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Ronces&Racines

Toutes les sociétés humaines, à notre connaissance, font la différence entre les personnes de sexe féminin et celles de sexe masculin. C’est un fait de la nature puisque nous sommes des animaux ayant une reproduction sexuée. Cette différence est constatée, pas imposée socialement. Ce qui, par contre, est imposé par les sociétés patriarcales, c’est une hiérarchie entre mâles (individus de sexe masculin) et femelles (individues de sexe féminin). Le féminisme a pour but de mettre fin à cette hiérarchie en déracinant le patriarcat, ce qui implique de transformer intégralement nos sociétés.

Certains mouvements féministes1 ont tenté de minimiser les différences entre les sexes – ou de prétendre qu’elles n’avaient aucune importance, voire qu’elles n’existaient pas. L’objectif était de contrer les arguments essentialistes cherchant à justifier et naturaliser la hiérarchie sociale en invoquant la biologie. Malheureusement, cette stratégie ne peut pas fonctionner. Ce n’est pas la différence qui crée la hiérarchie, mais la société. Tenter de nier une réalité incontestable, celle du dimorphisme sexuel de l’espèce humaine, est non seulement intellectuellement invalide, mais c’est en plus, stratégiquement, une impasse qui finit inévitablement par se retourner contre les femmes – et contre les féministes. Les femmes ne sont pas des hommes, notre lutte ne peut pas et ne doit pas l’ignorer.
I/Femme ou homme : question de sexe ou d’identité de genre ?
Lorsque nous parlons d’êtres humains, nous n’utilisons que très peu, en français, les termes mâles et femelles, qui servent à catégoriser la plupart des animaux, ainsi que certaines plantes. Pour désigner les adultes, nous employons les noms hommes et femmes. Pour les enfants, filles et garçons. La définition de ces mots dans les dictionnaires2 est parfaitement claire : un homme est un « être humain adulte de sexe masculin » et une femme un « être humain adulte du sexe féminin ». Jusqu’à récemment cependant, personne n’allait jamais chercher ces définitions, parce que ce sont des mots extrêmement communs dont nous connaissons toutes et tous le sens3.
Pour rappel, la femelle est l’individue produisant de gros gamètes immobiles (ovules) et, dans le cas de notre espèce, qui prend en charge la gestation, l’accouchement et l’allaitement. Le mâle produit de petits gamètes mobiles (spermatozoïdes), en plus grande quantité. Bien sûr, si pour une quelconque raison l’individu·e est infertile et ne produit pas de gamètes, il ou elle reste mâle ou femelle puisque son corps s’est développé pour produire l’un ou l’autre. On remarquera deux choses : chez l’être humain, la charge de la reproduction est clairement répartie de façon inégale. Ce qui amène à la remarque suivante : ces rôles dans la reproduction entraînent des différences corporelles importantes. On parle, dans ce cas, de dimorphisme sexuel.
Comme évoqué dans l’introduction, nier les différences entre les sexes dans notre société patriarcale ne peut que se retourner contre les femmes. On le constate d’autant plus facilement que la science et la médecine, qui reconnaissent évidemment le dimorphisme sexuel humain, ont tendance à négliger la physiologie spécifique des femmes dans leurs recherches pour ne prendre en compte que celle des hommes4. Les médicaments sont testés sur des mâles (rats, singes, entre autres animaux exploités, et humains), les équipements de sécurité sont calibrés pour des corps d’hommes, les symptômes des femmes sont moins étudiés (que l’on parle de crise cardiaque ou d’autisme), la recherche néglige souvent ce qui touche spécifiquement nos corps femelles (cycles menstruels, grossesses, allaitement, organes liés au plaisir sexuel…). Un exemple éloquant est celui des tests de sécurité des voitures5 : jusqu’à récemment, les mannequins imitaient le corps masculin, et, pour exécuter les simulations d’accident avec des passagères, on ajoutait seulement une paire de seins au mannequin de gabarit masculin. Résultat : encore aujourd’hui, les femmes subissent de façon disproportionnée des blessures graves pouvant conduire à la mort, dans les accidents de voiture réels – alors même qu’elles en causent moins !
Les femmes ne sont pas de petits hommes castrés avec des seins. Nos os sont différents, nos muscles, notre répartition des masses graisseuses, nos taux d’hormones, nos organes, la forme de notre tête ou de notre bassin ! La liste est longue, et les conséquences, graves. De plus, c’est une insulte envers les femmes, une négation de notre réalité physique. Irait-on dire aux hommes qu’ils sont des femmes de grande taille sans seins et avec un clitoris hypertrophié ? Aujourd’hui pourtant, certain·es affirment qu’un enfant, un adolescent ou un adulte de sexe masculin peut être une fille, une adolescente ou une femme, et vice versa. Les expressions « homme de sexe féminin » et « femme de sexe masculin » sont des oxymores. Si on veut écrire de la fiction ou de la poésie, pourquoi pas. Quand il s’agit de décrire la réalité, c’est non seulement faux, mais aussi totalement absurde.
De plus en plus de personnes semblent pourtant adhérer à cette idée qu’être une femme ou un homme n’aurait rien à voir avec la réalité matérielle de la sexuation des êtres humains. Ce ne serait pas une question de sexe mais une question d’« identité de genre ». Cette notion de l’identité de genre a réussi à s’imposer en quelques années, au point que citer la définition du dictionnaire, quand on définit ce qu’est une femme, passe désormais pour de la haine ou de la bêtise. Certes, pour démanteler les nombreuses idées reçues et contrer la désinformation portée par le mouvement queer ou transactiviste6 et par certaines personnes transsexuelles7 , il ne suffit pas de réaffirmer ce que sait pertinemment la majorité de la population, qu’être un homme ou une femme dépend de notre sexe. Il était cependant nécessaire de commencer par là.
II/Identité de genre, définitions
Les définitions que nous allons exposer ici ne sont pas les nôtres. En premier lieu, parce que nous ne reconnaissons pas le concept d’identité de genre comme valide – vous comprendrez pourquoi en lisant ce qui suit. Ensuite, parce que nous ne voulons pas que l’on nous accuse de simplifier ou de déformer les propos des défenseur·ses de cette notion. Nous citerons donc mot pour mot les définitions données, recueillies dans une sélection d’ouvrages représentatifs de la production contemporaine sur ce sujet8 . On notera que les huit livres en question (références disponibles en fin d’article, les numéros après les citations identifient l’ouvrage cité) ont été publiés ces cinq dernières années, couvrent les mêmes thématiques et sont mis en avant en bibliothèque – le sujet est donc loin d’être marginal aujourd’hui.
1. L’identité de genre est une construction sociale
Le terme « genre » a été utilisé par les féministes depuis les années 19709 pour désigner la féminité et la masculinité, les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes (l’exemple classique étant la femme au foyer qui prend soin de son mari et de ses enfants pendant que l’homme travaille en entreprise /à l’usine / etc.), et, de façon générale, toutes les choses qui sont associées, dans une société donnée, à un sexe ou l’autre (le rose, la passivité et la lune pour les filles, le bleu, la violence et le soleil pour les garçons…)10 . Pour ajouter à la complexité de la chose, en anglais, le mot « genre » peut être utilisé pour désigner le sexe d’une personne — ce qui peut causer des problèmes de traduction et entraîner des confusions. En français, la distinction entre sexe et genre est plus marquée, mais tend, dans le brouhaha philosophico-politique actuel, à se brouiller.
Certain·es transactivistes s’appuient sur cette notion féministe du genre pour prétendre que certains mâles, dits « femmes trans », sont des femmes, de même que certaines femelles seraient des « hommes trans ». Ces personnes, en général, argumentent que les hommes ayant effectué des traitements médicaux (prises d’hormones et chirurgies) pour tenter d’adopter certaines caractéristiques physiques spécifiques aux femmes deviennent, de ce fait, des femmes. Ils estiment que, puisqu’ils nous ressemblent (plus ou moins), puisqu’ils adoptent les codes esthétiques de la féminité et puisqu’ils se revendiquent comme femmes, ils seraient perçus et traités socialement comme des femmes. Et puisqu’être une femme serait, en partie au moins, une construction sociale – on remarquera dans plusieurs livres le détournement de la citation culte « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir11 – ces hommes deviendraient des femmes.
« Comme [Margaret] Mead, [Simone de] Beauvoir et [Judith] Butler nous l’ont expliqué, à la différence du sexe, le genre n’est pas anatomique mais social. Ce sont les membres de la société (vous et nous) qui le construisons et le font évoluer. »
Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC
« Le genre est civilisationnel, culturel et non biologique. […] Le genre et ses matérialisations comme données identitaires ne sont donc pas existantes par nature, mais forgées et accumulées par nos sociétés pour répondre à différents besoins de fonctionnement, et pour asseoir les jeux de privilèges et de domination. »
Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Cette première justification peut sembler assez convaincante au premier abord, notamment pour des féministes adhérant à l’idée d’une construction sociale de la catégorie femme. Nous sommes d’ailleurs nombreuses à avoir été satisfaites, pour un temps, par cette explication. Après tout, nous nous sentons évidemment solidaires avec toutes les personnes subissant des agressions sexistes. Cependant, il suffit d’y réfléchir un peu pour se rendre compte que c’est absurde.
Déjà, ce raisonnement ne s’appliquerait qu’aux personnes transsexuelles parvenant à se faire passer de façon convaincante pour des personnes de l’autre sexe. Malgré les interventions hormonales et chirugicales disponibles actuellement, c’est loin d’être toujours le cas. De plus, bien des personnes se revendiquant « transgenres » veulent être reconnues comme hommes ou femmes sans même chercher à prendre l’apparence d’un membre de l’autre sexe.
Une femme qu’on prend pour un garçon – comme ça a été le cas pour plusieurs d’entre nous puisque nous n’adhérons pas à des normes de genre sexistes – ne devient pas un garçon. Un homme hétéro qui subit une agression homophobe, puisque présumé gay, ne devient pas gay car il a été « socialement traité comme » un homme homosexuel. Pourquoi donc est-ce que les personnes transsexuelles seraient différentes ? Parce qu’elles subissent des interventions médicales ? Parce que la confusion est créée intentionnellement ? Parce qu’elles auraient un trouble mental12 ? Parce qu’elles revendiquent une identité qui n’est pas la leur ?
On ne peut pas devenir plus une femme ou plus un homme en changeant son corps. En fait, on ne peut pas devenir « plus » une femme ou un homme tout court, car le sexe n’est pas un spectre sur lequel nous pouvons nous déplacer. Une femme ayant subi une double mastectomie des suites d’un cancer du sein, ou une ablation de l’utérus, n’en devient pas moins une femme, car elle n’est pas moins femelle après ces opérations. Un homme castré n’est pas moins mâle, pas moins un homme.
Cette argumentation a au moins le mérite de s’appuyer sur des éléments concrets. Il y a une apparence de logique dans ce raisonnement, puisque certaines personnes transsexuelles sont effectivement perçues comme des membres de l’autre sexe. La justification suivante s’appuie aussi sur des arguments matériels et potentiellement mesurables. Vous verrez que c’est loin d’être toujours le cas.
2. Identité de genre : l’hypothèse des cerveaux
Un autre raisonnement s’appuie sur l’idée qu’il y aurait des cerveaux de femmes et des cerveaux d’hommes, et que certaines personnes auraient un cerveau d’homme dans un corps de femme et vice versa. L’hypothèse a même fait l’objet d’études scientifiques – peu concluantes pour le moment13 . Cette explication, assez populaire aux États-Unis, ne fait pas recette en France. Cela se constate dans les livres étudiés pour cet article : sur les huit, seuls trois évoquent cette hypothèse mais uniquement pour s’en distancier.

« Concernant le cerveau, il n’existe probablement rien de tel qu’un cerveau « masculin » et un cerveau « féminin » […]. Une compréhension du cerveau comme fonctionnant et se structurant sur un modèle de mosaïque, incluant des éléments dits « masculins » et « féminins », semble plus proche de la réalité. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de notre enfant sur le genreE

« De la science aux médias en passant par les conversations du quotidien, les débats qui opposent l’inné et l’acquis sont profondément ancrés dans notre culture et partent souvent du principe que l’une ou l’autre option est, dans un sens, plus « acceptable » que l’autre. […] Ces questions s’expliquent par le fait que, dans la culture anglo-américaine actuelle, les gens accordent souvent plus de légitimité aux choses quand elles trouvent leur « origine » dans notre cerveau ou notre ADN. Nous tenons à préciser ici qu’il importe peu que le genre d’une personne s’explique par des raisons biologiques, psychologiques ou sociales – ou une combinaison des trois. »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Filles et garçons ont-ils le même cerveau ? Oui, ils ont le même cerveau ! Du point de vue de l’anatomie, c’est-à-dire de la forme et de la structure, le cerveau d’un fœtus de fille est identique au cerveau d’un fœtus de garçon ! »

C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identiteG
Pas la peine donc de s’y attarder, si ce n’est pour préciser que nous n’adhérons pas à une vision dualiste de l’être humain. Le dualisme appliqué à l’individu divise la personne en deux, entre un esprit et un corps, deux entités décrétées distinctes et hiérarchisées. L’esprit contiendrait notre essence véritable, jugée supérieure, transcendante, tandis que le corps serait le lieu du trivial et du méprisable, un simple véhicule, une machine nous permettant d’intéragir avec le monde, mais rien de plus. L’esprit – ou la conscience, ou l’âme – est généralement perçu comme situé dans le cerveau (pourtant bien matériel et partie intégrante du corps), celui-ci déterminerait donc qui nous sommes vraiment.
Cette vision du monde, promouvant la primauté de l’esprit (associé aux choses intellectuelles, à la noblesse, à la rationnalité voire à l’âme immortelle) sur le corps (qui relèverait du vulgaire, un amas de chair périssable, imparfaite et défaillante) est très répandue14 .
Nous, féministes de Ronces & Racines, considérons que nous sommes nos corps, pleinement, entièrement. Si conscience il y a, elle fait partie de nous et n’est pas une chose détachée de notre matérialité. Que nous soyons nées avec un handicap, une orientation sexuelle qui n’est pas commune, un cerveau atypique ou des hormones hors normes, notre corps n’est pas une erreur et aucune de nous n’est moins femme qu’une autre.
3. Identité de genre auto-déterminée
Nous avons commencé par les deux définitons de l’identité de genre qui semblent les moins absurdes, mais qui sont aussi les moins fréquentes. L’affirmation la plus commune, notamment dans les milieux de gauche se revendiquant féministes, est que l’identité de genre d’une personne dépend de son « ressenti » — quoi que cela puisse bien vouloir dire. Ainsi, seule la personne elle-même serait en mesure de déterminer cette « identité », et les autres ne devraient, sous aucun prétexte, pouvoir la remettre en question.
Quel ressenti exactement permet de déterminer si nous sommes des hommes ou des femmes ? Un ressenti, par définition, est subjectif et dépend de chaque personne. D’après les transactivistes, le ressenti de chacun·e au sujet de sa propre identité de genre n’aurait rien à voir avec la masculinité, la féminité ou son sexe, puisqu’à leurs yeux une femme féminine peut se revendiquer homme ou non-binaire (ni une femme, ni un homme, ou parfois les deux) et qu’un homme masculin n’ayant en rien changé son apparence peut s’identifier comme une femme.
De plus, les hommes s’identifiant comme femmes auraient toujours été des femmes, même avant de s’identifier comme tels et sans la moindre once de féminité préalable à une éventuelle transition. L’identité de genre serait impossible à changer. Elle peut, par contre, être changeante, puisque certaines personnes s’identifient comme « genderfluid » ou revendiquent successivement diverses identités de genre – qui doivent toutes être considérées comme vraies et ne jamais faire l’objet de remises en question15 . Cette définition de l’identité de genre repose donc sur le principe suivant : « je suis ce que je prétends être ».

