d’inceste à l’endroit de ses frères et sœurs à la suite des actes de son père incestueux, renforcés par une consommation de pornographie depuis l’âge de 9 ans, et la découverte à 12 ans d’une communauté qui s’organisait et diffusait de la pornographie incestueuse réelle sur Tumblr. Les membres de cette communauté n’hésitaient pas à présenter leur carte d’identité comme preuve du lien familial. Si en 2018, la plateforme a dû abandonner une partie de son contenu pornographique, il est notoire que le réseau social en hébergeait sans modération, au point que Pornhub ait été intéressé par le rachat de la plateforme10. Non seulement les traumatismes peuvent causer des pensées intrusives indésirables, mais ces dernières peuvent se voir alimenter via du contenu et des communautés en ligne, au lieu de trouver le soutien nécessaire afin de les surmonter.
L’incestuel : un climat (trop) intime
Bien que l’inceste reste tabou, ses répercussions sont assez connues, contrairement à celles relatives au climat incestuel, dynamique familiale dysfonctionnelle, qui porte l’empreinte de l’inceste sans passage à l’acte.
Concept théorisé par Paul-Claude Racamier, l’incestuel interdit à l’enfant d’ériger ses propres limites et barrières dès le berceau familial. Véritable climat de confusion des places au sein de l’unité familiale, il infiltre la strate du quotidien en toile de fond, telle une ambiance ordinaire, dans laquelle l’enfant évolue, dépourvu d’intimité propre à sa personne11. Tout est partagé, mélangé, à la vue de toutes et tous, même entre les différentes générations. L’espace personnel intime n’a pas d’existence, l’intrusion n’est pas nommée, ainsi on entre dans les chambres et les salles de bain comme s’il s’agissait d’espaces communs, sans frapper ; on interdit à l’enfant de fermer la porte de sa chambre à clef, voire de la fermer tout court, ou bien même d’avoir une porte. Le parent interfère dans la sphère intime de l’enfant et dévoile la sienne en toute banalité.
Il s’agit de sexuel-non-sexuel : la sexualité est partout mais déniée, banalisée. Le déni d’enfance assigne l’enfant à une place équivalente à celle de l’adulte, tout est montré sans filtre ; aucune image n’est considérée comme trop violente ; aucune plaisanterie n’est trop obscène, les adultes ont des paroles génératrices d’images sexuelles, des commentaires sur les corps, etc11. L’adulte, du fait de sa position d’autorité, objecte à l’idée de consentement ou d’indépendance de l’enfant, qui grandit avec des repères biaisés et une absence de limites protectrices, qui le ou la rendra d’autant plus susceptible à la victimisation au cours de sa vie12.
Dans le podcast La Vie En Rouge13, Valérie, l’une des personnes interviewées, raconte la relation entre son père et elle, teintée d’incestuel. Bien qu’il n’ait jamais franchi la limite du passage à l’acte de l’inceste, il n’hésitait pas à cacher sa collection de pornographie dans sa chambre d’enfant, à se servir d’elle, une fois majeure, pour entrer dans des clubs libertins (venir accompagné d’une jeune femme plutôt que de se présenter en tant qu’homme seul, quand bien même il s’agit de sa propre fille), ou encore jouer le chauffeur pour l’emmener voir des prostitueurs.
Ne parlons pas de choix
Comme l’explique Michaela Huber, « la plupart des femmes prostituées ont appris, par la violence sexuelle ou la négligence dans leur enfance, à se déconnecter d’elles-mêmes14 ». Elles subissent donc des conséquences psychologiques qui entraînent une altération de leur capacité au consentement. Rechercher du plaisir dans la dégradation sexuelle est une conséquence de l’excitation post-traumatique. Parler de « prostituée heureuse », du « plus vieux métier du monde », « d’argent facile » et de « choix » est bien souvent un déni d’aliénation traumatique, alors que l’accent devrait être mis sur les conditions dans lesquelles la personne s’est retrouvée en situation de prostitution, et sur l’aide psychologique que l’on devrait lui apporter, afin de l’aider à s’en sortir réellement.
Morgane.
0 commentaires
0

« Nous vivons dans un monde rempli de femmes incapables de respirer librement parce qu’on les a conditionnées […] à se contorsionner pour tenter de se rendre aimable. »
Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, Chimamanda Ngozi Adichie.
De la difficulté à faire respecter ses limites

Lorsque Simone de Beauvoir écrivait « on ne naît pas femme, on le devient1 », elle décrivait la socialisation genrée comme un système de dressage par lequel la petite fille passe, bien souvent inconsciemment, pour correspondre, une fois adulte, aux attentes de la société patriarcale.

Cela commence par un conditionnement aux rôles genrés, par des jouets étiquetés féminins qui nous apprennent la servitude (dînette, ménage, etc.) et la soumission aux normes de beauté (maquillage, tête de poupée à coiffer, etc.). Même les vêtements des petites filles privilégient les thèmes de l’amour et de l’apparence, avec des messages tels que « be kind », « la plus jolie », « smile ». Le dressage se poursuit par une « éducation » à la sexualité où nous apprenons à prioriser les désirs des hommes — soi-disant irrépressibles par nature, contrairement aux nôtres. 
Ainsi, nous toutes, internalisons des injonctions qui jouent en notre défaveur. Nous apprenons à faire passer les autres avant nous-mêmes ; à prendre soin ; à ne pas occuper trop de place ; à être passives. Et puis, il y a tout ce que nous n’apprenons pas ; à formuler un refus, à s’imposer, à faire valoir nos droits, à faire respecter nos limites. Il en résulte une véritable différence d’assertivité entre les sexes.
À force d’être celles qui prennent soin, les femmes finissent par ressentir de la culpabilité si elles osent exprimer un rejet. Il est ainsi plus difficile pour elles d’exprimer ce qu’elles veulent et, surtout, ce qu’elles ne veulent pas.
S’ajoutent parfois à cela des dynamiques familiales dysfonctionnelles ; une parentification3 qui rend prompt à arrondir les angles pour les autres, à accepter des choses qui nuisent à leurs propres intérêts dans le but d’apaiser autrui ou afin de détourner une attention négative4. Certain⸱es grandissent en apprenant que répondre « non » entraîne des conséquences. Comme l’explique Lindsay Gibson, « nombre d’enfants de parents abusifs apprennent à se soumettre aux souhaits d’autrui5 ».
Mais faudrait-il encore que nos limites soient respectées, car la parole des femmes n’a pas la même valeur que celle des hommes en société patriarcale. Comme le décrit si bien Gavin De Becker, « lorsqu’un homme dit non, la conversation prend fin. Lorsqu’une femme dit non, c’est le début des négociations6. »
Ainsi, en réponse à notre refus, nous entendons bien souvent : « Mais, je t’ai payé un verre ; un dîner ; offert un cadeau ; ai été gentil avec toi, ce serait bien de retourner la pareille », c’est-à-dire en cédant.
Certains exigeront des raisons pour ce refus, et des raisons valables selon leurs standards. Combien d’entre nous ont prétexté avoir déjà un partenaire pour être laissées en paix, quand bien même c’était faux ? La raison est que, souvent, les hommes ne respectent que les autres hommes. Certains seront enclins à respecter la « propriété » d’un autre, alors que le refus d’une femme n’est pas interprété comme définitif. Nous en sommes venues à voir des jeunes femmes qui partageaient leurs techniques contre le harcèlement de rue7. L’une d’elles, par exemple, consiste à s’agiter vivement afin de signaler la folie pour faire fuir ces hommes qui, elles le savent, balayeront leur non d’un revers de main.
Dans certaines situations, telles que le couple ou les rendez-vous romantiques, ne pas réussir à formuler un refus, ou voir ce dernier balayé par des négociations, fait du rapport sexuel une obligation dont il est difficile de se dépêtrer. Une française sur deux déclare avoir déjà ressenti une « dette sexuelle8 ». Certaines refusent que l’homme paie l’addition pour ne pas lui être « redevable ». D’autres pensent avoir trouvé la solution de ce déséquilibre dans le discours libéral et capitaliste du « sexe gratuit versus sexe payant », c’est-à-dire qu’elles demandent à être payées afin de ne pas se retrouver complètement « lésées » par ces rapports de force. Selon cette logique, quitte à subir un rapport sexuel, autant en retirer économiquement quelque chose.
La socialisation genrée encourage la prédation
La prédation masculine est facilitée par cette socialisation différenciée des femmes et des hommes. On apprend aux hommes qu’une femme qui n’est pas intéressée « joue les difficiles », « qu’elle se fait désirer », et qu’il leur faut simplement les gagner à l’usure. Les films et séries regorgent de scénarios qui confondent contrainte et séduction9, utilisent le topos de la résistance symbolique10, des scénarios dans lesquelles des personnages masculins finissent par obtenir la femme de leur rêve en s’obstinant, à l’instar de Léonard dans The Big Bang Theory, qui explique en long et en large à un groupe de geeks « avoir eu » Penny à l’usure. Dans pléthore de films, le premier rôle féminin exprime clairement son désintérêt à celui qui essaie de la séduire, mais il finit par la « gagner » après un geste héroïque.
Dans tous les cas, le refus de la femme est simplement vu comme une barrière à abaisser, qu’avec un peu de force (qu’elle soit dirigée à l’endroit de la promise, ou dans l’accomplissement d’un geste héroïque), de persuasion et de persistance, il est possible de fléchir jusqu’au sol. Ainsi, le refus initial d’une femme ferait partie du jeu de la séduction.