« L’identité de genre se définit généralement comme la façon dont nous nous percevons. »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Chaque personne a une identité de genre ; elle correspond à ce que profondément, on se ressent être, entre fille/femme, homme/garçon, quelque part « entre les deux » ou au-delà […]. Il s’agit donc d’un ressenti, et aussi d’une image mentale de soi. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de botre enfant sur le genreE

« Identité de genre : Expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun·e, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance. »

C’est quoi mon genre ?F

« Identité de genre : Conviction intime d’appartenir à un genre donné : homme, femme, transgenre ou tout autre terme identifiant (genderqueer, non-binaire ou agenre ou agender). Peut correspondre ou non au sexe attribué à la naissance. »

C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identitéG

« Identité de genre : Compréhension et expérience intimes que nous avons de notre genre, et la manière dont on le définit. »

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH
Comme vous pouvez le constater par vous-mêmes, ces cinq définitions ne parlent que de « ressenti », de « conviction », de « compréhension intime », sous une forme ou une autre. À ce stade, on pourrait tout aussi bien utiliser le terme croyance. Mais il n’y a pas que ces livres qui adhèrent à cette (absence de) définition ; c’est le cas de tous, sans exception. Certains sont juste un peu moins transparents que d’autres à ce sujet, car, il faut l’admettre, la pilule est un peu grosse à faire passer.
III/Stéréotypes sexistes et enfumage intellectuel
Il faudrait donc, selon cette dernière définition, croire sur parole et sans aucune remise en question la déclaration d’identité de genre d’un·e enfant de trois ans, d’une jeune personne souffrant de troubles psychiatriques sévères ou encore d’un pédocriminel condamné et en détention ? Il faudrait donc croire en une identité qui ne se base sur rien de matériel et peut se définir d’autant de façons qu’il y a de personnes revendiquant la même étiquette ?
Pour réussir à convaincre, l’argumentation se doit donc d’être un peu plus étayée. Néanmoins, fournir une définition précise et fonctionnelle excluerait forcément certains hommes s’identifiant comme femmes (ou tout autre configuration) puisqu’il y en aura toujours qui ne se reconnaîtront pas dans une définition basée sur des critères précis, alors même que le but de ces définitions circulaires16 est de n’invalider aucune identité auto-proclammée. Toutes les personnes définissant l’identité de genre comme « le genre auquel une personne s’identifie17 » a donc nécessairement recours à un enfumage intellectuel plus ou moins réussi. Quel que soit le discours adopté, la finalité est et doit être toujours la même : pouvoir affirmer sans ciller que « les femmes trans sont des femmes », « les hommes trans sont des hommes », « les personnes non-binaires sont non-binaires » et ainsi de suite.
1. Le recours à la notion féministe de genre
En évoquant la notion féministe du genre, vieille de plus de 50 ans, les autrices et auteurs de ces livres apportent une caution intellectuelle et égalitaire au concept d’identité de genre. Une certaine insistance sur la complexité de cette notion permet aussi de masquer le néant matériel et conceptuel de leur définition.

« Comme [Margaret] Mead, [Simone de] Beauvoir et [Judith] Butler nous l’ont expliqué, à la différence du sexe, le genre n’est pas anatomique mais social. Ce sont les membres de la société (vous et nous) qui le construisons et le font évoluer. […] Le genre se négocie aussi au niveau individuel. […] Plus que social, le genre est aussi psychologique. »

Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC

« Le genre est une notion complexe, qui comprend plusieurs dimensions, dont l’identité de genre, les rôles et les expressions de genre. Le genre est aussi une construction sociale et englobe les attentes socialement construites qui désignent des rôles, des identités et des comportements particuliers comme étant appropriés soit pour les femmes, soit pour les hommes..»

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH

« Pour résumer, le genre est hétérogène plutôt que binaire – à tous les niveaux : biologique, psychologique et social. […] Nous aimons utiliser le terme « biopsychosocial » pour illustrer le fait que, chez tout individu, l’expérience du genre associe de manière complexe des aspects biologiques, psychologiques et sociaux. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de botre enfant sur le genreE
Comme vous pouvez le constater au travers de ces brefs extraits, le genre est présenté comme une chose complexe, ancrée dans nos sociétés, et qui peut s’exemplifier de façon concrète (vêtements, rôles sociaux, traits de caractères, etc.). Néanmoins, on retombe toujours sur le « ressenti intérieur » comme seul critère valable pour déterminer l’identité de genre d’une personne. Vous pouvez le constater grâce aux deux définitions déjà citées (2 et 5) et celles ci-dessous, portant sur les personnes transgenres et non l’identité de genre.

« Transgenre : personne qui ne se reconnaît pas dans le genre associé à son sexe biologique. On peut avoir un pénis tout en ayant le sentiment profond d’être une femme (femme trans). Ou avoir un vagin et se sentir homme (homme trans). »

Je suis qui ? Je suis quoi ?A

« Transgenre ou « trans » : personne dont l’identité de genre – son expérience intime et personnelle du genre – ne coïncide pas avec le sexe biologique qui lui a été assigné à la naissance. »

Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC
Un seul livre a le mérite d’être plus subtil et de ne jamais explicitement formuler une définition intégrant cette notion de ressenti, Une histoire de genres. La définition qui y est donnée de l’identité de genre, nous l’avons déjà citée :

« Identité de genre : L’identité de genre (on peut aussi juste parler “du genre” d’une personne) est le facteur sociologique d’appartenance à un genre ou plus, qui forme les ensembles humains composant une société. L’identité de genre est majoritairement fondée sur des données biologiques à la naissance, considérées comme inhérentes et objectives. S’ajoutent des facteurs liés à la culture et transmis par l’éducation qui font de ce genre perçu comme biologique une vérité sociale qui conditionne l’intégration d’un individu. »

Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Néanmoins, l’auteur nie catégoriquement que c’est la société qui classifie les personnes, ce que laisse pourtant entendre cette définition. Il affirme que « les transitions sociales et médicales amènent des changements, mais qui relèvent de la perception physique du genre, d’une lecture sociale et non de l’identité fondamentale ». Il y a donc bien une identité qui n’est pas le fait d’une catégorisation sociale par une culture (la « lecture sociale ») mais provient directement de la perception de la personne elle-même de ce qu’elle est. D’ailleurs, le masque tombe un peu plus loin :

« En définitive, une personne trans se sent effectivement d’un genre donné, parce qu’elle est dudit genre, et c’est cela qu’il vaut mieux verbaliser : un homme trans est un homme. »

Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Autrement dit, nous sommes ce que nous disons être, et nous le disons parce que c’est ce que nous sommes. On peut difficilement faire raisonnement plus circulaire que ça.
2. Les inévitables stéréotypes
Toute cette théorisation, c’est bien beau, mais on passe à côté de quelque chose de fondamental. En réalité, pourquoi une personne ressentirait appartenir à la catégorie de l’autre sexe ou, tout du moins, ne pas appartenir à la catégorie de son propre sexe ? La réponse est simple, elle était là tout du long : le genre, dans son sens féministe initial. Il y a un certain nombre d’attentes et de représentations sociales associées au fait d’être un homme ou une femme. Une personne qui ne correspondrait pas à ces attentes risque fortement de se sentir en décalage par rapport aux filles et garçons, aux femmes et aux hommes qui l’entourent et qui semblent s’y conformer.
Un petit garçon qui veut porter des robes, faire des jeux de rôles avec les filles et imiter sa maman à la maison, sera automatiquement perçu comme féminin. De là à se dire qu’il n’est pas un garçon, il n’y a qu’un pas que certain·es franchissent. Bien sûr, cela relève du sexisme : il y aurait de « vraies femmes », celles d’entre nous qui sont féminines comme il faut, et de « vrais hommes », bien masculins, voire même virils. Cependant, pour les autrices et auteurs cité·es, impossible d’admettre que « l’identité de genre » puisse être le résultat d’une vision profondément sexiste et normative de la société, puisqu’iels se revendiquent féministes. Mais quand on lit les récits personnels, plus concrets, des personnes ayant transitionné, c’est malheureusement bien ce que l’on constate.

« Petit, j’ai toujours senti que je n’étais pas comme les autres filles de mon âge […]. Je traînais avec des garçons, je jouais au foot avec eux, je portais des joggings, des pulls larges et des baskets. En grandissant, j’ai essayé d’être plus féminin mais vers 15 ans j’ai compris que ce n’était pas possible, alors j’ai recommencé à m’habiller au rayon hommes et je me suis coupé court les cheveux. Un an après, j’ai compris que j’étais un homme transgenre. »

Je suis qui ? Je suis quoi ?A

« Sur le plan du genre, je suis une personne non-binaire – ou genderqueer – âgée d’une petite quarantaine d’année. Pour moi, cela signifie que je me situe quelque part au milieu du spectre entre masculin et féminin, et que certains aspects de ma personnalité sont plus « masculins », « féminins » ou « androgynes ». »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Quand j’étais enfant, je ne me posais pas la question de si je me sentais fille ou garçon. Puis au collège, j’ai eu l’impression que tout à coup, on me considérait complètement autrement18 . J’ai compris quelle place19 j’avais aux yeux des autres, et ça ne m’allait pas. Toujours en 4e, je me suis coupé les cheveux, et dans le métro on m’a dit « monsieur » et « jeune homme ». Et là, je me suis senti mieux, j’ai eu le sentiment d’être bien. »

C’est quoi mon genre ?F

« Au théâtre, je pouvais échapper à mon sexe – et tout ce qu’il impliquait de bonne conduite hétérosexuelle – pour devenir Van Helsing, Aladdin ou le narrateur non identifié. Sur scène, peu importait si j’échouais à performer la féminité blanche, car ma voix grave, ma présence et mes manières masculines y étaient des atouts. Sur scène, je pouvais tomber amoureux·se de Jasmine et le public m’applaudissait. »

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH
Ces témoignages sont issus des seuls huits livres étudiés. On en trouve des milliers d’autres sur toutes les plateformes (articles, podcasts, chaînes youtubes, etc.) qui donnent la parole aux personnes trans. Nous vous invitons à les lire20.
Après toutes ces belles paroles, ces définitions inaptes et ces témoignages précieux, nous voulons achever cet article par deux dernières citations illustrant parfaitement l’absurdité du genre selon le transactivisme : « il y a autant de genres que d’individus » (3) et « notre genre s’apparente à un flocon de neige : aucun n’est identique à un autre » (2). Des définitions bien plus utiles que celles basées sur le sexe des individu·es, surtout quand il s’agit, pour nous féministes, de dénoncer la domination d’un sexe sur l’autre, non ?
Ronces & Racines.
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Le constat : de l’injustice en ce bas monde

Le monde est beau, était beau avant qu’on ne le ravage. La vie est savoureuse – pourtant, on constate des horreurs « civilisées » quotidiennes, comme des génocides, des morts liées aux bouleversements climatiques, le massacre industriel de milliard d’animaux ayant vécu des vies dénuées de tout sens. On constate des injustices énormes dans le rapport à ces malheurs : les un·es souffrent, tandis que les autres profitent à leurs dépens, de façon stérile et superficielle.

Or, il s’avère que « les un·es » et « les autres » ne sont pas des catégories abstraites, gratuites : ce sont des groupes qui existent matériellement, qui sont distincts les uns des autres selon des critères définis, et dont l’un a imposé sa position dominante sur l’autre : la domination existe bel et bien, elle n’est pas purement théorique.
Ainsi, les hommes oppriment, tuent, violent les femmes ; les Blanc·hes occidentaux profitent d’un système institutionnel (État, Justice, Police/Répression…) fondé sur le racisme ; les colons exploitent et déciment les colonisé·es ; les humains « civilisés » font un carnage des autres animaux et du vivant en général, etc.
Ces dichotomies sont parfois fondées sur des distinctions réelles, qui permettent une catégorisation scientifique, mutuellement exclusive, des groupes d’individus. C’est le cas entre les femmes et les hommes (on ne peut pas être un peu mâle, un peu femelle, ou les deux à la fois), les humains et les autres animaux (on ne peut être à la fois humain et non-humain). Mais parfois pas : les colons, par exemple, ne se distinguent pas des colonisé·es par des caractéristiques absolues mais par le système colonial qu’ils imposent, de même que le concept de « race » est biologiquement inopérant chez les humains : il s’agit d’un système social imposé artificiellement (même s’il repose sur des différences physiques observables) et non exclusif (on peut être à la fois noir et asiatique et blanc, contrairement au sexe les mélanges sont possibles).
Dans l’oppression, la binarité ou la catégorisation factuelle se transforme en hiérarchisation qui, elle, est toujours sociale et parfaitement arbitraire. Comme si l’on disait que, parce que le bleu est différent du rouge, il lui était intrinsèquement supérieur, on décrète que celui à la peau claire vaut plus que celui à la peau sombre ; que l’être capable de produire des ovules est de fait inférieur à celui qui produit du sperme.
C’est complètement débile, évidemment. Alors, pour asseoir son autorité, le groupe dominant va enrober de mythes gluants la hiérarchisation qu’il opère. Ainsi, la « civilisation », Grandiose Œuvre du Développement et du Progrès humain, est vernie de valeurs estimées supérieures, décorée de croyances — profondément ancrées — en sa supériorité sur la nature décrite, elle, comme « primitive » et « vulgaire ». L’homme Viril, dépeint comme rationnel, intelligent, fort et cool, est désigné comme supérieur à la femme, cette chose fragile et hystérique, méprisable et superficielle : cette dichotomie s’appelle le genre, système de stéréotypes censé justifier la domination patriarcale.
Bref, la vie est belle, ou pourrait l’être sans ces saletés de hiérarchies créées par le pouvoir et le légitimant en retour. Personne ne vaut plus ou moins qu’autrui, personne ne mérite une vie moins digne qu’autrui. Nous savons que personne n’est libre si nous ne sommes pas toutes et tous libres : tant que ces injustices persistent, il va falloir se battre contre.
La définition du problème, sa circonscription
Or, pour se battre réellement, pour résoudre une situation d’injustice, il nous faut d’abord clairement la définir, la comprendre, pour penser ensuite les stratégies qui nous seront les plus utiles.
En effet, si nous ne comprenons pas que c’est tel chardon, et non tel trèfle, qui étouffe notre potager, nous aurons beau jeu de lutter dans le vent et de s’acharner contre la mauvaise plante. La première étape est donc la définition simple et claire, honnête et totale du problème. Or, n’en déplaise aux adeptes du culte de l’inclusion, définir c’est délimiter, c’est-à-dire, exclure. Une définition précise ne peut sémantiquement pas intégrer une chose et son contraire. Pour définir, il nous faut des critères. Ceux-ci doivent êtres quantifiables, qualifiables, observables. Ce qu’on va définir, ce sont d’abord les protagonistes de la situation d’inégalité : qui opprime, qui est opprimé ?
Une fois qu’on a défini les groupes auteurs et victimes de ces hiérarchies, le groupe opprimé pourra se reconnaître comme tel, développer une « conscience de classe », et lutter en tant que communauté contre le groupe reconnu comme oppresseur.
Prenons l’exemple du patriarcat, mode d’organisation sociale, politique et économique fondé sur le sexisme, c’est-à-dire sur la hiérarchisation entre les sexes (mais ce principe marche pour toutes les oppressions).
Chez les mammifères, on peut distinguer deux groupes d’individus en fonction de leur rôle dans la reproduction : les femelles sont les individus normalement capables de produire des grands gamètes et d’accueillir la vie dans leur ventre, tandis que les mâles ne savent produire que des petits gamètes. En fonction des espèces, on attribue différents noms aux individus en fonction de leur sexe : la biche et le cerf, la lapine et le lapin, et, tenez-vous bien, la femme et l’homme – car, je vous le donne en mille, notre espèce, si prétentieuse qu’elle soit souvent, ne se distingue pas, sur le plan de la reproduction, des autres mammifères.
Ici, le problème n’est pas cette différence naturelle, non, le problème est la hiérarchisation sociale qui en résulte : pourquoi diable le groupe qui produit les petits gamètes tourmente le second ?
Eh bien, du fait de son sexe, justement : les hommes veulent le contrôle du corps des femmes, de leur fécondité, de leur faculté de reproduire dans leur propre corps les membres de la société humaine.
Pour ça, on institue un outil fort pratique déjà évoqué plus haut, le genre, qui correspond à l’ensemble des stéréotypes affublés aux individus en fonction de leur sexe. C’est-à-dire le mythe à mille facettes qui va tenter de justifier la suprématie des Zhôms sur les Fâmes (je l’écris exprès comme ça, pour montrer que les Fâaames comme on l’entend dans la culture depuis l’enfance, ce n’est pas la même chose que les femmes, simplement adultes humaines femelles, pareil pour les Zhôms).
Selon les cultures, ce mythe va prendre des colorations différentes, mais sa finalité sera toujours la même : le pouvoir social des individus à appendice longitudinal sur les femmes.
Bref : le problème n’est pas la différence entre les hommes et les femmes, mais la hiérarchisation entre les zhôms et les fââmes.
La nécessaire radicalité
On a donc réussi à définir le problème : la hiérarchisation entre des groupes sociaux, quels qu’ils soient. Il s’agit maintenant de proposer des modes d’action pour y remédier.
Nous parlons de problèmes graves, sérieux : des choses qu’on veut abolir, éradiquer, résoudre définitivement. Quand on fait face à un génocide, on ne veut pas « adoucir le génocide » en légiférant pour en interdire les pires « dérives ». Non : on veut qu’il cesse pour toujours. Idem pour la prostitution, l’esclavage, toutes ces horreurs dans lesquelles des millions d’individus sont torturés, violées, méprisés – tuées.
Quand la nature est dévastée, on ne peut souhaiter s’accommoder de cette dévastation en remplaçant les pailles en plastique par des pailles green en bambou green : on veut y mettre un terme. On veut que pas une seule espèce animale de plus ne s’éteigne, que pas un seul kangourou supplémentaire ne meure dans un incendie causé par l’humain, que pas un seul hérisson ne soit encore sauvagement écrabouillé par les roues d’un SUV.
Quand les femmes ont toutes subi des agressions sexuelles à différents degrés ; quand plus de cent mille femmes sont tuées chaque année dans le monde parce que femelles ; quand le viol est employé comme arme de guerre, et quand les mutilations génitales féminines – mutilations des organes génitaux, biologiques, pas du genre, donc – sont encore pratiquées par millions sur la planète, on veut mettre un terme définitif à l’impunité, à l’ultraviolence et à la prétention cruelle des hommes. On ne veut pas que les femmes aient « un peu moins peur » dans la rue ou dans leur foyer, qu’elles se fassent « un peu moins défoncer la gueule » par leur conjoint, « un peu moins violer » dans le porno. On veut détruire le système qui permet cette violence ubiquitaire des hommes sur les femmes.
Ça, c’est la r a d i c a l i t é. C’est-à-dire, étymologiquement, littéralement : « prendre le problème à la racine », pour qu’il ne repousse pas sur une souche mal abolie. ON NE VEUT PAS repeindre notre cage en doré, en rose poudré ou en verdâtre, mais bien démanteler la cage, barreau par barreau et aussi longtemps qu’elle tiendra debout.
La radicalité est, par essence, incompatible avec le réformisme (pratique qui consiste à introduire des réformes politiques en restant dans le cadre institutionnel existant, celui-là même qui participe au maintien des oppressions qu’on combat). On ne peut à la fois aménager notre cage avec des petits coussins douillets, et s’activer à la détruire.
On ne peut lutter contre l’industrie ET prôner une industrie capitaliste et durable. C’est un oxymore.
On ne peut pas lutter pour l’émancipation totale, absolue, sans condition, des femmes, pour leur libération en tant que classe de sexe, ET prôner le renforcement de l’outil de notre oppression, le genre, notamment en en faisant une « identité ».
On ne peut lutter contre l’exploitation sexuelle tout en prétendant s’empouvoirer en s’autosexualisant pour le plaisir de ceux qui nous oppriment. De toute façon, on ne peut pas prétendre qu’un truc que les zhôms attendent de nous puisse être féministe ou libérateur.
Ami·es libérales, ne voyez-vous pas la contradiction criante de votre idéologie ? Ne percevez-vous pas le manque d’ambition, d’intégrité, d’honnêteté du libéralisme – qui en réalité confine à l’individualisme triste, qui en réalité ne profite qu’à quelques individus privilégiés à l’échelle du monde, sans remettre en question les fondements de toutes les oppressions que vous pensez combattre ?
Si vous avez réellement soif de justice, ne voyez-vous pas l’importance d’une cohérence radicale et d’une intégrité véritable ? Sans rien concéder à la facilité et au confort(misme), à la paresse intellectuelle ?
Ne comprenez-vous pas que ce positionnement radical résulte d’un besoin profond d’équité, d’amour de la liberté (la vraie, commune, pour toutes et tous, pas que pour quelques Occidentaux privilégiés) et de la justice – et non pas de la haine que vous vous exténuez à projeter sur nous ?
Ne percevez-vous pas que la position réformiste des libéraux en tout genre ne servira jamais la libération totale, générale, de tous les groupes opprimés, puisqu’elle ne prend en compte que les intérêts de riches et d’Occidentaux déjà privilégiés : c’est le cas des « écolos » du vendredi, qui vantent les bienfaits des voitures électriques et de l’internet collaboratif (qui reposent sûrement sur un extractivisme vert, éthique et sur une destruction raisonnée des océans, hein), bref, qui pensent que si la destruction coloniale est trop lointaine pour être directement visible, elle en devient tolérable.
C’est le cas des queers, qui n’aspirent qu’à « subvertir » le système oppressif, donc pas à le briser. En préférant transitionner d’une case à une autre (cases de genre, donc de clichés néfastes, puisque le sexe, faut-il le redire, ne peut être modifié), non seulement ne remettent pas en cause le patriarcat, mais en plus retirent aux femmes les mots mêmes de leur lutte, les mots qui leur servent à se nommer et à nommer leurs oppresseurs. Le tout, avec le soutien évident et mielleux de l’immense industrie chirurgicale, esthétique et pharmaceutique – qui, comme sa comparse l’industrie pornographique, est constituée d’extrêmes gauchos, n’est-ce pas.
C’est le cas, encore, des trotskystes-léninistes, qui veulent que les ouvriers se réapproprient les outils de la production, sans remettre en cause le moins du monde l’existence même de cette production de masse, de ses machines et industries destructrices, polluantes et funestes.
Voilà, avec ce petit texte évidemment j’ai l’impression de réinventer l’eau tiède, mais parfois, probablement, les choses basiques sont bonnes à être rappelées. La radicalité est indispensable si l’on souhaite faire quelque chose de concret contre les injustices du monde. Je ne sais pas comment mettre en place cette radicalité dans tous les domaines, car c’est quelque chose que nous devons discuter ensemble, en commun. Personne n’est capable de nous donner toutes les réponses. Mais ce qui est sûr, c’est que l’action doit commencer par une réflexion honnête : il s’agit de ne pas se voiler la face, ne pas se mentir à soi-même, ne pas se satisfaire de mensonges duveteux et de (non)solutions simplistes. De ces fausses solutions qui nous permettraient par exemple, à nous, gens de gauche et anarchistes occidentales, de continuer à mener nos modes de vie confortables sans rien changer, avec la conscience plus ou moins tranquille (au prix d’une importante dissonance cognitive, toutefois).
La radicalité n’est ni extrémisme, ni amertume, ni cynisme : elle est simplement la soif de justice, de dignité et de beauté pour toutes et pour chacun.