La socialisation masculine, qui englobe également la question de la sexualité, est basée sur la domination (le pouvoir) et la violation (des limites et des corps). Dans nombre d’œuvres de fiction ciblant un public masculin, nous retrouvons l’image de soldats, de guerriers, d’hommes de pouvoirs. Il s’agit rarement de leçons de partage et de respect des limites d’autrui. Est mis en avant que la finalité à atteindre importe plus que les moyens (guerre, vol, violence, atteinte à l’intégrité, etc.).
La séduction ne serait pas un tango à deux, mais une poursuite : le prédateur chassant la proie. C’est aussi ce que régurgitent les influenceurs masculinistes : il ne s’agit que de méthodes de chasse et de négociations. La problématique initiale n’est jamais « est-elle intéressée par ma personne ? », mais toujours « comment faire pour l’avoir ? ». Cette vision de la séduction est, aujourd’hui encore, inculquée aux garçons. Ainsi, le fait d’être insistant leur parait normal et n’est pas perçu comme du harcèlement. Les prédateurs, quant à eux, ont parfaitement conscience des mécanismes de domestication par lesquelles les femmes passent, et les utilisent à leurs fins.
Les hommes (ceux qui ne sont pas des prédateurs) ont parfois des difficultés à comprendre ce fait. Parce qu’ils n’ont pas, contrairement aux femmes, été socialisés à l’empathie et au don de soi ; ils ne comprennent pas la coercition collective qui est exercée sur les femmes. Ils pensent, « à sa place (par exemple dans le cas d’une actrice à qui on impose une pratique sexuelle), j’aurais le cran de refuser », car leur socialisation est le contraire de celle des femmes : on leur apprend à prendre le contrôle de la situation, à s’imposer, à dominer — ou à s’imaginer le faire.
De manière plus globale, tous les hommes bénéficient de la peur des femmes d’être mises en danger si elles répondent non à la demande d’un homme, que ce soit physiquement, socialement ou professionnellement. Ainsi, elles sont plus susceptibles d’accepter d’accomplir des faveurs et des tâches pour autrui (famille, collègues, voisins, etc.), par peur d’être perçues comme « difficiles ». La société attend des femmes un dévouement qui n’est pas attendu des hommes.
La soumission des femmes n’est pas naturelle
Si la soumission était innée chez les femmes, le patriarcat n’aurait pas besoin de tant d’injonctions pour leur rappeler de se soumettre, car la nature n’a pas besoin de rappels pour suivre son cours. Ces injonctions existent parce que l’endoctrinement nécessite des rappels constants afin de se maintenir.
Aucune femme n’aurait lutté pour notre indépendance et notre autonomie si nous étions biologiquement vouées à la soumission.
Penser que les femmes sont, par nature, soumises est risible. Il s’agit-là, sans doute, d’une projection des hommes. Après tout, ces derniers sont plus enclins à se soumettre les uns aux autres ; à adhérer aux hiérarchies et aux autorités (d’état ou de rue), comme dans les institutions militaires (se soumettre à un plus haut gradé) et religieuses (se soumettre à un dieu qui les guide), ou encore aux « alphas » (chef de meute), concept qui fait l’objet d’une véritable obsession ces dernières années.
En réalité, la hiérarchisation des êtres vivants est une création de l’homme, avec un tout petit « h ». Qu’il s’agisse de classer les autres animaux (certaines espèces sont jugées arbitrairement nobles, tandis que d’autres sont qualifiées de nuisibles), ou les êtres humains (le racisme et le sexisme en sont des exemples).
Défaire ce qui a été assimilé
La socialisation féminine est une violence émotionnelle commise à grande échelle. Il faut impérativement se défaire de ce conditionnement à répondre « oui » à toutes demandes parce que l’idée de refuser nous mets mal à l’aise. Aucune femme ne doit quoi que ce soit à un homme, encore moins notre intimité. Non seulement la socialisation genrée (des deux sexes) bride l’égalité, mais aussi, et surtout, notre autonomie, empêchant les femmes d’être souveraines de leur corps et de leur sexualité.
Indépendamment de ce que notre socialisation nous a appris, et au-delà des stratégies masculines, nous devons affirmer et revendiquer nos limites avec confiance, balayer les négociations, imposer notre refus. Il est impératif de s’entraîner à dire non, sans donner d’explication, sans se justifier, à ne plus perdre de temps et d’énergie à discuter, point par point, pourquoi nous refusons un rapport sexuel ou tout autre demande de ce type.
J’aime beaucoup dire « non est une phrase complète ». Alors, la prochaine fois qu’on vous dit de sourire, et que cela vous ennuie, répondez non. On vous dit : « tu serais gentille de faire ça » alors que vous ne le souhaitez pas ? Répondez non. Imprimez ces trois petites lettres et gravez les profondément en vous, car il vaut toujours mieux répondre par la négative que de se laisser entraîner dans les méandres de la servitude qui nous a été apprise. Soyons claires ; si Jim Carrey avait été une femme dans Yes man, le film aurait pris une toute autre tournure.
Morgane.
0 commentaires
0