Anir, publié le 24 décembre 2024.

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Le consentement est utilisé, dans les débats sur la prostitution, pour porter la lumière sur celles qui subissent plutôt que sur ceux qui violentent. Parler du « choix des femmes » dans la pornographie et la prostitution revient à tirer un épais rideau entre ce qui est présenté sur la scène (les corps exposés, leur disponibilité apparente, le consentement de surface), et ce qui est dissimulé en arrière-plan (des industries profondément misogynes et prédatrices, la manière dont le consentement s’est formé ou a été extorqué). On voudrait nous faire croire que les femmes choisiraient d’être en situation de prostitution, d’être des objets de la pornographie, de se soumettre aux désirs d’hommes et ce, dans une prétendue démarche féministe de libre disposition de leur corps et leur sexualité.

L’illusion d’une sexualité « libérée & positive »
Ne connaître de la sexualité que ce que la culture patriarcale nous en a appris amène certaines femmes à penser l’intime selon le prisme masculin. La définition féministe selon laquelle le fait d’avoir des rapports sexuels avec une personne qui ne le désire pas constitue un viol disparaît mystérieusement lorsque de l’argent rentre en jeu. Comme si la nature transactionnelle de l’acte, ou le fait qu’un homme ait sciemment des relations sexuelles avec une personne subordonnée (c’est la partie qui paie qui détient le pouvoir, à l’instar du patron et de l’employé·e), annulait le traumatisme. L’autrice Rhéa Jean, explique dans L’intime et le marché que « la personne dans la prostitution dit d’abord « non » à la rencontre sexuelle par le fait de ne pas être accessible autrement que par l’argent. Ainsi, la prostitution dépend non pas d’un consentement préalable [..] mais d’un refus initial. »
Une personne sexuellement libérée cherche d’autres personnes libres et égales avec qui partager un désir mutuel. Elle ne monnaie pas son intimité, et encore moins ne soudoie des femmes qui ont besoin d’argent. Quiconque propage l’idée que le sexe peut être un service offert aux hommes légitime le fait de ne pas tenir compte du désir, du confort et des limites de ses partenaires sexuel·les. C’est la continuité de la culture du viol qui invisibilise la sexualité et le plaisir des femmes. La pornographie s’aligne sur le discours des défenseurs de la prostitution en parlant de « sexualité positive, libérée », et bénéficie d’un statut protégé dans les cercles de gauche, qu’elle ne mérite absolument pas. Comme l’explique la journaliste Gloria Steinem, « nous prétendons que le porno est sexuellement libérateur, alors qu’il renforce tous les stéréotypes sexuels et raciaux que nous abhorrons1. »
Un choix favorisé par la société

« Le fait que le choix d’une femme soit inégal à celui d’un homme dans cette société est la raison pour laquelle les prostituées sont principalement des femmes et des filles, et pourquoi les prostitueurs sont presque toujours des hommes2. »
Témoignage de Chelsea Geddes, survivante de la prostitution.
Personne ne suggère jamais à un homme de louer ses prestations sexuelles lorsqu’il est en difficulté financière, mis à part sur le ton de la plaisanterie. L’inverse est faux. Pour les femmes, c’est suggéré, et bien loin d’être une blague. S’il est plus facile pour les femmes de se dégrader sexuellement (notamment contre de l’argent), c’est d’une part à cause des agencements de nos sociétés, qui font en sorte que ce soit le cas pour elles de par leur socialisation, les traumatismes qu’elles subissent, ainsi que par les représentations médiatiques qui contribuent à normaliser leur objectification. Tout un discours contribue à cette normalisation : depuis les slogans mensongers qui affirment que la prostitution serait le plus vieux métier du monde (lire notre article La prostitution : une question de vocabulaire ?), en passant par le discours libéral qui promeut la pornographie et la prostitution comme un moyen d’autonomisation et d’empouvoirement pour les femmes (et seulement elles), jusqu’à la publicité sur les réseaux sociaux, à l’instar de celles de la plateforme Onlyfans, qui cible tout particulièrement les jeunes femmes sans le sou « qui en auraient assez de se nourrir de ramen à 99 centimes3 ». Tandis que les hommes ne s’imaginent jamais adopter une telle « activité », car la société les pousse à s’imaginer plutôt dans le rôle du « client ».
Les jeunes femmes elles-mêmes ironisent parfois sur le fait d’en venir à vendre leurs sous-vêtements, des photos dénudées ou de leurs pieds, ou encore à accepter les avances d’hommes riches, si elles échouent dans leurs études, dans leur carrière ou si elles se retrouvent dans une situation difficile. C’est bien parce qu’elles savent inconsciemment que si l’industrie du sexe était un choix, il serait celui de celles qui en possèdent le moins.
Lorsque l’on écoute les discours de femmes qui affirment avoir choisi la prostitution, derrière l’écran de fumée du « je suis ma propre patronne, je travaille quand je le veux », on découvre rapidement une précarité financière, un isolement, des violences, un ou plusieurs burn out qui rendent le travail salarié difficile, un conjoint qui « suggère » l’idée, etc.
Dans Grandir dans une société hypersexualisée, nous avons vu que les adolescentes de 18 – 19 ans qui entrent dans l’industrie des films « pour adultes » avouent candidement avoir visionné de la pornographie depuis un très jeune âge.
Cette information est loin d’être anecdotique, et bien connue des pornographes pour qui cette violation de l’esprit en maturation est une aubaine. Elle leur donne accès à un vivier de très jeunes femmes déjà formatées et désensibilisées à la violence sexuelle. Dans le documentaire Pornocratie4, un réalisateur français exilé en Hongrie, accusé maintes fois de faits de viols — qu’il n’hésite d’ailleurs pas à monétiser en les publiant en ligne, avoue de lui-même que certaines jeunes actrices affirment le connaître et regarder ses vidéos pornographiques depuis qu’elles ont seulement huit ans. Bien souvent, c’est l’âge auquel elles ont eu un accès sans surveillance à Internet. Ce qui ne peut laisser indemne le développement de leur identité.
Dans son ensemble, l’industrie de la pornographie bénéficie de l’infraction psychique perpétrée sur les jeunes femmes exposées à de telles images, qui en viennent à penser les corps comme des marchandises. Mais de quelle liberté de choix parle-t-on lorsque des adolescentes, à 18 ans à peine, décident de devenir l’objet de la pornographie, lorsqu’elles traînent derrière elles une décennie d’exposition à des images pornographiques violentes ?
Comme expliqué dans L’Alinéation traumatique, les violences subies entraînent diverses répercussions sur la personnalité et la sexualité d’une personne. La psychothérapeute Michaela Huber explique que « pour permettre à des inconnus de pénétrer son corps, il faut éteindre certains phénomènes naturels : la peur, la honte, le dégoût, l’étrangeté, le mépris et le sentiment de culpabilité. À leur place, ces femmes mettent l’indifférence, la neutralité, une conception fonctionnelle de la pénétration, une réinterprétation de cet acte comme un « travail » ou un « service » 5 ».
Le consentement face à la prédation

« Nous apprenons aux filles à être aimables, gentilles, hypocrites. Et nous n’apprenons pas la même chose aux garçons. C’est dangereux. Tant de prédateurs sexuels en ont tiré parti. »
Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, Chimamanda Ngozi Adichie.
Comme nous l’avons vu dans Formuler le refus est une compétence, la socialisation genrée entraîne une véritable différence d’assertivité entre les sexes. Les prédateurs ayant parfaitement conscience des mécanismes de domestication par lesquels les femmes passent, ils n’hésitent pas à les utiliser à leurs fins, notamment dans l’industrie des films pour adultes.
Dans le documentaire Beyond Fantasy6, un ancien producteur de films pornographiques explique qu’il dissimulait les conditions du contrat en amont, donnait le moins d’informations possible au préalable, jusqu’à ce que les jeunes femmes se retrouvent physiquement dans un environnement qu’il contrôlait. Il utilisait cette méthode coercitive d’autant plus s’il pensait qu’elles refuseraient de venir si elles savaient ce qu’il attendait d’elles. Bien qu’elles aient signé des « formulaires de consentement », ceux-ci n’étaient pas valides car elles ne disposaient pas de toutes les informations.
Dans le même documentaire, un autre ancien pornographe dévoile la manière dont ses confrères font en sorte d’obliger de jeunes actrices à céder à des pratiques sexuelles qu’elles ont catégoriquement refusées, usant de la surprise et de la coercition : ils les engagent pour une scène, éludant les détails, attendent qu’elles se soient suffisamment investies (biais cognitif du coût irrécupérable), de par le temps de trajet, la préparation pour le maquillage et la coiffure, la séance photo qui précède la scène, les premiers rapports sexuels, etc. Puis, tout d’un coup, usant de la surprise, les pornographes imposent une pratique refusée, expliquant que c’est obligatoire, car étant l’objet central de la scène pour laquelle elle ont été engagées. Si les actrices ne cèdent pas, elles repartiront sans être payées pour ce qu’elles ont déjà fait, et seront suivies par une mauvaise réputation qui les empêchera d’évoluer dans le milieu. Évidemment, une fois nues, exposées, seules, aveuglées par les projecteurs et entourées de plusieurs hommes bien plus âgés, dans un environnement qu’ils contrôlent, avec toute cette pression qu’ils mettent sur leurs épaules, elles se retrouvent à céder.
Lana Rhoades, ancienne « star porno », se remémore en pleurs dans un podcast une situation similaire : à 20 ans, elle se retrouve sur un plateau de tournage, seule, sans son agente, et est incapable d’exprimer son refus d’exécuter un acte inattendu. Elle se retrouve alors à laisser le pornographe uriner dans sa gorge7.
Cette forme de prédation est loin d’être réservée aux productions étatsuniennes, la pornographe et ancienne actrice x française, Liza Del Sierra, explique qu’elle faisait la même chose jusqu’à récemment sur le plateau de Ça Commence Aujourd’hui8 : « j’ai eu des comportements inappropriés avec des comédiennes ». Elle leur disait : « ça va, tu serres les dents pendant 20 minutes, j’aurais ma position [acte sexuel], si tu me fais galérer, on va y passer deux heures ». Comportement qui lui semblait normal car c’est exactement ce qu’elle avait elle-même connu dans cette industrie pendant une décennie : des pornographes qui franchissent les barrières érigées par les actrices, quand elles arrivent à exprimer des limites. Pour chaque actrice qui affirme être bien traitée, combien vivent un calvaire ?
Les témoignages recueillis lors de l’enquête sur l’un des rabatteurs de la pornographie française9 et pour le rapport du Sénat10 de 2022 permettent de comprendre la manipulation opérée pour que des femmes consentent, parfois, à faire le premier pas dans leur propre déshumanisation, puis l’engrenage qui s’ensuit. L’idée est toujours la même, amener la proie à penser qu’il s’agit d’un choix qui peut régler une bonne partie de ses problèmes.
Lorsque l’on confronte des consommateurs de pornographie à ces méthodes, ils nous répondent que ces femmes « l’ont choisi », ou encore « qu’elles aiment avoir des relations sexuelles et être payées pour » (si tant est que l’argent leur revient), qu’importe si la scène en question inclut des violences physiques réelles, et bien qu’il leur soit impossible, depuis leur écran, de déterminer si la personne a réellement consenti aux actes sexuels effectués, ni à ce que la vidéo soit diffusée. Et quand bien même elle y aurait consenti à l’époque du tournage, est-elle toujours d’accord pour que, parfois des années plus tard, la vidéo soit encore accessible à n’importe qui ? Les moyens de production et la source de ces images restent flous pour les consommateurs qui ne voient que des catalogues de vidéos qui entremêlent images légales et illicites. Pornhub a hébergé des vidéos de pédopornographie11 et de revenge porn, c’est-à-dire des vidéos diffusés sans l’accord des femmes filmées dans le but de les faire souffrir. L’entreprise qui possède Pornhub, nommée MindGeek à l’époque des faits (désormais Aylo), a avoué, lors de sa condamnation, avoir profité du trafic sexuel généré par ces vidéos12.
Rappelons que, dans la pornographie, contrairement à d’autres types de production cinématographique, il n’y a pas d’effets spéciaux, pas de fond vert. On entend souvent que la pornographie est de l’ordre du fantasme, de la fiction. Or, elle ne se réduit pas à une simple représentation, l’acte y est bien réel. La violence, les insultes, les humiliations et les tortures sont subies par de vraies femmes, dotées, s’il fallait le rappeler, d’une sensibilité physique et émotionnelle.
Parfois, les défenseurs de ces industries tordent leurs propres arguments pour parler de « meilleures conditions de travail » pour la prostitution et la pornographie, à l’instar des « meilleures conditions d’abattage » pour les autres animaux. Une vision welfariste13 (welfare veut dire bien-être en français) car il est impossible pour ces gens-là d’imaginer que l’accès aux corps des femmes, à travers des écrans ou directement entre leurs mains, puisse cesser d’exister.
Le consentement est une excuse