Nous sommes toutes influencées par les contenus auxquels nous sommes exposées, volontairement ou à notre insu. Nous absorbons inconsciemment les images et les discours récurrents de notre quotidien. Plus ils interviennent tôt dans notre construction psychique, plus l’impact sera profond.

Qu’il s’agisse de télévision, d’Internet, de panneau publicitaire, de magazine, de pop culture, nos sociétés n’ont jamais été aussi sexualisées. L’enfant, sa sensibilité spécifique, n’est pas protégé·e, iel n’a pas sa place en ligne ou dans la rue. Ainsi, les filles grandissent dans une société qui trivialise la sexualité et traite les corps comme des marchandises.
Exposition à la pornographie dès le plus jeune âge
En 2023 en France, ce n’est pas moins de 2,3 millions de visiteur·euse·s uniques de moins de 18 ans qui se sont rendu·e·s mensuellement sur un site à caractère pornographique1. Près de la moitié des enfants de 6 à 10 ans est déjà équipée d’un smartphone2, alors que 30 % de la bande passante sur Internet est consacrée aux sites pornographiques3.
Sans le savoir et sans le vouloir, les plus jeunes peuvent facilement se retrouver plongé·es dans un gouffre sans fond d’images à caractères sexuelles.
Nombreuses sont les femmes qui témoignent avoir été influencées par la pornographie dans leur vie intime, dans leurs rapports aux hommes, ou avoir développé une dépendance à ce contenu après une première exposition enfant, parfois dès la prépuberté4. Bien souvent, les adolescentes de 18 – 19 ans qui entrent dans l’industrie des films pornographiques avouent candidement avoir commencé à visionner de la pornographie à un très jeune âge, à l’instar de Sofia5, Chloé Cherry6, Belle Knox7, Chloé Chevalier8, ou encore Lana Rhoades9, qui « rêvait » à douze-treize de devenir une célébrité de la pornographie, sans n’avoir encore jamais eu de relation sexuelle.
Les jeunes filles sont exposées à des images loin d’être sans danger : près de 90 % de la pornographie contemporaine présente au moins un acte d’agression (physique ou verbale) à l’encontre des femmes, avec en moyenne près de douze mauvais traitements par scène10.
Ces visionnages ne sont pas sans conséquences. La pornographie entraîne certaines croyances par rapport aux normes sexuelles (ce qui est attendu comme comportements et actes sexuels dans le contexte intime). Elle apprend aux filles à désirer la dégradation, à être excitée par leur propre souffrance, par l’humiliation et les violences dans le contexte sexuel, tout en participant à l’objectification des femmes de manière plus générale. Il s’agit là d’un véritable outil d’acceptation de son propre avilissement au profit du plaisir masculin.
Il a été démontré que les personnes exposées de manière régulière à du contenu à caractère sexuel objectivant les femmes, sont plus susceptibles d’adhérer aux stéréotypes concernant les rôles sexués et les violences sexuelles11. Ces images imprégnées de sexisme entravent la construction de nos propres fantasmes et de représentations saines de la sexualité. L’industrie pornographique formate l’imaginaire des filles très tôt, fabrique de sa toile des fantasmes artificiels, induits, qui n’auraient jamais été développés sans exposition à cette catégorie d’images. Penser que la pornographie est fictionnelle n’empêche pas l’enfant de s’en imprégner. Selon une étude britannique, 80 % des adolescent·es souhaitent reproduire ce qu’iels voient dans la pornographie12.
Ce n’est pas leur curiosité innocente ni le hasard qui les exposent à de telles images. Les piliers de l’industrie pornographique luttent vivement contre toutes formes de restrictions (vérification de l’âge, paywall, etc.), prétextant une soi-disant volonté de protéger la vie privée de ses utilisateurs, alors que, selon une analyse récente13, 93 % des sites X collectent et divulguent les données de leurs visiteur·euse·s à un tiers.