« Le consentement est le principal prétexte, légal et social, de ne rien faire contre les agressions sexuelles. »
Catharine MacKinnon, interviewée pour Le Monde14
Le mythe d’une égalité déjà acquise entre les femmes et les hommes est bien ancré, tout comme les arguments relatifs au choix. Ce discours entrave notre capacité à remettre en question les mécanismes de la prostitution, c’est d’ailleurs son but. Le consentement sert de bouclier dès lors que l’on pose des questions, que l’ont émet des réserves quant à l’agentivité réelle des femmes en situation de prostitution, alors qu’il est une notion bien trop limitée pour servir d’argument incontestable. Il est façonné et contraint par les conditions inégales dans lesquelles nous vivons, qui plus est lorsque nous pouvons intérioriser dans nos corps et notre pensée les mécanismes de la domination.
Chaque fois que nous dénonçons l’industrie sexuelle et sa violence (qui en fait partie intégrante, et sur laquelle elle se fonde), la discussion se transforme rapidement en débat sur le choix, annulant les discussions. Mais le féminisme ne débat pas de « choix » individuels. Le choix de faire ce que l’on veut, ce n’est pas le féminisme, c’est la liberté telle que la conçoit le libéralisme15. Le féminisme n’est pas la valorisation des ressentis personnels, c’est une lutte systémique qui dépasse largement les choix individuels et qui a pour but de libérer les femmes en tant que classe sociale, d’abolir le patriarcat et ses systèmes d’oppression. Qu’une poignée de femmes puissent peut-être trouver de l’empouvoirement (acquérir un maximum de pouvoir dans la société telle qu’elle est) dans l’industrie sexuelle ne signifie pas qu’il s’agit de féminisme. Cet empouvoirement ne remet rien en cause, certainement pas l’exploitation sexuelle des femmes, ne challenge pas la société patriarcale, et maintient le statu quo avec les hommes, c’est-à-dire la situation d’inégalité et d’oppression. Il met l’accent sur le succès individuel, à travers l’argent, de quelques personnes, au lieu de privilégier l’intérêt général de toutes les femmes.
Au lieu de parler du soi-disant choix des femmes, nous devrions porter notre attention sur le comportement des hommes, car ce sont eux qui commettent l’écrasante majorité des actes de violence, et bâtissent des industries avilissantes pour leur propre profit. Car en parlant de notre « droit à nous vendre », nous omettons le droit des hommes de nous acheter.
Une chose est sûre, il n’y a pas d’égalité dans l’industrie sexuelle. Derrière le mur imaginaire du consentement, subsiste la violence d’institutions profondément misogynes.

« Il était une fois, au début de cette vague féministe, un consensus reconnaissant les choix des femmes comme construits, imposés, encadrés, altérés, limités, contraints, façonnés par le patriarcat. Personne n’entendait par là que les choix des femmes étaient déterminés, ni que les femmes étaient des victimes passives ou impuissantes du patriarcat. »

Libéralisme sexuel et reproductif, Janice G. Raymond16.
Morgane.
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L es violences entraînent diverses répercussions sur la personnalité d’un·e individu·e, aussi bien dans sa relation à soi, que dans celle avec autrui. Démunie, une victime de violence peut se retrouver à bricoler des solutions de survie psychique d’urgence, telles que la passivité, l’identification à l’agresseur, une personnalité adaptée aux circonstances, une banalisation des actes subis, de la dissociation, etc. Des solutions qui permettent d’amoindrir la souffrance sur le moment, mais qui, en s’installant dans le quotidien, entravent la capacité de la personne à consentir de manière éclairée et à se protéger de nouvelles agressions.

L’aliénation par le viol
Aucune femme ne tombe par hasard dans la prostitution. Il n’existe pas non plus de sous-espèce de femmes prédisposées à assouvir les désirs sexuels des hommes afin de gagner leur vie. En réalité, l’entrée dans la prostitution se fait toujours par un glissement, une conjugaison de plusieurs facteurs1 : dénuement affectif, entourage dysfonctionnel, misère, fugue, coercition, agression sexuelle, inceste, addiction… Selon les estimations, entre 50% et 70% des personnes prostituées rencontrent des troubles psychiques2 : fragilité psychologique, dépression, syndrome post-traumatique, entre autres. En outre, 60 à 70 % des personnes prostituées déclarent avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles antérieures à l’entrée dans la prostitution3.
À la suite d’un viol, certaines femmes en viennent à minimiser ce qui leur est arrivé, afin d’apaiser, sur le court terme, la souffrance causée par ce traumatisme1. Ce déni est encouragé et facilité par la culture du viol (ensemble des comportements qui banalisent, excusent et justifient les agressions sexuelles) qui imprègne notre société.
Ainsi, pour les femmes dont on a réduit, par le passé, la souveraineté sur leur propre corps, la prostitution apparaît comme une solution, mêlant illusion de liberté et de pouvoir, de reprise de contrôle sur les violences passées en reproduisant l’acte subi (répétition traumatique), ou en faisant « payer » le client de son argent.
Dans son livre Il n’y a de lumière que dans la nuit, Caroline Doléans explique avoir commencé à se prostituer suite à un viol en réunion subi à 18 ans. Elle estime que cela lui donnait l’impression de reprendre le pouvoir. Il est à comprendre que le rapport prostitueur / prostituée est un viol, mais lorsqu’elle, la femme, se positionne elle-même dans le rôle de prostituée, elle pense pouvoir à minima émettre des réserves ou exercer une forme de contrôle dans l’acte sexuel. C’est une chose qu’elle n’a pas le sentiment de pouvoir faire en dehors du cadre de la prostitution, car elle peut choisir (parmi ceux qui la sollicitent) lequel sera le violeur, la manière dont son corps sera violé, où et quand cela se passera, et un dédommagement immédiat sous la forme d’une compensation financière. Virginie Despentes décrit également ce processus dans King Kong Théorie : « La prostitution a été une étape cruciale, dans mon cas, de reconstruction après le viol. Une entreprise de dédommagement, billet après billet, de ce qui m’avait été pris par la brutalité. » Elle explique dans le même ouvrage que « le viol fabrique les meilleurs putes ».
Or, on ne guérit pas le viol par le viol. C’est comme rouvrir inlassablement ses propres blessures en espérant qu’elles guériront mieux cette fois-ci, alors qu’on ne fait que fragiliser davantage sa peau déjà meurtrie.
L’inceste, terreau de la prostitution
Dans Prostitution and Male Supremacy4, Dworkin écrivait « l’inceste est la filière de recrutement [pour la prostitution]. C’est là qu’on envoie la fille pour lui apprendre comment faire. […] On l’entraîne. Et l’entraînement est spécifique et crucial : on l’entraîne à ne pas avoir de véritables frontières à son propre corps, à être bien consciente qu’elle n’est valorisée que pour le sexe, à apprendre au sujet des hommes ce que l’agresseur sexuel lui apprend. ». En d’autres termes, une enfant qui subit l’inceste a pour terrain une expérience familiale marquée par des abus sexuels, une dynamique alors bien connue par l’enfant, où les choses sont prévisibles, qui sait quel est son rôle, quelles sont les attentes. Il n’est alors pas surprenant que presque la totalité des mineures en situation de prostitution aient subi des violences sexuelles5.
Celles-ci introduisent l’enfant à la sexualité par une sur-stimulation physique et psychologique négative, et cela peut avoir un impact considérable sur son intégrité physique et sur son sens sexuel de soi6. En résulte soit une honte écrasante aboutissant à un retrait sexuel, soit une activité sexuelle compulsive et aveugle7, c’est-à-dire par exemple accepter n’importe quel étranger pour partenaire sexuel, en dépit de son attirance, orientation sexuelle ou désir. Une sexualisation traumatisante entraîne une confusion sur les normes et les standards sexuels (comportements et actes sexuels attendus dans le contexte intime)8, ce qui facilite l’entrée dans la prostitution où seules les demandes des hommes prostitueurs comptent.
Le désir des survivantes de violences sexuelles peut aussi se retrouver fortement altéré, se construisant parfois à partir de traumatismes, surtout si ces derniers sont renforcés par l’exposition à des images dégradantes, comme expliqué dans l’article Grandir dans une société hypersexualisé.
Dans une entrevue du podcast Other People’s lives9, une femme explique avoir développé des fantasmes d’inceste à l’endroit de ses frères et sœurs à la suite des actes de son père incestueux, renforcés par une consommation de pornographie depuis l’âge de 9 ans, et la découverte à 12 ans d’une communauté qui s’organisait et diffusait de la pornographie incestueuse réelle sur Tumblr. Les membres de cette communauté n’hésitaient pas à présenter leur carte d’identité comme preuve du lien familial. Si en 2018, la plateforme a dû abandonner une partie de son contenu pornographique, il est notoire que le réseau social en hébergeait sans modération, au point que Pornhub ait été intéressé par le rachat de la plateforme10. Non seulement les traumatismes peuvent causer des pensées intrusives indésirables, mais ces dernières peuvent se voir alimenter via du contenu et des communautés en ligne, au lieu de trouver le soutien nécessaire afin de les surmonter.
L’incestuel : un climat (trop) intime
Bien que l’inceste reste tabou, ses répercussions sont assez connues, contrairement à celles relatives au climat incestuel, dynamique familiale dysfonctionnelle, qui porte l’empreinte de l’inceste sans passage à l’acte.
Concept théorisé par Paul-Claude Racamier, l’incestuel interdit à l’enfant d’ériger ses propres limites et barrières dès le berceau familial. Véritable climat de confusion des places au sein de l’unité familiale, il infiltre la strate du quotidien en toile de fond, telle une ambiance ordinaire, dans laquelle l’enfant évolue, dépourvu d’intimité propre à sa personne11. Tout est partagé, mélangé, à la vue de toutes et tous, même entre les différentes générations. L’espace personnel intime n’a pas d’existence, l’intrusion n’est pas nommée, ainsi on entre dans les chambres et les salles de bain comme s’il s’agissait d’espaces communs, sans frapper ; on interdit à l’enfant de fermer la porte de sa chambre à clef, voire de la fermer tout court, ou bien même d’avoir une porte. Le parent interfère dans la sphère intime de l’enfant et dévoile la sienne en toute banalité.
Il s’agit de sexuel-non-sexuel : la sexualité est partout mais déniée, banalisée. Le déni d’enfance assigne l’enfant à une place équivalente à celle de l’adulte, tout est montré sans filtre ; aucune image n’est considérée comme trop violente ; aucune plaisanterie n’est trop obscène, les adultes ont des paroles génératrices d’images sexuelles, des commentaires sur les corps, etc11. L’adulte, du fait de sa position d’autorité, objecte à l’idée de consentement ou d’indépendance de l’enfant, qui grandit avec des repères biaisés et une absence de limites protectrices, qui le ou la rendra d’autant plus susceptible à la victimisation au cours de sa vie12.
Dans le podcast La Vie En Rouge13, Valérie, l’une des personnes interviewées, raconte la relation entre son père et elle, teintée d’incestuel. Bien qu’il n’ait jamais franchi la limite du passage à l’acte de l’inceste, il n’hésitait pas à cacher sa collection de pornographie dans sa chambre d’enfant, à se servir d’elle, une fois majeure, pour entrer dans des clubs libertins (venir accompagné d’une jeune femme plutôt que de se présenter en tant qu’homme seul, quand bien même il s’agit de sa propre fille), ou encore jouer le chauffeur pour l’emmener voir des prostitueurs.
Ne parlons pas de choix
Comme l’explique Michaela Huber, « la plupart des femmes prostituées ont appris, par la violence sexuelle ou la négligence dans leur enfance, à se déconnecter d’elles-mêmes14 ». Elles subissent donc des conséquences psychologiques qui entraînent une altération de leur capacité au consentement. Rechercher du plaisir dans la dégradation sexuelle est une conséquence de l’excitation post-traumatique. Parler de « prostituée heureuse », du « plus vieux métier du monde », « d’argent facile » et de « choix » est bien souvent un déni d’aliénation traumatique, alors que l’accent devrait être mis sur les conditions dans lesquelles la personne s’est retrouvée en situation de prostitution, et sur l’aide psychologique que l’on devrait lui apporter, afin de l’aider à s’en sortir réellement.
Morgane.
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« Nous vivons dans un monde rempli de femmes incapables de respirer librement parce qu’on les a conditionnées […] à se contorsionner pour tenter de se rendre aimable. »
Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, Chimamanda Ngozi Adichie.
De la difficulté à faire respecter ses limites

Lorsque Simone de Beauvoir écrivait « on ne naît pas femme, on le devient1 », elle décrivait la socialisation genrée comme un système de dressage par lequel la petite fille passe, bien souvent inconsciemment, pour correspondre, une fois adulte, aux attentes de la société patriarcale.