Cette exposition à la pornographie est loin d’être seulement le fait des sites dédiés : un rapport anglais14 révèle que Twitter (désormais X) est le site sur lequel la plus forte proportion de jeunes (41 %) accède à du contenu à caractère sexuel. Les individus à la tête de cette industrie n’hésitent pas à investir les réseaux sociaux et à surfer sur les tendances de la pop culture : par exemple, en 2019, en pleine ascension de la série The Mandalorian diffusée sur Disney +, Pornhub partage sur Instagram un meme15 sur lequel Baby Yoda, créature enfantine, apparaît avec le reflet du logo du site pornographique incrusté dans ses yeux, accompagné d’un message sans équivoque : « 10 secondes après que mes parents quittent la maison ». Ceci prouve qu’ils ont parfaitement conscience que des enfants regardent de la pornographie sur leur plateforme, et qu’ils sont à l’aise avec cette réalité.
Il n’y a aucune limite que l’industrie pornographique n’osera franchir pour gagner en popularité et enrôler les plus jeunes. Car l’enfant consommateur·rice d’aujourd’hui est l’adulte dépendant·e de demain.
Des effets délétères sur le développement du cerveau
Le cerveau gérant le traumatisme de bien des manières déconcertantes, il arrive que des jeunes filles en viennent à penser « ne serait-ce pas excitant si cela m’arrivait ? ».
Les effets néfastes de la consommation de telles images sur le cerveau adulte sont bien documentés aujourd’hui. Que penser alors des conséquences sur celui d’enfants, qui en consommeront toute leur adolescence, à tel point qu’arrivé·es à la majorité, ils et elles auront déjà été exposé.·es à des centaines d’images sexuelles inappropriées et violentes ?
Ces dernières affectent directement le développement neurologique, initient une érosion du cortex préfrontal16 (région décisionnelle du cerveau, du raisonnement et du contrôle inhibiteur), un rétrécissement de la matière grise17 (lié aux fonctions cognitive), et endommagent le système de récompense dopaminergique16 et ce, même dans les cas de consommations « modérées ». La pornographie introduit les plus jeunes à la sexualité d’une manière qui induit une sur-stimulation physique et psychologique. Comme le souligne le psychiatre Norman Doidge, « la pornographie satisfait à toutes les conditions au changement neuroplastique18 ».
Qui plus est, en commençant jeune, il y a d’autant plus de risques d’habituation hédonique, c’est-à-dire d’accoutumance19, ce qui pousse les consommateur·rice·s à se diriger vers des images de plus en plus « fortes » et transgressives (pédopornographie, inceste, zoophilie, etc.), des contenus toujours plus avilissants envers les femmes (ou les hommes20) pour éprouver à nouveau une stimulation sexuelle équivalente, alimentant par la même occasion la surenchère de fantasmes violents induits, qui se retrouvent alors à habiter leur imaginaire. De la même manière, la pornographie devenue banale se renouvelle dans une perpétuelle quête de l’extrême. Une concurrence se crée alors sur le « marché », amenant les femmes prostituées dans le domaine de la pornographie à accepter des pratiques de plus en plus violentes pour maintenir leurs revenus.
Tandis que les parents et l’école peinent à instaurer un dialogue sain et continu sur la sexualité auprès des enfants, l’industrie de la pornographie est plus qu’heureuse de servir de substitut, nourrissant l’esprit des plus jeunes d’images inadéquates et dégradantes, ou le consentement bafoué est légion, l’objectification la norme, et les rapports de pénétration quasi systématiquement non protégés. C’est ainsi que la plupart en viennent à découvrir la sexualité, et plus inquiétant encore, à éveiller la leur. La psychologue clinicienne Maria Hernandez-Mora parle de « viol psychique pour les enfants21 ».
La culture du viol sur petit et grand écran
Dans la pornographie, les rapports de domination sont érotisés : d’un côté, on présente une sexualité féminine passive qui « s’offre » aux hommes, de l’autre côté, une sexualité masculine active, érigée en besoin quasi vital, irrépressible et violente « par nature ». Des représentations qui s’inscrivent pleinement dans la culture du viol22, et que l’on retrouve sur nos écrans, qu’il s’agisse de cinéma ou de photographie : le corps féminin est sexualisé sous l’angle de la soumission, de la passivité, de l’inaction, du laisser-faire, alors que les rares fois où le corps masculin est sexualisé, il ne perd pas son pouvoir de domination, il est en mouvement, en action23.