Cela commence par un conditionnement aux rôles genrés, par des jouets étiquetés féminins qui nous apprennent la servitude (dînette, ménage, etc.) et la soumission aux normes de beauté (maquillage, tête de poupée à coiffer, etc.). Même les vêtements des petites filles privilégient les thèmes de l’amour et de l’apparence, avec des messages tels que « be kind », « la plus jolie », « smile ». Le dressage se poursuit par une « éducation » à la sexualité où nous apprenons à prioriser les désirs des hommes — soi-disant irrépressibles par nature, contrairement aux nôtres. 
Ainsi, nous toutes, internalisons des injonctions qui jouent en notre défaveur. Nous apprenons à faire passer les autres avant nous-mêmes ; à prendre soin ; à ne pas occuper trop de place ; à être passives. Et puis, il y a tout ce que nous n’apprenons pas ; à formuler un refus, à s’imposer, à faire valoir nos droits, à faire respecter nos limites. Il en résulte une véritable différence d’assertivité entre les sexes.
À force d’être celles qui prennent soin, les femmes finissent par ressentir de la culpabilité si elles osent exprimer un rejet. Il est ainsi plus difficile pour elles d’exprimer ce qu’elles veulent et, surtout, ce qu’elles ne veulent pas.
S’ajoutent parfois à cela des dynamiques familiales dysfonctionnelles ; une parentification3 qui rend prompt à arrondir les angles pour les autres, à accepter des choses qui nuisent à leurs propres intérêts dans le but d’apaiser autrui ou afin de détourner une attention négative4. Certain⸱es grandissent en apprenant que répondre « non » entraîne des conséquences. Comme l’explique Lindsay Gibson, « nombre d’enfants de parents abusifs apprennent à se soumettre aux souhaits d’autrui5 ».
Mais faudrait-il encore que nos limites soient respectées, car la parole des femmes n’a pas la même valeur que celle des hommes en société patriarcale. Comme le décrit si bien Gavin De Becker, « lorsqu’un homme dit non, la conversation prend fin. Lorsqu’une femme dit non, c’est le début des négociations6. »
Ainsi, en réponse à notre refus, nous entendons bien souvent : « Mais, je t’ai payé un verre ; un dîner ; offert un cadeau ; ai été gentil avec toi, ce serait bien de retourner la pareille », c’est-à-dire en cédant.
Certains exigeront des raisons pour ce refus, et des raisons valables selon leurs standards. Combien d’entre nous ont prétexté avoir déjà un partenaire pour être laissées en paix, quand bien même c’était faux ? La raison est que, souvent, les hommes ne respectent que les autres hommes. Certains seront enclins à respecter la « propriété » d’un autre, alors que le refus d’une femme n’est pas interprété comme définitif. Nous en sommes venues à voir des jeunes femmes qui partageaient leurs techniques contre le harcèlement de rue7. L’une d’elles, par exemple, consiste à s’agiter vivement afin de signaler la folie pour faire fuir ces hommes qui, elles le savent, balayeront leur non d’un revers de main.
Dans certaines situations, telles que le couple ou les rendez-vous romantiques, ne pas réussir à formuler un refus, ou voir ce dernier balayé par des négociations, fait du rapport sexuel une obligation dont il est difficile de se dépêtrer. Une française sur deux déclare avoir déjà ressenti une « dette sexuelle8 ». Certaines refusent que l’homme paie l’addition pour ne pas lui être « redevable ». D’autres pensent avoir trouvé la solution de ce déséquilibre dans le discours libéral et capitaliste du « sexe gratuit versus sexe payant », c’est-à-dire qu’elles demandent à être payées afin de ne pas se retrouver complètement « lésées » par ces rapports de force. Selon cette logique, quitte à subir un rapport sexuel, autant en retirer économiquement quelque chose.
La socialisation genrée encourage la prédation
La prédation masculine est facilitée par cette socialisation différenciée des femmes et des hommes. On apprend aux hommes qu’une femme qui n’est pas intéressée « joue les difficiles », « qu’elle se fait désirer », et qu’il leur faut simplement les gagner à l’usure. Les films et séries regorgent de scénarios qui confondent contrainte et séduction9, utilisent le topos de la résistance symbolique10, des scénarios dans lesquelles des personnages masculins finissent par obtenir la femme de leur rêve en s’obstinant, à l’instar de Léonard dans The Big Bang Theory, qui explique en long et en large à un groupe de geeks « avoir eu » Penny à l’usure. Dans pléthore de films, le premier rôle féminin exprime clairement son désintérêt à celui qui essaie de la séduire, mais il finit par la « gagner » après un geste héroïque.
Dans tous les cas, le refus de la femme est simplement vu comme une barrière à abaisser, qu’avec un peu de force (qu’elle soit dirigée à l’endroit de la promise, ou dans l’accomplissement d’un geste héroïque), de persuasion et de persistance, il est possible de fléchir jusqu’au sol. Ainsi, le refus initial d’une femme ferait partie du jeu de la séduction.
La socialisation masculine, qui englobe également la question de la sexualité, est basée sur la domination (le pouvoir) et la violation (des limites et des corps). Dans nombre d’œuvres de fiction ciblant un public masculin, nous retrouvons l’image de soldats, de guerriers, d’hommes de pouvoirs. Il s’agit rarement de leçons de partage et de respect des limites d’autrui. Est mis en avant que la finalité à atteindre importe plus que les moyens (guerre, vol, violence, atteinte à l’intégrité, etc.).
La séduction ne serait pas un tango à deux, mais une poursuite : le prédateur chassant la proie. C’est aussi ce que régurgitent les influenceurs masculinistes : il ne s’agit que de méthodes de chasse et de négociations. La problématique initiale n’est jamais « est-elle intéressée par ma personne ? », mais toujours « comment faire pour l’avoir ? ». Cette vision de la séduction est, aujourd’hui encore, inculquée aux garçons. Ainsi, le fait d’être insistant leur parait normal et n’est pas perçu comme du harcèlement. Les prédateurs, quant à eux, ont parfaitement conscience des mécanismes de domestication par lesquelles les femmes passent, et les utilisent à leurs fins.
Les hommes (ceux qui ne sont pas des prédateurs) ont parfois des difficultés à comprendre ce fait. Parce qu’ils n’ont pas, contrairement aux femmes, été socialisés à l’empathie et au don de soi ; ils ne comprennent pas la coercition collective qui est exercée sur les femmes. Ils pensent, « à sa place (par exemple dans le cas d’une actrice à qui on impose une pratique sexuelle), j’aurais le cran de refuser », car leur socialisation est le contraire de celle des femmes : on leur apprend à prendre le contrôle de la situation, à s’imposer, à dominer — ou à s’imaginer le faire.
De manière plus globale, tous les hommes bénéficient de la peur des femmes d’être mises en danger si elles répondent non à la demande d’un homme, que ce soit physiquement, socialement ou professionnellement. Ainsi, elles sont plus susceptibles d’accepter d’accomplir des faveurs et des tâches pour autrui (famille, collègues, voisins, etc.), par peur d’être perçues comme « difficiles ». La société attend des femmes un dévouement qui n’est pas attendu des hommes.
La soumission des femmes n’est pas naturelle
Si la soumission était innée chez les femmes, le patriarcat n’aurait pas besoin de tant d’injonctions pour leur rappeler de se soumettre, car la nature n’a pas besoin de rappels pour suivre son cours. Ces injonctions existent parce que l’endoctrinement nécessite des rappels constants afin de se maintenir.
Aucune femme n’aurait lutté pour notre indépendance et notre autonomie si nous étions biologiquement vouées à la soumission.
Penser que les femmes sont, par nature, soumises est risible. Il s’agit-là, sans doute, d’une projection des hommes. Après tout, ces derniers sont plus enclins à se soumettre les uns aux autres ; à adhérer aux hiérarchies et aux autorités (d’état ou de rue), comme dans les institutions militaires (se soumettre à un plus haut gradé) et religieuses (se soumettre à un dieu qui les guide), ou encore aux « alphas » (chef de meute), concept qui fait l’objet d’une véritable obsession ces dernières années.
En réalité, la hiérarchisation des êtres vivants est une création de l’homme, avec un tout petit « h ». Qu’il s’agisse de classer les autres animaux (certaines espèces sont jugées arbitrairement nobles, tandis que d’autres sont qualifiées de nuisibles), ou les êtres humains (le racisme et le sexisme en sont des exemples).
Défaire ce qui a été assimilé
La socialisation féminine est une violence émotionnelle commise à grande échelle. Il faut impérativement se défaire de ce conditionnement à répondre « oui » à toutes demandes parce que l’idée de refuser nous mets mal à l’aise. Aucune femme ne doit quoi que ce soit à un homme, encore moins notre intimité. Non seulement la socialisation genrée (des deux sexes) bride l’égalité, mais aussi, et surtout, notre autonomie, empêchant les femmes d’être souveraines de leur corps et de leur sexualité.
Indépendamment de ce que notre socialisation nous a appris, et au-delà des stratégies masculines, nous devons affirmer et revendiquer nos limites avec confiance, balayer les négociations, imposer notre refus. Il est impératif de s’entraîner à dire non, sans donner d’explication, sans se justifier, à ne plus perdre de temps et d’énergie à discuter, point par point, pourquoi nous refusons un rapport sexuel ou tout autre demande de ce type.
J’aime beaucoup dire « non est une phrase complète ». Alors, la prochaine fois qu’on vous dit de sourire, et que cela vous ennuie, répondez non. On vous dit : « tu serais gentille de faire ça » alors que vous ne le souhaitez pas ? Répondez non. Imprimez ces trois petites lettres et gravez les profondément en vous, car il vaut toujours mieux répondre par la négative que de se laisser entraîner dans les méandres de la servitude qui nous a été apprise. Soyons claires ; si Jim Carrey avait été une femme dans Yes man, le film aurait pris une toute autre tournure.
Morgane.
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Nous sommes toutes influencées par les contenus auxquels nous sommes exposées, volontairement ou à notre insu. Nous absorbons inconsciemment les images et les discours récurrents de notre quotidien. Plus ils interviennent tôt dans notre construction psychique, plus l’impact sera profond.

Qu’il s’agisse de télévision, d’Internet, de panneau publicitaire, de magazine, de pop culture, nos sociétés n’ont jamais été aussi sexualisées. L’enfant, sa sensibilité spécifique, n’est pas protégé·e, iel n’a pas sa place en ligne ou dans la rue. Ainsi, les filles grandissent dans une société qui trivialise la sexualité et traite les corps comme des marchandises.
Exposition à la pornographie dès le plus jeune âge
En 2023 en France, ce n’est pas moins de 2,3 millions de visiteur·euse·s uniques de moins de 18 ans qui se sont rendu·e·s mensuellement sur un site à caractère pornographique1. Près de la moitié des enfants de 6 à 10 ans est déjà équipée d’un smartphone2, alors que 30 % de la bande passante sur Internet est consacrée aux sites pornographiques3.
Sans le savoir et sans le vouloir, les plus jeunes peuvent facilement se retrouver plongé·es dans un gouffre sans fond d’images à caractères sexuelles.
Nombreuses sont les femmes qui témoignent avoir été influencées par la pornographie dans leur vie intime, dans leurs rapports aux hommes, ou avoir développé une dépendance à ce contenu après une première exposition enfant, parfois dès la prépuberté4. Bien souvent, les adolescentes de 18 – 19 ans qui entrent dans l’industrie des films pornographiques avouent candidement avoir commencé à visionner de la pornographie à un très jeune âge, à l’instar de Sofia5, Chloé Cherry6, Belle Knox7, Chloé Chevalier8, ou encore Lana Rhoades9, qui « rêvait » à douze-treize de devenir une célébrité de la pornographie, sans n’avoir encore jamais eu de relation sexuelle.
Les jeunes filles sont exposées à des images loin d’être sans danger : près de 90 % de la pornographie contemporaine présente au moins un acte d’agression (physique ou verbale) à l’encontre des femmes, avec en moyenne près de douze mauvais traitements par scène10.
Ces visionnages ne sont pas sans conséquences. La pornographie entraîne certaines croyances par rapport aux normes sexuelles (ce qui est attendu comme comportements et actes sexuels dans le contexte intime). Elle apprend aux filles à désirer la dégradation, à être excitée par leur propre souffrance, par l’humiliation et les violences dans le contexte sexuel, tout en participant à l’objectification des femmes de manière plus générale. Il s’agit là d’un véritable outil d’acceptation de son propre avilissement au profit du plaisir masculin.
Il a été démontré que les personnes exposées de manière régulière à du contenu à caractère sexuel objectivant les femmes, sont plus susceptibles d’adhérer aux stéréotypes concernant les rôles sexués et les violences sexuelles11. Ces images imprégnées de sexisme entravent la construction de nos propres fantasmes et de représentations saines de la sexualité. L’industrie pornographique formate l’imaginaire des filles très tôt, fabrique de sa toile des fantasmes artificiels, induits, qui n’auraient jamais été développés sans exposition à cette catégorie d’images. Penser que la pornographie est fictionnelle n’empêche pas l’enfant de s’en imprégner. Selon une étude britannique, 80 % des adolescent·es souhaitent reproduire ce qu’iels voient dans la pornographie12.
Ce n’est pas leur curiosité innocente ni le hasard qui les exposent à de telles images. Les piliers de l’industrie pornographique luttent vivement contre toutes formes de restrictions (vérification de l’âge, paywall, etc.), prétextant une soi-disant volonté de protéger la vie privée de ses utilisateurs, alors que, selon une analyse récente13, 93 % des sites X collectent et divulguent les données de leurs visiteur·euse·s à un tiers.
Cette exposition à la pornographie est loin d’être seulement le fait des sites dédiés : un rapport anglais14 révèle que Twitter (désormais X) est le site sur lequel la plus forte proportion de jeunes (41 %) accède à du contenu à caractère sexuel. Les individus à la tête de cette industrie n’hésitent pas à investir les réseaux sociaux et à surfer sur les tendances de la pop culture : par exemple, en 2019, en pleine ascension de la série The Mandalorian diffusée sur Disney +, Pornhub partage sur Instagram un meme15 sur lequel Baby Yoda, créature enfantine, apparaît avec le reflet du logo du site pornographique incrusté dans ses yeux, accompagné d’un message sans équivoque : « 10 secondes après que mes parents quittent la maison ». Ceci prouve qu’ils ont parfaitement conscience que des enfants regardent de la pornographie sur leur plateforme, et qu’ils sont à l’aise avec cette réalité.
Il n’y a aucune limite que l’industrie pornographique n’osera franchir pour gagner en popularité et enrôler les plus jeunes. Car l’enfant consommateur·rice d’aujourd’hui est l’adulte dépendant·e de demain.
Des effets délétères sur le développement du cerveau
Le cerveau gérant le traumatisme de bien des manières déconcertantes, il arrive que des jeunes filles en viennent à penser « ne serait-ce pas excitant si cela m’arrivait ? ».
Les effets néfastes de la consommation de telles images sur le cerveau adulte sont bien documentés aujourd’hui. Que penser alors des conséquences sur celui d’enfants, qui en consommeront toute leur adolescence, à tel point qu’arrivé·es à la majorité, ils et elles auront déjà été exposé.·es à des centaines d’images sexuelles inappropriées et violentes ?
Ces dernières affectent directement le développement neurologique, initient une érosion du cortex préfrontal16 (région décisionnelle du cerveau, du raisonnement et du contrôle inhibiteur), un rétrécissement de la matière grise17 (lié aux fonctions cognitive), et endommagent le système de récompense dopaminergique16 et ce, même dans les cas de consommations « modérées ». La pornographie introduit les plus jeunes à la sexualité d’une manière qui induit une sur-stimulation physique et psychologique. Comme le souligne le psychiatre Norman Doidge, « la pornographie satisfait à toutes les conditions au changement neuroplastique18 ».
Qui plus est, en commençant jeune, il y a d’autant plus de risques d’habituation hédonique, c’est-à-dire d’accoutumance19, ce qui pousse les consommateur·rice·s à se diriger vers des images de plus en plus « fortes » et transgressives (pédopornographie, inceste, zoophilie, etc.), des contenus toujours plus avilissants envers les femmes (ou les hommes20) pour éprouver à nouveau une stimulation sexuelle équivalente, alimentant par la même occasion la surenchère de fantasmes violents induits, qui se retrouvent alors à habiter leur imaginaire. De la même manière, la pornographie devenue banale se renouvelle dans une perpétuelle quête de l’extrême. Une concurrence se crée alors sur le « marché », amenant les femmes prostituées dans le domaine de la pornographie à accepter des pratiques de plus en plus violentes pour maintenir leurs revenus.
Tandis que les parents et l’école peinent à instaurer un dialogue sain et continu sur la sexualité auprès des enfants, l’industrie de la pornographie est plus qu’heureuse de servir de substitut, nourrissant l’esprit des plus jeunes d’images inadéquates et dégradantes, ou le consentement bafoué est légion, l’objectification la norme, et les rapports de pénétration quasi systématiquement non protégés. C’est ainsi que la plupart en viennent à découvrir la sexualité, et plus inquiétant encore, à éveiller la leur. La psychologue clinicienne Maria Hernandez-Mora parle de « viol psychique pour les enfants21 ».
La culture du viol sur petit et grand écran
Dans la pornographie, les rapports de domination sont érotisés : d’un côté, on présente une sexualité féminine passive qui « s’offre » aux hommes, de l’autre côté, une sexualité masculine active, érigée en besoin quasi vital, irrépressible et violente « par nature ». Des représentations qui s’inscrivent pleinement dans la culture du viol22, et que l’on retrouve sur nos écrans, qu’il s’agisse de cinéma ou de photographie : le corps féminin est sexualisé sous l’angle de la soumission, de la passivité, de l’inaction, du laisser-faire, alors que les rares fois où le corps masculin est sexualisé, il ne perd pas son pouvoir de domination, il est en mouvement, en action23.
Car même sans consommation directe de pornographie, on ne peut échapper à son impact sur la culture qui a infiltré la vie quotidienne. Elisabeth Chan parle de « pornographisation » de la société, ou de « porno-chic ». Il s’agit d’un terme qui « fait référence à la présence publique croissante et omniprésente de l’iconographie pornographique dans un large éventail de médias, tels que la publicité, le cinéma et la musique. […] Cette normalisation de la pornographie menace l’égalité des femmes car la pornographie favorise la dévalorisation des femmes24. ».
Dans des séries de prime abord inoffensives, la pornographie y est présentée comme une habitude normale. Dans Friends, Joey et Chandler regardent de la pornographie sur leur télévision pendant des jours entiers après être tombés sur une chaîne gratuite ; dans Jane the Virgin, Jane et son mari ont des problèmes d’intimité et sur les conseils d’un ami, se tournent vers la pornographie comme solution possible ; dans New Girl, Jess achète à Nick un abonnement à un site pornographique ; dans Grey’s Anatomy, un patient allergique aux analgésiques regarde de la pornographie dans son lit d’hôpital pour soulager ses douleurs chroniques, etc.
La palme d’or du Festival de Cannes de cette année 2024 a été attribuée au film Anora, qui vient s’ajouter à la liste des séries et des films propageant une image glamourisée de la prostitution, dans laquelle on retrouve Pretty Woman, The Escort, The Client List, Baby, Bonding, etc. Presque tous ont en commun une jeune protagoniste prostituée au mot enjoliveur (sugar baby, escorte, courtisane, etc.) qui gagne des sommes astronomiques en rencontrant de beaux, richissimes et galants trentenaires.
La télé-réalité participe à sa manière au phénomène. Le Haut Conseil à l’Egalité (HCE) décrit dans la deuxième édition de son rapport annuel sur l’état du sexisme en France25 que « la télé-réalité est une grande pourvoyeuse de sexisme » : sexualisation outrancière, stéréotypes de genre, caricatures sexistes dans lesquelles « des Don Juan dominateurs » interagissent avec « des tentatrices ». Une récente étude26 fait le lien entre la consommation de ce type de programmes, et la manière dont les jeunes femmes en viennent à normaliser les violences sexuelles qu’elles subissent.
Cette réalité n’est pas nouvelle, il y a dix ans en France s’achevait sur MTV la télé-réalité Les girls de Playboy (The Girls Next Door), qui érigeait en vedette les très jeunes compagnes (dont certaines n’avaient que 19 ans) du prédateur Hugh Effner, accusé d’un nombre incalculable de violences sexuelles en tout genre, tout en vendant une vie de manoir, d’opulence et d’entretien aux jeunes spectatrices.
Ajoutez à tout cela, les scènes de sexe fictionnelles sans intérêt pour les scénarios, légions dans les films et séries tout public, l’objectification des femmes qui continue de proliférer dans les clips de musique, accentuant toujours plus la disponibilité sexuelle des femmes, les spectacles issus du « monde de la nuit » qui sont désormais des oiseaux de jour, à l’instar des drag queens, etc.
La prostitution glamourisée dans la littérature « young adult »
Quand il ne s’agit pas d’écrans qui exposent à la pornographie ou promeuvent la prostitution, d’autres supports prennent le relais. Loin des romans à l’eau de rose d’une autre époque, qui tentaient de dissimuler leur culture du viol dernière un vernis de romance, la littérature contemporaine regorge de récits fantasmant et normalisant la violence sexuelle à l’encontre des femmes, de la plus explicite des manières27.
Audrey Carlan est l’autrice de la série érotique états-unienne à succès Calendar Girl, composée de douze tomes, tous traduits en français, qui a bénéficié d’une promotion à grande échelle. Comme pour beaucoup de ces « romances », la richesse et le pouvoir des hommes et la soumission des femmes sont au cœur du récit. Lisons le résumé ci-dessous, annoté en vert par mes soins :
On suit donc l’histoire d’une jeune femme endettée à cause d’un homme (son père), menacée par un autre (son ex petit-ami) dont la propre tante proxénète est heureuse de la prostituer aux quatre coins du pays. Mais ici, tout est décrit de manière positive, glamour voire même amusante. Là n’est pas la seule aberration : très rapidement, Audrey Carlan a fait suivre une seconde série, mais cette fois-ci, le personnage principal est un homme, International Guy28. Mais contrairement à ce que vous pourriez penser, il ne s’agit pas d’un escort, non, le rôle de prostituée est réservé aux femmes, Carlan l’a bien compris.

Pour aller plus loin, lire « La prostitution : une question de vocabulaire ? ».

J’ai choisi de parler de Calendar Girl car c’est un exemple criant, une saga littéraire qui a bénéficié d’une promotion très importante en France via son éditeur Hugo New Romance ; en librairie, en tête de gondole, en espace culturel, dans les annonces ciblées des réseaux sociaux, les magazines féminins, en publicité à la télévision29.
Ce qu’il y a de plus cynique est lorsque la maison d’édition a sponsorisé des créatrices de contenus en ligne, notamment sur YouTube, afin d’en faire la promotion à un audimat mineur. On y retrouve notamment Sananas, présente en première page du site du roman30, payée pour vanter ce chef d’œuvre d’une autre dimension morale à ses abonnées, entre deux coups de blush dans une vidéo31 ; et sur Instagram, en faisant gagner des tomes, à condition d’avoir l’autorisation hypothétique de l’un de ses parents, ou encore Emmy et sa vidéo dédiée Devenir escort girl32, avec en prime des conseils pour apprendre à s’habiller pour l’occasion (« en mode escort »). Un total look femme prostituée donc, ce genre de connerie, ça ne s’invente pas.
On a donc ici l’exemple d’une série de romans qui glamourise la prostitution, auprès des filles et des jeunes femmes. Ou, comme l’autrice l’a si bien écrit sur la quatrième de couverture, “auquel les femmes d’aujourd’hui peuvent s’identifier : une femme volontaire, drôle, et sensuelle”. Il s’agit pourtant d’une jeune femme sans le sou, dont l’ex violent menace sa famille et dont la seule solution est la prostitution via sa tante proxénète.
Alors de quelle identification parle-t-on ? L’idée est qu’aujourd’hui la femme serait désormais volontaire, courageuse et généreuse à la fois. En fait, elle accepterait son destin déplorable et le porterait à bout de bras avec joie ; au lieu de désigner le ou les coupables de cette mascarade, elle embrasserait sa situation soi-disant empourvoirante de par leur sacrifice. Le livre de poche nous propose d’ailleurs un résumé plus court, qui souligne bien cette volonté :
Voilà donc comment les jeunes femmes pourraient s’identifier à ce personnage. On ne serait plus une victime de l’inégalité financière, de la traite humaine, etc., mais des entrepreneuses du sexe, des self-made women qui partent de rien et deviennent riches.
Si, les termes “New Romance”, “Young Adult”, “New Adult” sont utilisés pour un public cible compris entre 16 ans et 30 ans, la communication autour de ces romans se fait avec les codes de l’adolescence. Bien souvent, le style et le vocabulaire se veulent “jeunes”, d’une simplicité inouïe, l’orthographe et la traduction sont bâclées, les couleurs des couvertures sont flashy, on utilise volontiers le mot “Girl” (fille) plutôt que “Woman” (femme), la promotion passe par des influenceuses dont l’audience est mineure… tout est fait pour attirer un public d’adolescentes. On peut d’ailleurs lire de nombreuses critiques du livre qui font le même constat : « C’est un livre pour adolescentes, selon moi il ne convient pas aux adultes »33.
Une exposition qui infiltre les esprits
« Être attirée par ce qui détruit nous écarte toujours du pouvoir. »
King Kong Théorie, Virginie Despentes.
Ces différents supports relaient une vision sexiste et normative des comportements issus de la culture du viol (considérer les femmes comme objets à disposition, érotiser sa propre victimisation, etc.), notamment via l’effet de simple exposition : biais cognitif d’augmentation de la probabilité de développer un sentiment positif envers un stimulus (norme, idée, personne, discours, produit de consommation, etc.) par la simple exposition répétée. En d’autres mots, plus nous sommes exposé·es à un stimulus, plus nous sommes susceptibles de l’apprécier, et les préférences que nous développons se forment sans réflexion consciente ou interaction directe.
Un très grand nombre de jeunes femmes qui ont grandi avec de telles représentations se retrouvent fortement influencées dans leur trajectoire de vie. Ces images et discours omniprésents formatent leurs esprits, fabriquent de sa toile des fantasmes artificiels avilissants, normalisent des comportements outrepassant leur intégrité physique, le tout se retrouve alors à habiter leur imaginaire et détourner leur boussole morale (différenciation entre ce qui est bien et mal, acceptable ou non de subir).
Que faire face à une société profondément sexualisée ? D’un côté, je pense que la négligence joue une part prépondérante dans l’accès des enfants à des images indécentes. Faute de contrôle parental, de dialogue, de prévention, d’activités pour pallier l’ennui, de nombreuses filles grandissent avec un accès illimité à tous types de contenus, y compris les plus déshumanisants à leur égard. L’enfant qui consomme régulièrement des contenus en ligne sans supervision est, à minima, négligé·e par son entourage familial. Les enfants n’ont pas un besoin impératif de traîner sur les réseaux sociaux.
D’un autre côté, il est absurde d’attendre des parents d’apposer un filtre sur tout ce que leurs enfants peuvent observer dans la société. C’est aussi le travail de toutes et tous de laisser une place adéquate aux enfants et à leur sensibilité.
Comme le dit si bien Marie Claude Bossière, « Nos gouvernements n’arrivent pas à faire la part des choses entre la santé des enfants et nos libertés. Ils ont tendance à tout confondre. En estimant que la pornographie est moins préoccupante pour les adultes, ils mettent totalement de côté les mineurs »34.
Il existe pourtant des dispositifs qui pourraient rendre l’accès difficile aux contenus adultes ; la vérification de l’âge par un site tiers ; la validation via une carte bancaire ; l’obligation d’un paywall ; le bannissement des sites qui ne respectent pas les législations en cours.
Après tout, les sites de pari en ligne et de jeux d’argent, comme la Française des jeux, vont jusqu’à demander, non seulement une copie recto verso de la carte d’identité, mais aussi un code à recevoir par courrier pour valider son adresse postale, et ce, juste pour jouer en ligne deux euros au Loto. Et ça, ça ne dérange personne.
Les défenseur·ses de la pornographie pensent à tort que cela nuirait à leur vie privée, or, celle-ci est déjà inexistante puisque les sites pour adultes collectent en masse leurs données et n’hésitent pas à les revendre, les opérateurs (même avec VPN) peuvent avoir accès à la liste des sites consultés, etc. C’est se bercer d’illusions, et très certainement être de mauvaise foi, que de penser que passer par un site tiers vérifiant l’âge puisse nuire à leur vie privée.
Pour la télévision et la littérature, afficher a minima un avertissement avant la diffusion de tout média (film, série, vidéo, podcast, etc.) qui glamourise ou normalise l’inégalité femme-homme serait une première bonne piste. Ou bien préfacer les romans par « ce texte promeut la violence sexuelle à l’endroit des femmes », préciser avant une série « cette histoire fictionnelle ne représente pas la réalité de la prostitution », et accompagner ces avertissements de lignes de numéros verts ou de sites, à l’instar de ce qui est désormais fait lorsqu’un média parle de suicide ou de harcèlement.
Morgane.
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Nos choix individuels ne se forment pas dans un vide abyssal. Chaque personne les tisse inconsciemment, à la manière d’une toile d’araignée, au fil de leur vie, en fonction de leurs expériences et de leurs socialisations. Même en ayant la possibilité de choisir, tout ce que l’on vit et apprend nous oriente dans des directions spécifiques. En tant qu’êtres sociaux, nous sommes assujeti·es à des influences culturelles, à la pression sociale, à l’endoctrinement, à la coercition. Nous sommes en partie le résultat de l’équation de notre enfance et de notre environnement.

Alors que des voix s’élèvent afin de brandir le consentement sexuel comme outil émancipateur des femmes, balayant au passage tous débats, érigeant le choix individuel en sacro-saint, peu questionnent ce qui se cache dans son ombre. Dans cette série de quatre articles, nous allons revenir sur la manière dont il peut être construit, quelle valeur et quel rôle joue-t-il lorsque l’intégrité physique d’une personne est en jeu, qui plus est dans des industries érigées et dirigées par et pour les hommes, à l’instar de celles de la pornographie et de la prostitution.
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Plusieurs sondages indiquent que les femmes se revendiquent davantage féministes, au fil de l’âge et au passage des générations1. Seulement, cette revendication ne semble pas s’accompagner d’un fort engagement militant de leur part. Si la plupart des femmes reconnaissent la domination des hommes sur les femmes et le traitement inégalitaire qu’elles subissent2, elles restent minoritaires lorsqu’il s’agit de participer à des actions ou d’en être à l’initiative. Quelles sont les raisons de cette absence d’engagement ? Pourquoi n’y a t‑il pas encore eu une révolution féministe d’ampleur ? Plusieurs réponses existent. Je laisserai de côté deux d’entre elles — la sensibilisation de certaines femmes à la misogynie et les femmes qui choisissent délibérément de rejeter le féminisme — pour me concentrer sur la question des conditions matérielles. Il s’agira de comprendre ce qui empêche des femmes convaincues du besoin de lutter contre les violences patriarcales, de se mobiliser, et de participer à leur propre libération.

Les femmes n’ont pas d’espaces où se rejoindre et s’organiser

Ce fait matériel rejoint mon précédent article dans lequel nous abordions le manque d’espaces dédiés à la mémoire des femmes. Nous constations alors la difficulté pour les femmes de se construire en tant que groupe. Un groupe qui ne peut se penser, ne peut lutter. La communauté que forment les femmes doit dépasser l’état de conception abstraite et se manifester dans des lieux qui leur sont consacrés, où celles-ci peuvent échanger, se lier, penser leur libération. Les femmes, noyées dans leur quotidien, sont obligées de côtoyer les hommes et de composer avec eux. Les lieux de la vie ordinaire où les femmes peuvent se rencontrer sans être séparées parmi leurs oppresseurs sont rares. Les quelques espaces féministes non-mixtes proposés aujourd’hui semblent davantage dédiés à la discussion qu’à l’action. Ces lieux doivent désormais être pensés de façon systématique, avec une ambition féministe plus large. Si dans le cadre social, les occasions et les possibilités de se réunir pour agir sont plus nombreuses, cela semble bien moins évident dans le cadre féministe. Il est peut-être plus aisé de percevoir le caractère commun des difficultés matérielles et politiques dues à son milieu social, que celui des problèmes que noues rencontrons en tant que femmes, souvent pensés comme relevant du cas individuel. En effet, on compte bien moins de grèves féministes (qui sont par ailleurs définies de façon annuelle), que de grèves des travailleur·ses. Ne pouvons-nous pas supposer que la création de syndicats féminins serait bénéfique au féminisme ? De tels groupes permettraient de (ré)agir aux difficultés que les individues rencontrent en tant que membres de la classe femme au quotidien, et d’organiser des actions, des grèves sur un temps continu, et non ponctuel. L’existence même de pareils syndicats permettrait de rendre manifeste la réalité systémique de ces difficultés.