Car même sans consommation directe de pornographie, on ne peut échapper à son impact sur la culture qui a infiltré la vie quotidienne. Elisabeth Chan parle de « pornographisation » de la société, ou de « porno-chic ». Il s’agit d’un terme qui « fait référence à la présence publique croissante et omniprésente de l’iconographie pornographique dans un large éventail de médias, tels que la publicité, le cinéma et la musique. […] Cette normalisation de la pornographie menace l’égalité des femmes car la pornographie favorise la dévalorisation des femmes24. ».
Dans des séries de prime abord inoffensives, la pornographie y est présentée comme une habitude normale. Dans Friends, Joey et Chandler regardent de la pornographie sur leur télévision pendant des jours entiers après être tombés sur une chaîne gratuite ; dans Jane the Virgin, Jane et son mari ont des problèmes d’intimité et sur les conseils d’un ami, se tournent vers la pornographie comme solution possible ; dans New Girl, Jess achète à Nick un abonnement à un site pornographique ; dans Grey’s Anatomy, un patient allergique aux analgésiques regarde de la pornographie dans son lit d’hôpital pour soulager ses douleurs chroniques, etc.
La palme d’or du Festival de Cannes de cette année 2024 a été attribuée au film Anora, qui vient s’ajouter à la liste des séries et des films propageant une image glamourisée de la prostitution, dans laquelle on retrouve Pretty Woman, The Escort, The Client List, Baby, Bonding, etc. Presque tous ont en commun une jeune protagoniste prostituée au mot enjoliveur (sugar baby, escorte, courtisane, etc.) qui gagne des sommes astronomiques en rencontrant de beaux, richissimes et galants trentenaires.
La télé-réalité participe à sa manière au phénomène. Le Haut Conseil à l’Egalité (HCE) décrit dans la deuxième édition de son rapport annuel sur l’état du sexisme en France25 que « la télé-réalité est une grande pourvoyeuse de sexisme » : sexualisation outrancière, stéréotypes de genre, caricatures sexistes dans lesquelles « des Don Juan dominateurs » interagissent avec « des tentatrices ». Une récente étude26 fait le lien entre la consommation de ce type de programmes, et la manière dont les jeunes femmes en viennent à normaliser les violences sexuelles qu’elles subissent.
Cette réalité n’est pas nouvelle, il y a dix ans en France s’achevait sur MTV la télé-réalité Les girls de Playboy (The Girls Next Door), qui érigeait en vedette les très jeunes compagnes (dont certaines n’avaient que 19 ans) du prédateur Hugh Effner, accusé d’un nombre incalculable de violences sexuelles en tout genre, tout en vendant une vie de manoir, d’opulence et d’entretien aux jeunes spectatrices.
Ajoutez à tout cela, les scènes de sexe fictionnelles sans intérêt pour les scénarios, légions dans les films et séries tout public, l’objectification des femmes qui continue de proliférer dans les clips de musique, accentuant toujours plus la disponibilité sexuelle des femmes, les spectacles issus du « monde de la nuit » qui sont désormais des oiseaux de jour, à l’instar des drag queens, etc.
La prostitution glamourisée dans la littérature « young adult »
Quand il ne s’agit pas d’écrans qui exposent à la pornographie ou promeuvent la prostitution, d’autres supports prennent le relais. Loin des romans à l’eau de rose d’une autre époque, qui tentaient de dissimuler leur culture du viol dernière un vernis de romance, la littérature contemporaine regorge de récits fantasmant et normalisant la violence sexuelle à l’encontre des femmes, de la plus explicite des manières27.
Audrey Carlan est l’autrice de la série érotique états-unienne à succès Calendar Girl, composée de douze tomes, tous traduits en français, qui a bénéficié d’une promotion à grande échelle. Comme pour beaucoup de ces « romances », la richesse et le pouvoir des hommes et la soumission des femmes sont au cœur du récit. Lisons le résumé ci-dessous, annoté en vert par mes soins :
On suit donc l’histoire d’une jeune femme endettée à cause d’un homme (son père), menacée par un autre (son ex petit-ami) dont la propre tante proxénète est heureuse de la prostituer aux quatre coins du pays. Mais ici, tout est décrit de manière positive, glamour voire même amusante. Là n’est pas la seule aberration : très rapidement, Audrey Carlan a fait suivre une seconde série, mais cette fois-ci, le personnage principal est un homme, International Guy28. Mais contrairement à ce que vous pourriez penser, il ne s’agit pas d’un escort, non, le rôle de prostituée est réservé aux femmes, Carlan l’a bien compris.