Famille, charge mentale, et relation avec les hommes
Il s’agit peut-être du point majeur de cet article. Imaginons que des espaces dédiés à la libération des femmes se soient installés de façon pérenne, la plupart d’entre elles seraient toutefois en incapacité d’agir. Comme la plupart des individu·es, elles travaillent. De plus, nous le savons, leur charge mentale et émotionnelle est supérieure à celle des hommes. Les travaux féministes l’évoquent depuis longtemps, notamment ceux de la deuxième vague, et la situation s’améliore encore trop lentement. Des pressions, de toutes parts, les submergent : être une bonne mère, impliquée dans son travail, dévouée auprès de ses ami·es. Pour beaucoup, leur vie est tournée vers autrui, au point de parfois faire passer les intérêts des autres pour les leurs. L’esprit des femmes est colonisé par des besoins qui leur sont extérieurs. Selon l’Ipsos, la charge mentale en France concerne 8 femmes sur 10 (2018)3. Au travail, ce sont elles qui font « le travail invisible » : nettoyer, sortir les poubelles, organiser les pots, etc4. Dans le couple, la gestion des tâches est assurée en majorité par les femmes, qu’elles soient ménagères ou financières.
Le patriarcat semble avoir conçu la prison la plus puissante pour enliser les femmes dans leur assujettissement. Cette prison à barreaux humains porte le nom de famille. La force de cette enclave réside en ce qu’elle est faite de liens affectifs. On estime que 31 % des mères n’occupent pas un emploi à temps plein du fait des enfants (c’est le cas de 5 % des pères seulement)5. Nous pouvons alors nous interroger sur la possibilité pour les femmes de contribuer au féminisme, lorsque nombre d’entre elles ne sont même plus en mesure d’avoir un emploi. Lorsque c’est le cas, elles vivent l’enfer de la double journée. Elles portent la responsabilité du bien-être commun et du maintien des liens inter-familiaux. Lorsque les femmes ont enfin du temps libre, elles sentent le devoir de le dédier à leurs proches ou à leur couple. La culpabilité émotionnelle, si elle n’est jamais justifiée, est une arme redoutable contre elles. Sûrement, les moments passés auprès des êtres aimés leur offrent-ils une joie sincère, mais cela serait une offense à l’amour que de penser qu’il exige un sacrifice aussi cruel. L’Autre, ne participe pas à son épanouissement, il en est le centre. La culture, l’apprentissage, le voyage, l’art, ne représentent plus que des choses secondaires de l’existence, dès lors que les femmes deviennent d’abord des mères et des épouses. On dira souvent qu’elles sont heureuses. Cependant, « il est toujours facile de déclarer heureuse la situation qu’on veut lui imposer : ceux qu’on condamne à la stagnation en particulier, on les déclare heureux sous prétexte que le bonheur est immobilité. » (Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir). Fonder un bonheur supposé sur une situation injuste, est la stratégie la plus tenace des hommes. Un faux dilemme leur a été imposé entre la joie des relations humaines et la liberté.
Emma Goldman disait très justement, dans un texte présent au sein du recueil De la liberté des femmes : « Leur épanouissement, leur liberté, leur indépendance doivent venir d’elles et grâce à elles. D’abord en s’affirmant comme des personnes […] ; en rendant leur vie plus simple, mais plus dense et plus riche. C’est-à-dire en essayant d’apprendre ce qui fait le sens et la substance de la vie dans toute sa complexité et puis en se libérant de la peur des opinions des autres et de la réprobation publique. C’est seulement cela, […] qui libérera les femmes, qui révélera en elles une force jusqu’ici inconnue du monde, une force d’amour véritable, de paix, d’harmonie ; la force d’un feu divin, de la vie qui se donne, créatrice d’hommes et de femmes libres. »
Les relations affectives qu’elles entretiennent avec les hommes, rendent parfois difficile de les percevoir comme autres, encore moins comme de potentiels agresseurs. Dans les autres luttes contre l’oppression, il n’y a pas de pareil lien entre un oppresseur et la personne opprimée. Les hommes établissent les femmes comme autres, alors que ces dernières ont toujours appris à les considérer, non seulement comme leurs semblables, mais comme partie intégrante de leur existence. Même dans le féminisme, nombre d’entre elles s’inquiètent que les hommes trouvent leur place.
C’est dans le cadre d’une vie où les femmes ne deviennent plus que des supports sur lesquels les hommes peuvent déposer leurs soucis émotionnels et tâches aliénantes, que leur esprit ne trouve plus d’espace pour penser leur liberté… pour penser tout court. Prises dans la toile des petites choses du quotidien, elles apprennent à s’oublier. Leurs besoins sont étouffés sous celui des autres. Lorsqu’elles pensent enfin à elles-mêmes, ce n’est que pour se reposer de leur dur labeur. Et même cela leur est rendu coupable. Un temps considérable est par là même offert aux hommes pour asseoir leurs privilèges, pour relationner et protéger leurs acquis. Ils ont ce qui permet à tout individu·e de vivre en tant qu’être humain : du temps libre. La libération nécessite du temps, les femmes en sont privées.
Féminisme, le besoin prioritaire ?
Les femmes connaissent souvent d’autres oppressions en fonction de leur classe, « race », orientation sexuelle… Il apparaît que le féminisme représente parfois une lutte moins évidente pour elles. Être une femme, c’est être l’Autre de façon absolue, comme le disait, une fois encore, Simone de Beauvoir. À tel point qu’il est difficile de déceler que certaines violences ne relèvent pas d’un ordre universel et nécessaire, mais du patriarcat, qu’elles ne sont pas inévitables mais contingentes. L’écrivaine relevait également : « Elles vivent dispersées parmi les hommes, rattachées par l’habitat, le travail, les intérêts économiques, la condition sociale à certains hommes – père ou mari – plus étroitement qu’aux autres femmes. Bourgeoises, elles sont solidaires des bourgeois et non des femmes prolétaires ; blanches, des hommes blancs et non des femmes noires. » La femme prolétaire, se confronte chaque jour aux difficultés matérielles, relatives à sa survie. Les liens qu’elle partage avec les autres membres de sa classe, se manifestent de façon plus évidente et quotidienne que les liens partagés avec les femmes d’autres milieux. Ainsi sera-t-elle souvent plus sensible au fait de s’allier avec d’autres hommes dans la lutte des classes. C’est aussi la raison pour laquelle une femme d’une classe sociale élevée, qui n’effectue pas un travail éprouvant et précaire (ou même n’ayant pas à travailler), éclairée sur la violence masculine, sera davantage susceptible, de pouvoir contribuer au féminisme. La domination masculine a cette particularité de s’exercer de la façon la plus dispersée qu’il soit, jusqu’à s’insérer dans le cadre intime et familial. Seul un œil averti permet de la démasquer. Toutes les femmes du monde ne sont pas confrontées à la même réalité. Nous pouvons comprendre que les femmes palestiniennes, par exemple, considèrent comme une priorité la lutte contre le racisme et la colonisation qui menacent leur vie au quotidien, les obligeant à reléguer la lutte féministe au second plan. Ces diverses violences, qui se superposent à la misogynie, doivent être considérées. Nous pourrions dans l’idéal garder à l’esprit toutes ces différences, sans oublier les intérêts précieux que nous avons à nous lier entre femmes, et que cette union est nécessaire à la fin du patriarcat. La conscience des difficultés de chacune est la première étape d’une entraide qui permettra aux femmes les plus violentées de rejoindre les autres ronces et de faire front.
Un exemple à suivre : grève féministe espagnole de 2018 ou le rôle des hommes
La grève féministe menée le 8 mars 2018 en Espagne (Huelga feminista de 2018 en espagnol) est un exemple exceptionnel de ce qu’il peut se produire lorsque les femmes sont libérées des contraintes qui les empêchent de s’unir et de protester. Elle permettra d’aborder un point que nous n’avons pas encore soulevé : le rôle des hommes. Ce mouvement qui a rassemblé plus de 5,3 millions de personnes à travers le territoire espagnol, contre les discriminations et violences subies par les femmes, a provoqué d’énormes répercussions dans le fonctionnement du pays. Pendant une journée, elles ont été des millions à ne pas se rendre au travail (y compris les femmes travaillant dans le care), à ne plus consommer, à refuser de s’occuper des tâches domestiques, des enfants ou encore des personnes âgées. Si cette mobilisation a pu avoir lieu, c’est parce qu’un certain nombre d’hommes ont pris leur responsabilité, en assumant la part de travail qui leur revient depuis longtemps. Peut-être serait-il intéressant d’aborder dans un autre article le rôle des hommes… dans l’éducation féministe des autres hommes. Pour l’heure, j’aimerais émettre l’idée que les hommes ne doivent pas se contenter de respecter une juste égalité des tâches avec les femmes de leur entourage et de ne pas faire reposer l’entièreté de leurs fardeaux sur elles. Il est de leur devoir en plus de cela, de se dévouer pour offrir du temps supplémentaire, et de façon hebdomadaire, pour qu’elles puissent participer à l’effort féministe commun. La vraie culpabilité émotionnelle ne revient pas aux femmes qui consacrent leur temps à la lutte, mais aux hommes qui prétendent les aimer, tout en tuant le temps qui leur permettrait de se libérer. Là, se trouve leur véritable égoïsme. Certains sont encore incapables de voir que l’amour d’un être libéré est plus gratifiant que celui d’un être qui nous est enchaîné (si encore nous pouvons appeler cela « amour »). J’irai plus loin en affirmant que ce temps devrait être un droit protégé pour toutes les femmes, si les hommes échouent, comme souvent, à faire preuve de conscience.
Penser la lutte au quotidien
J’aimerais conclure en repensant la notion de militantisme. Peut-être l’image de la militante est-elle encore attachée à cette femme qui, poing levé, mène des actions dans la rue et se confronte au monde avec détermination. Elle est militante en effet, mais elle n’est pas la militante. Militer est aussi un continuum de (ré)actions qui s’étend à l’échelle d’une vie. J’invite toutes les femmes qui en ont les moyens à participer de la façon qu’elles le souhaitent au féminisme. La sensibilisation scolaire, la prévention auprès d’autres femmes, l’alphabétisation, les collages, la théorisation, l’engagement associatif, rien n’est vain, tout a sa valeur. Dès lors qu’une femme entre en action, c’est une victoire contre l’asservissement de toutes qui a lieu. J’invite à nous unir, à épauler celles qui sont davantage en difficulté, à se mobiliser par tous les moyens pour qu’elles puissent nous rejoindre. Longue vie à la belle lutte des femme.

Assia.

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Illustration "Aimer nos corps de femmes"
Par où tout a commencé : puberté et misogynie

Jai eu la chance d’avoir une enfance heureuse, une famille aimante, une grande sœur qui prenait soin de moi, un petit frère adorable, et deux meilleures amies. Je n’avais aucun problème avec le fait d’être une petite fille à l’époque. En fait, je n’y pensais même pas. Les choses ont commencé à changer avec la puberté. Avez-vous vu le film Carrie au bal du diable ? La scène des règles ? Je pense que toutes les femmes qui ont paniqué lors de leurs premières règles se reconnaissent un peu dans cette scène. J’étais chez moi, heureusement. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. J’ai appelé ma mère à l’aide, avec une telle panique dans la voix que mon petit frère, pourtant cinq ans plus jeune, s’en souvient encore aujourd’hui. Le soulagement d’apprendre que c’était une chose tout à fait normale n’a pas duré. Certes, je n’étais ni malade ni blessée, mais j’allais me retrouver confrontée à cette situation tous les mois, pendant des décennies. Je n’étais pas exactement enthousiasmée par cette perspective.

S’il n’y avait que le sang, passe encore, mais j’ai eu la malchance de cumuler les difficultés : syndrome prémenstruel difficile, règles hémorragiques et irrégulières, douleurs multiples, sautes d’humeur… Pour couronner le tout, ma mère et ma sœur aînée n’ont jamais connu de pareilles difficultés et ne m’ont donc été d’aucune aide. Ma mère n’avait manifestement pas connaissance de l’existence d’un syndrome prémenstruel – elle ne m’en a en tout cas jamais parlé. Je n’ai compris ce qui m’arrivait que des années plus tard, grâce à ma belle-mère qui en souffrait elle-aussi. Je n’avais jusqu’alors jamais fait le lien entre mes micro-dépressions mensuelles accompagnées de douleurs, et mes menstruations.
Toute mon adolescence et plus tard encore, mes règles ont été une immense source d’angoisse et de honte. Je les percevais comme un fléau inéluctable contre lequel j’étais impuissante. Je me suis alors mise à désirer être née garçon. Chaque mois, cette pensée revenait me hanter : je voudrais tant être un garçon. Je voudrais tant être un garçon. Pitié, donnez-moi une pilule magique pour que ça s’arrête.
***
Alors que mon corps changeait pour devenir celui d’une femme, j’ai commencé à faire l’expérience, comme toutes les jeunes filles, de la misogynie : hypersexualisation de nos corps, y compris par des hommes de l’âge de nos pères ou grands-pères, harcèlement et agressions sexuelles dès le collège par des garçons et des hommes gavés au porno, blâme des filles par le personnel de nos écoles et refus de les aider… Toutes les adolescentes subissent cela, à des degrés divers. En ce qui me concerne, j’ai eu de la chance : je n’ai rien vécu de pire que du harcèlement de rue et des remarques déplacées.
Cependant, j’ai subi autre chose. Le fait est que je n’ai pas réussi à jouer le jeu de la féminité. L’adolescence est une des périodes où la pression sociale sur les (futures) femmes est la plus forte – pression à se conformer à une notion extrêmement restreinte de la féminité1. J’ai essayé pourtant. Mais appliquer du maquillage était un calvaire dont je préférais me passer ; les garçons ne m’intéressaient absolument pas et le sexe pouvait bien attendre ; les cheveux longs étaient une gêne, les talons hauts n’en parlons pas ; le shopping et les discussions autour des vêtements m’ennuyaient profondément. Je m’arrête là, vous voyez le tableau. Résultat, je n’étais pas comme les autres filles – celles qui m’entouraient en tout cas, la situation aurait peut-être été différente dans d’autres établissements. C’était à la fois une petite victoire, puisque je voyais la plupart des adolescentes comme superficielles et inintéressantes, et une défaite puisque j’échouais à ce concours auquel les filles et les femmes sont obligées de participer : celui de cette forme particulière de féminité qui, aux yeux du monde, nous rend belle, séduisante et, surtout, nous donne de la valeur.

J’avais échoué, je n’étais donc pas une « vraie fille ». Ce qui signifiait, comme mes amies de l’époque me l’expliquaient sans aucune délicatesse, que je ne pouvais être perçue comme désirable (par les garçons et les hommes) et ne pouvait donc être aimée. Mon intelligence ? Qui s’en soucie à part les profs. Mes qualités ? Lesquelles ? Une fille n’est remarquée que pour ses « attraits » physiques. Mes centres d’intérêt ? Tout le monde s’en fiche, ils ne font pas partie des big three, ces trois éléments socialement valorisés chez les filles à l’adolescence : beauté (stéréotypée), rébellion (conformiste) et intérêt pour les garçons – c’est-à-dire (hétéro)sexualité.