Pour aller plus loin, lire « La prostitution : une question de vocabulaire ? ».

J’ai choisi de parler de Calendar Girl car c’est un exemple criant, une saga littéraire qui a bénéficié d’une promotion très importante en France via son éditeur Hugo New Romance ; en librairie, en tête de gondole, en espace culturel, dans les annonces ciblées des réseaux sociaux, les magazines féminins, en publicité à la télévision29.
Ce qu’il y a de plus cynique est lorsque la maison d’édition a sponsorisé des créatrices de contenus en ligne, notamment sur YouTube, afin d’en faire la promotion à un audimat mineur. On y retrouve notamment Sananas, présente en première page du site du roman30, payée pour vanter ce chef d’œuvre d’une autre dimension morale à ses abonnées, entre deux coups de blush dans une vidéo31 ; et sur Instagram, en faisant gagner des tomes, à condition d’avoir l’autorisation hypothétique de l’un de ses parents, ou encore Emmy et sa vidéo dédiée Devenir escort girl32, avec en prime des conseils pour apprendre à s’habiller pour l’occasion (« en mode escort »). Un total look femme prostituée donc, ce genre de connerie, ça ne s’invente pas.
On a donc ici l’exemple d’une série de romans qui glamourise la prostitution, auprès des filles et des jeunes femmes. Ou, comme l’autrice l’a si bien écrit sur la quatrième de couverture, “auquel les femmes d’aujourd’hui peuvent s’identifier : une femme volontaire, drôle, et sensuelle”. Il s’agit pourtant d’une jeune femme sans le sou, dont l’ex violent menace sa famille et dont la seule solution est la prostitution via sa tante proxénète.
Alors de quelle identification parle-t-on ? L’idée est qu’aujourd’hui la femme serait désormais volontaire, courageuse et généreuse à la fois. En fait, elle accepterait son destin déplorable et le porterait à bout de bras avec joie ; au lieu de désigner le ou les coupables de cette mascarade, elle embrasserait sa situation soi-disant empourvoirante de par leur sacrifice. Le livre de poche nous propose d’ailleurs un résumé plus court, qui souligne bien cette volonté :
Voilà donc comment les jeunes femmes pourraient s’identifier à ce personnage. On ne serait plus une victime de l’inégalité financière, de la traite humaine, etc., mais des entrepreneuses du sexe, des self-made women qui partent de rien et deviennent riches.
Si, les termes “New Romance”, “Young Adult”, “New Adult” sont utilisés pour un public cible compris entre 16 ans et 30 ans, la communication autour de ces romans se fait avec les codes de l’adolescence. Bien souvent, le style et le vocabulaire se veulent “jeunes”, d’une simplicité inouïe, l’orthographe et la traduction sont bâclées, les couleurs des couvertures sont flashy, on utilise volontiers le mot “Girl” (fille) plutôt que “Woman” (femme), la promotion passe par des influenceuses dont l’audience est mineure… tout est fait pour attirer un public d’adolescentes. On peut d’ailleurs lire de nombreuses critiques du livre qui font le même constat : « C’est un livre pour adolescentes, selon moi il ne convient pas aux adultes »33.
Une exposition qui infiltre les esprits
« Être attirée par ce qui détruit nous écarte toujours du pouvoir. »
King Kong Théorie, Virginie Despentes.
Ces différents supports relaient une vision sexiste et normative des comportements issus de la culture du viol (considérer les femmes comme objets à disposition, érotiser sa propre victimisation, etc.), notamment via l’effet de simple exposition : biais cognitif d’augmentation de la probabilité de développer un sentiment positif envers un stimulus (norme, idée, personne, discours, produit de consommation, etc.) par la simple exposition répétée. En d’autres mots, plus nous sommes exposé·es à un stimulus, plus nous sommes susceptibles de l’apprécier, et les préférences que nous développons se forment sans réflexion consciente ou interaction directe.
Un très grand nombre de jeunes femmes qui ont grandi avec de telles représentations se retrouvent fortement influencées dans leur trajectoire de vie. Ces images et discours omniprésents formatent leurs esprits, fabriquent de sa toile des fantasmes artificiels avilissants, normalisent des comportements outrepassant leur intégrité physique, le tout se retrouve alors à habiter leur imaginaire et détourner leur boussole morale (différenciation entre ce qui est bien et mal, acceptable ou non de subir).
Que faire face à une société profondément sexualisée ? D’un côté, je pense que la négligence joue une part prépondérante dans l’accès des enfants à des images indécentes. Faute de contrôle parental, de dialogue, de prévention, d’activités pour pallier l’ennui, de nombreuses filles grandissent avec un accès illimité à tous types de contenus, y compris les plus déshumanisants à leur égard. L’enfant qui consomme régulièrement des contenus en ligne sans supervision est, à minima, négligé·e par son entourage familial. Les enfants n’ont pas un besoin impératif de traîner sur les réseaux sociaux.
D’un autre côté, il est absurde d’attendre des parents d’apposer un filtre sur tout ce que leurs enfants peuvent observer dans la société. C’est aussi le travail de toutes et tous de laisser une place adéquate aux enfants et à leur sensibilité.
Comme le dit si bien Marie Claude Bossière, « Nos gouvernements n’arrivent pas à faire la part des choses entre la santé des enfants et nos libertés. Ils ont tendance à tout confondre. En estimant que la pornographie est moins préoccupante pour les adultes, ils mettent totalement de côté les mineurs »34.
Il existe pourtant des dispositifs qui pourraient rendre l’accès difficile aux contenus adultes ; la vérification de l’âge par un site tiers ; la validation via une carte bancaire ; l’obligation d’un paywall ; le bannissement des sites qui ne respectent pas les législations en cours.
Après tout, les sites de pari en ligne et de jeux d’argent, comme la Française des jeux, vont jusqu’à demander, non seulement une copie recto verso de la carte d’identité, mais aussi un code à recevoir par courrier pour valider son adresse postale, et ce, juste pour jouer en ligne deux euros au Loto. Et ça, ça ne dérange personne.
Les défenseur·ses de la pornographie pensent à tort que cela nuirait à leur vie privée, or, celle-ci est déjà inexistante puisque les sites pour adultes collectent en masse leurs données et n’hésitent pas à les revendre, les opérateurs (même avec VPN) peuvent avoir accès à la liste des sites consultés, etc. C’est se bercer d’illusions, et très certainement être de mauvaise foi, que de penser que passer par un site tiers vérifiant l’âge puisse nuire à leur vie privée.
Pour la télévision et la littérature, afficher a minima un avertissement avant la diffusion de tout média (film, série, vidéo, podcast, etc.) qui glamourise ou normalise l’inégalité femme-homme serait une première bonne piste. Ou bien préfacer les romans par « ce texte promeut la violence sexuelle à l’endroit des femmes », préciser avant une série « cette histoire fictionnelle ne représente pas la réalité de la prostitution », et accompagner ces avertissements de lignes de numéros verts ou de sites, à l’instar de ce qui est désormais fait lorsqu’un média parle de suicide ou de harcèlement.
Morgane.
0 commentaires
0

Nos choix individuels ne se forment pas dans un vide abyssal. Chaque personne les tisse inconsciemment, à la manière d’une toile d’araignée, au fil de leur vie, en fonction de leurs expériences et de leurs socialisations. Même en ayant la possibilité de choisir, tout ce que l’on vit et apprend nous oriente dans des directions spécifiques. En tant qu’êtres sociaux, nous sommes assujeti·es à des influences culturelles, à la pression sociale, à l’endoctrinement, à la coercition. Nous sommes en partie le résultat de l’équation de notre enfance et de notre environnement.

Alors que des voix s’élèvent afin de brandir le consentement sexuel comme outil émancipateur des femmes, balayant au passage tous débats, érigeant le choix individuel en sacro-saint, peu questionnent ce qui se cache dans son ombre. Dans cette série de quatre articles, nous allons revenir sur la manière dont il peut être construit, quelle valeur et quel rôle joue-t-il lorsque l’intégrité physique d’une personne est en jeu, qui plus est dans des industries érigées et dirigées par et pour les hommes, à l’instar de celles de la pornographie et de la prostitution.
GRANDIR DANS UNE SOCIETE HYPERSEXUALISÉE

17/09/2024

L’Aliénation traumatique

11/10/2024

LE CONSENTEMENT DANS L’industrie sexuelle

18/10/2024

GRANDIR DANS UNE SOCIETE HYPERSEXUALISÉE

17/09/2024

Formuler le refus est une compétence

24/09/2024

L’Aliénation traumatique

11/10/2024

LE CONSENTEMENT DANS L’industrie sexuelle

18/10/2024

0 commentaires
0
  • 1
  • 2