Une fois le lycée fini, j’ai pris la décision de refuser cette féminité qu’on m’imposait. Fini les jupes, les soutien-gorge, tout ce maquillage dont je ne savais pas me servir. Les talons, au placard ! Je n’ai jamais su marcher avec de toute façon. Et surtout, on recoupe cette insupportable masse de cheveux. Je me souviens de la légèreté, du soulagement que j’ai ressenti en sortant du coiffeur, de mes mains passant dans mes cheveux si courts que je sentais les contours de mon crâne en dessous. Quel soulagement ! Ce fut libérateur.
Ce fut libérateur mais cela ne m’a pas réconcilié avec mon corps de femme. Et tous les mois, ce même refrain : j’aurais voulu être un homme.
Refuser de devenir une femme & les impasses du féminisme
Cette envie d’être un homme s’est transformée en véritable obsession. Je ne me suis pas contentée de rejeter tout ce qui relevait du féminin, les aspects négatifs comme positifs, j’ai aussi rejeté mon propre corps : trop petit, trop faible, trop femme. Ma rencontre avec le féminisme lors du mouvement #metoo aurait pu changer la donne2. Malheureusement, le premier féminisme dont j’ai eu connaissance avait deux visages : celui des violences sexuelles donc, et celui de la girl boss3 . Pour s’en sortir, il fallait être « comme un homme » : sûre de soi, dominante, intrépide et combattive. Mais sans se départir du maquillage et des talons hauts, des pédicures et de la lingerie – « comme un homme », certes, mais pas trop non plus. Il faut bien rester désirable. D’une façon ou d’une autre, être une femme signifiait être réifiée, déshumanisée, dépréciée, être perpétuellement en danger et conditionnée à la soumission. Ce féminisme superficiel ne faisait que renforcer la misogynie que j’avais déjà intériorisée.
Le féminisme m’a en même temps introduit à un concept auquel j’ai tout de suite souscrit : le constructivisme. Selon celui-ci, les différences entre les femmes et les hommes sont des constructions sociales. Bien sûr, on admettait du bout des lèvres qu’il existait bien quelques différences physiques, mais celles-ci avaient été largement exagérées pour justifier la différence de traitement entre les hommes et les femmes, autrement dit, le sexisme.
Penser autrement revenait à adopter une vision essentialiste : les hommes seraient naturellement faits pour être dominants, agressifs et maîtres de la pensée ; les femmes, en raison de leurs organes reproductifs, seraient faites pour faire des bébés, s’occuper du ménage et être dominées par leurs émotions. Ces pauvres choses fragiles ne pourraient rien faire sans un homme pour les guider dans la vie et les protéger des autres hommes, mais aussi d’elles-mêmes. L’essentialisme était donc du sexisme, une façon de naturaliser le patriarcat.
Il existait bien un courant féministe plus « spirituel » qui parlait de se reconnecter au féminin sacré et à la Terre-Mère en devenant sorcière, mais j’étais (et je reste) bien trop terre à terre pour accrocher à tout ce mysticisme. De toute façon, j’ai rencontré ce mouvement bien plus tard…
Cette vision idéologique binaire4, où tout est construction sociale qu’on en ait la preuve ou non, était certes un peu simpliste mais elle me convenait. Pourquoi ? Parce qu’elle me réconfortait et regonflait mon ego : ne pas être féminine n’était plus un échec mais une source de fierté. C’était la preuve que j’étais moins aliénée que les autres femmes ; moins je suis féminine, plus je suis féministe – et quelque part supérieure aux « autres femmes5 ».
Cette façon de penser le féminisme a eu cependant pour conséquence de renforcer mes préjugés sur les femmes féminines et, plus largement, sur tout ce qui est associé aux femmes, y compris certaines valeurs positives comme l’altruisme, la bonté, la douceur, l’humilité, etc. Je me retrouvais à idéaliser d’autant plus la masculinité, même dans ce qu’elle a de plus toxique. J’ai embrassé intérieurement des valeurs viriles : survalorisation de la puissance physique, de la violence, de l’héroïsme guerrier. Je voulais m’enrôler dans l’armée pour prouver que j’en étais capable. Je voulais être confrontée à une situation de violence, les armes à la main, savoir ce que ça fait de tuer – une vraie petite psychopathe, alors même que j’étais en réalité une jeune fille très timide et effacée. Je suis allée jusqu’à tenter d’intégrer l’armée en tant que soldate6.
Ce désir lancinant d’être un homme a totalement envahi ma psyché. C’est une expérience que je partage rarement car elle touche à quelque chose de très intime pour moi, mais aussi parce que je pensais être la seule à vivre cela7. C’est aussi une expérience que j’ai toujours trouvée difficile à expliquer à des personnes qui n’ont pas ce vécu.
Depuis mon enfance, j’ai une grande capacité à m’immerger dans mon imagination. Je construis des mondes, des personnages, des expériences qui m’envahissent si complètement qu’il m’arrive de me retrouver totalement détachée de mon environnement. Je ne vois plus, n’entends plus, je pouvais perdre toute conscience de ce qui m’entoure – au point de me cogner dans des poteaux ou des volets dans la rue. Je pouvais me retrouver à rire ou pleurer, parler ou faire des gestes sans le vouloir. J’ai une certaine tendance à marcher dans ces moments-là, à tourner en rond pendant une éternité, incapable de redescendre sur terre. Ces mondes imaginaires dans lesquels je me projette ne sont pas comme des films ou des livres mais davantage comme des jeux vidéo. Je me crée un personnage que j’incarne au fur et à mesure que l’histoire se déploie.
Au cours de ma puberté, ce personnage est devenu systématiquement un homme. Ce n’était pas intentionnel : j’étais tout simplement incapable de me projeter dans une personnage de femme. Lorsque j’essayais, cela se révélait inconfortable. Je finissais toujours par me heurter à une situation qui me faisait transformer ce personnage en homme.
Ce phénomène de projection s’est étendu. J’ai commencé à rêver que j’étais un homme – ce qui m’arrive fréquemment encore. Quand je me projetais dans mon futur potentiel, je n’arrivais pas à m’imaginer en femme. Finalement, j’ai perdu l’image intérieure de mon corps. Comme une anorexique qui s’imagine grosse, je me voyais plus masculine, plus mâle, que je ne l’étais en réalité. En m’apercevant dans un miroir de plein pied ou une vitrine, je ressentais un choc. C’était moi, ça ? Ces courbes, ces fesses, ce corps de femme ? Impossible.
Et pourtant, mes yeux ne me trompaient pas ; c’était bien ça, la réalité. Je me souviens de cette sensation désagréable, une sensation physique, comme un décrochage, un bourdonnement, un vertige… Je ne pouvais nier ce que je voyais, je ne pouvais pas non plus l’accepter. Pas ça, pas ce corps. Ça ne pouvait être moi.
Toucher le fond puis remonter à la surface
En ai-je conclu que je n’étais pas une femme ? Non. Il avait toujours été évident pour moi, dès l’adolescence, qu’être un homme ou une femme était une question de corps, pas une sorte d’identité psychique ou spirituelle, qui pouvait entrer en contradiction avec notre corps sexué. Je ne me sentais pas femme. On peut même dire que je me (res)sentais homme – après tout, je m’identifiais à eux jusque dans mes rêves. Mais je n’ai jamais douté d’être une femme.
Cela aurait pu changer quand j’ai découvert la transidentité par l’intermédiaire, tout d’abord, de podcasts féministes. Je n’ai alors pas du tout remis en question cette idée d’hommes dans des corps de femmes8 (ou inversement) alors même qu’elle était, de toute évidence, en totale opposition avec mes propres convictions. Ce n’était pas que je ne voyais pas la contradiction entre ces deux façons de pensée, mais il me semblait évident qu’il y avait forcément un « truc », une explication rationnelle et incontestable à ce phénomène. Il ne pouvait en être autrement puisque le féminisme défendait l’affirmation que les femmes trans sont des femmes et les hommes trans des hommes.
Puisque le féminisme soutenait sans réserve ce concept, la transidentité ne pouvait pas être fondée sur la croyance que la féminité fait la femme et la masculinité l’homme. Ou encore qu’il existe un esprit, une âme, une « essence » immatérielle qui constitue notre vraie identité. Ce serait, de toute évidence, de l’essentialisme. L’idée de cerveaux d’hommes et de femmes semblaient tout autant réactionnaire et sexiste, cela ne pouvait donc pas être ça.
Qu’est-ce qui fait alors qu’une personne est transgenre ? Je ne le savais pas et le féminisme ne m’apportait pas d’explications satisfaisantes. Quand j’entendais des témoignages, je relevais toujours certains éléments qui pouvait expliquer comment la personne interrogée en était venue à croire qu’elle était une femme (ou un homme, vous aurez compris). Mais comme ce n’était pas un sujet qui me touchait, je continuais à croire qu’il y avait un « truc » qui différenciait un homme trans d’une femme « masculine » ou travestie, avant même de procéder à une quelconque transition. De plus, je pensais naïvement qu’aucune personne ne pouvait faire une transition médicale « par erreur » – et comme je n’avais jamais entendu parler de détransition ou de personne regrettant ces procédures, rien ne venait me faire douter.
Tout a changé quand ma meilleure amie m’a annoncé qu’elle était transgenre, il y a environ deux ans maintenant. Elle « ne pouvait pas l’expliquer » mais voilà, elle était un homme. Je la connais bien puisque nous sommes amies depuis la maternelle. À mes yeux, elle ne correspondait pas au portrait habituel des personnes transgenres9. Je lui ai honnêtement dit ne pas comprendre, mais la priorité était, avant tout, de la soutenir10. J’ai donc tu mes doutes. Enfin, j’ai fait ce qui est systématiquement préconisé : je me suis informée.
***
Je ne vais pas vous narrer par le détail tout ce que j’ai appris, les évolutions de ma pensée, ou mes opinions actuelles. Ce serait trop long et ce n’est pas le sujet. Ce qui importe ici, c’est le fait que ces recherches sont devenues obsessionnelles. Tout ce que j’ai lu / vu / écouté sur le sujet a profondément ébranlé nombre de mes croyances et de mes convictions. Les nombreux témoignages en particulier m’ont profondément touchée. Dans certains, je ne me reconnaissais que trop.
Je me souviens notamment de l’un d’eux, celui de Carol11, une lesbienne butch11 ayant transitionnée puis détransitionnée. J’ai dû mettre le podcast en pause à plusieurs reprises parce qu’il me bouleversait tant que j’en pleurais. Je n’entends pas par là quelques larmes qui coulent cinématographiquement sur mes joues. Non, je parle du type de pleurs qui vous fait trembler, suffoquer, gémir comme une animale. Je ne suis pas lesbienne, ne me suis jamais considérée trans, et je n’ai jamais cherché à passer pour un homme13. Nous venons de pays et de milieux socio-culturels très éloignés. Nos expériences sont bien différentes et pourtant, son témoignage m’arrachait le cœur. C’était comme si elle racontait mon propre vécu – mais démultiplié par l’intense homophobie et le sexisme dont elle a été victime.
***
À défaut de pouvoir devenir un homme, je voulais au moins devenir plus forte. J’avais essayé pas mal de sports depuis mon enfance. Cette année-là, je me suis mise à la boxe française. De tous les sports que j’ai pratiqués, c’est celui que j’ai le plus aimé. Je m’y suis tenue toute une année, deux séances d’une heure et demie par semaine, jusqu’à mon déménagement. Je m’étais inscrite dans un club mixte et m’entraînais donc avec des hommes. Savoir que ces derniers sont plus puissants physiquement est une chose, en avoir l’expérience, alors que nous échangions coups de poings et coups de pieds, en est une autre. Je rentrais essorée de ces séances, avec un profond sentiment de bien-être physique, mais amère aussi. Tout me ramenait à ce corps, mon corps, que je percevais comme faible, détraqué, exécrable.
Cette année-là, j’ai touché le fond. Mon corps me semblait de plus en plus étranger, inadéquat. Mon malaise devenait une véritable souffrance. Plus que jamais, j’enviais les hommes avec rage.
La résolution : les merveilles de nos corps
Dans le même temps, je commençais à changer doucement de perspective. Les pièces du puzzle se mettaient en place. Le « pourquoi » de cette identification masculine commençait à se révéler ; mon parcours prenait sens et il me semblait entrevoir une sortie de secours.
Il y a, j’en suis certaine, bien des façons de s’accepter en tant que femme et je n’écris pas cet article pour faire du développement personnel. Je l’écris parce que mon expérience n’est pas unique ; pourtant, je me suis trop longtemps sentie seule et incomprise. J’écris pour les femmes qui en sont là où j’étais, qui souffrent, et ne se voient offrir d’autre explication à leur mal-être que la transidentité et d’autre solution que la transition. Je l’écris surtout parce que le féminisme a d’abord été un frein dans mon parcours de femme et a contribué à mon mal-être. Un mouvement politique qui vise à émanciper les femmes ne devrait pas contribuer à leur haine d’elles-mêmes, de ce qu’elles sont et ne peuvent cesser d’être. Il ne devrait pas nous inciter à détester nos corps. Il ne devrait pas nous convaincre qu’être une femme est une malédiction, que notre destin est d’être des victimes des hommes et de notre propre biologie.
Je n’ai pas de solution individuelle. Chacune d’entre nous est différente et devra trouver par elle-même ce dont elle a besoin. Mais je souhaite lancer une réflexion collective sur ce que nous pouvons changer, au sein du féminisme, pour faciliter le parcours de femmes telles que moi. Et peut-être même de femmes qui, au contraire, sont tout l’inverse.
Il me semble nécessaire que le féminisme s’éloigne de cette opposition idéologique simpliste entre essentialisme et constructivisme. Nous sommes le produit de la société dans laquelle nous vivons, elle qui traite filles et garçons, femmes et hommes, de façon différente. Nous sommes aussi des femelles de l’espèce humaine. Oui, il y a une pression à se conformer à des modèles de féminité et de masculinité artificiels et nocifs. Oui, la socialisation genrée est une réalité et un problème. Cela ne signifie pas que nos corps sexués sont quantité négligeable, qu’ils n’ont aucune influence sur nos comportements.
Nous sommes des animaux et plus spécifiquement des mammifères de la catégorie des primates. Chez tous les primates, ces différences biologiques dues aux sexes ont un impact sur les comportements, les interactions, les rôles au sein du groupe et les capacités physiques. Ce n’est ni bien, ni mal ; cela n’induit aucune hiérarchie « naturelle » entre hommes et femmes. Ce fait n’est pas prescriptif et n’induit pas que toutes les femelles et tous les mâles se comportent de la même manière et sont diamétralement opposé·es en tout. Il existe des différences, certaines innées d’autres non, c’est un simple fait. Arrêtons de nous penser si exceptionnel·les que ce qui est vrai pour les autres mammifères ne l’est pas pour nous.
La reproduction coûte plus aux femmes qu’aux hommes. Pour une femme, la maturité sexuelle implique un cycle menstruel avec des changements hormonaux, des saignements, bien souvent des douleurs et des impacts psychiques. La liste des désagréments et des risques liés à l’ovulation et aux menstruations est fort longue, et certaines femmes sont nettement moins chanceuses que d’autres. Nous sommes aussi, en moyenne, plus petites, moins fortes, moins rapides, moins robustes et donc plus vulnérables aux agressions physiques. Pour celles qui souffrent en raison des spécificités de notre biologie14, être une femme semble un fardeau à endurer une vie entière. Si à cela s’ajoutent des violences sexistes et sexuelles – ce qui est bien trop fréquent – difficile de voir des avantages à être une femme. Si nous ne souhaitons pas devenir mère, nous payons très cher pour une capacité qui n’a, à nos yeux, aucun intérêt. Notre pouvoir de donner la vie et de nourrir un bébé peut être perçu comme une charge bien plus qu’un cadeau.
Tout cela explique pourquoi nombre de femmes en viennent à considérer le corps mâle comme intrinsèquement supérieur. Il ne l’est pas. Que vaut la force face à la capacité de créer un être humain ? Que vaut une paire de testicules, moche et vulnérable 15&, face à une paire de seins, capable de produire le lait dont nos enfants dépendent ? Rien de plus ni de moins que la valeur qu’on leur accorde. Les capacités du corps des femmes sont méprisées parce que les femmes sont dévalorisées en tant que femmes. C’est le propre d’une société patriarcale.
C’est bien pour cela qu’il faut que le féminisme rende justice au corps des femmes et tout ce dont il est capable. Je ne veux pas être mère mais, aujourd’hui, je suis capable d’estimer cette incroyable aptitude, cette prouesse de la nature. Mon premier déclic, le premier pas qui m’a permis d’arrêter de ne voir que les inconvénients d’un corps de sexe féminin, a été la première fois que j’ai vu un dessin de l’intérieur du sein d’une femme. Ce réseau arborescent d’alvéoles, ces petits lobules ressemblant à des mûres, reliées par de fins canaux, me semblait beau. Quand j’ai appris que notre lait peut changer de composition en cours de tétée pour s’adapter aux besoins nutritionnels du bébé ou encore produire des anticorps lorsqu’il est malade, j’étais époustouflée.
Le deuxième déclic a été d’ouvrir les yeux sur toutes les femmes incroyables que j’ai eu la chance de connaître. D’admettre que, même au plus fort de mon mépris pour les femmes, c’était vers elles que je me tournais, pour l’amitié, le réconfort, le partage. J’ai plusieurs fois entendu des femmes ayant transitionné déplorer la perte que cela représente de ne plus pouvoir être une femme parmi les femmes.
Nul besoin de verser dans le féminin sacré pour trouver de la valeur dans le fait d’être une femme, pour aimer et célébrer des femmes, pour se sentir à notre place parmi elles. Mais cela ne peut se faire si notre féminisme se focalise uniquement sur les violences sexistes et les inconvénients de nos corps. S’il rejette ceux-ci de ses discours et de ses analyses par peur de justifier la hiérarchie patriarcale. Si les seuls accomplissements que nous célébrons sont ceux de femmes dans des domaines masculins, si nos seuls modèles sont des exceptions alors que la plupart d’entre nous ne serons jamais exceptionnelles.
Il ne suffit pas de dénoncer ; il faut aussi aspirer à quelque chose de beau, de juste, qui nous donne de l’espoir et de la joie. Ceci manque au féminisme actuel, surtout au féminisme libéral qui préfère se réapproprier un « féminin » profondément patriarcal et misogyne. Un « féminin » qui a été pensé par et pour les hommes, pour leur plaisir, leurs intérêts et leur jouissance. Un « féminin » bien masculin en somme. Il faut valoriser les femmes dans tous les domaines, même la maternité. Je suis convaincue qu’il existe une culture des femmes, et même davantage qu’une seule. Il a existé et existe encore des arts, des pratiques (culturelles, cultuelles ou politiques) et des artisanats féminins. Il faut explorer cette richesse, l’apprécier à sa juste valeur, s’ouvrir à la culture d’autres femmes partout dans le monde.
***
Je ne peux pas dire, aujourd’hui, que j’aime être une femme. Mais j’aime apprendre de quoi nos corps sont capables. Peut-être envierais-je encore les hommes à l’avenir, peut-être la boxe restera-t-elle toujours une expérience douce-amère, mais je ne souhaite plus, chaque mois, être un homme. J’ai accepté mon corps, ce corps qui fait de moi une femme. Je respecte sa force de vie, ses capacités, ses merveilles, petites et grandes. J’aime les féministes qui s’emploient à mettre en avant la puissance des femmes, leur créativité, leur rébellion. Et par-dessus tout, j’aime être une femme parmi des femmes.
 

Faustine.

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Suite à la parution de l’étude Les jeunes français et la lecture1, réalisée par ipsosfrance avec le Centre national du livre, nous apprenons qu’un genre est particulièrement populaire chez les adolescentes (16 – 19 ans) : la dark romance. Une information inquiétante lorsque l’on sait qu’elle banalise la violence à l’encontre des femmes.

Qu’est-ce que la dark romance ?
La dark romance est un genre littéraire mettant en avant, dans une écrasante majorité, des femmes soumises, souvent par la force, à des hommes qui les dominent physiquement, psychologiquement et surtout sexuellement.
On peut identifier les prémices de ce genre dans le roman libertin2, qui avait une volonté de libération des mœurs, mais la dark romance telle qu’elle est à l’heure actuelle trouve surtout ses fondations dans les années 2010. Le succès mondial de 50 nuances de Grey écrit par E.L James et publié en 2012, où il est question d’une relation basée sur la domination et le bondage, aura en grande partie contribué à l’essor du genre. Largement plébiscitée par les utilisatrices et influenceuses de la plateforme Tiktok, notamment sur Booktok3, la dark romance est aujourd’hui très populaire, notamment chez les adolescentes comme l’indique l’étude susmentionnée.
Viols, meurtres, agressions, séquestrations, humiliations, harcèlement … tout est permis et, surtout, tout est romantisé.
Prenons pour exemple deux extraits des résumés des romans les plus populaires en ce moment :
Il est intéressant de noter que la plupart de ces ouvrages, mettant en scène un homme violent et dominateur avec une femme qui sera forcée à se soumettre, sont majoritairement écrits par des femmes. S’il m’est aisée d’imaginer pour quelles raisons des jeunes (et moins jeunes) femmes peuvent être attirées par la romance dite conventionnelle, celle mettant en scène de vaillants guerriers et preux chevalier, après avoir été biberonnées aux histoires de princes charmants, je ne comprends pas à quel moment le prince charmant s’est transformé en agresseur violent mais séduisant. Le passage de « ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants » à « elle n’avait pas le choix, elle était sa chose » est brutal. Ça me laisse pantoise. Je ne peux m’empêcher de faire le lien entre plusieurs phénomènes, même si ce ne sont que des suppositions personnelles. Pas plus loin qu’au siècle dernier, des images INA4 en sont encore les témoins, il était courant, commun et accepté que les femmes soient frappées et violées dans le cadre de leurs relations conjugales.
À l’heure actuelle, ces comportements, bien qu’existants toujours, sont officiellement prohibés et parfois punis (plus ou moins sévèrement, je vous l’accorde). Je m’interroge donc sur l’apparition de fantasmes liés à la violence : serait-elle en partie due à l’interdiction de celle-ci ?
Si je peux me permettre une réaction toute personnelle, j’ai la sensation que plus on essaye d’interdire la violence envers les femmes, plus des groupes tentent de les ancrer dans les mentalités par des portes dérobées ou d’autres moyens tels que la pornographie, certains articles issus de presses dites féminines ou encore.. la dark romance. Le viol conjugal n’est pas autorisé ? Faisons fantasmer les femmes sur les rapports sexuels forcés. Battre sa femme n’est plus considéré comme une preuve d’amour ? Introduisons et normalisons le BDSM5 dans les relations. Bien que ces perspectives soient intéressantes à développer, ça ne répond pas à mon interrogation : pourquoi ce sont des femmes qui écrivent principalement de la dark romance ? Pourquoi des femmes auraient-elles envie d’écrire et de propager un fantasme dans lequel elles sont des proies ? Certains militants masculinistes adeptes de l’idée du « mâle alpha » me répondraient que c’est parce que la nature des femmes est d’être soumises et à la disposition d’un homme. Mais je ne suis pas convaincue par cette idée car, si la soumission était naturelle pour les femmes, il n’y aurait pas besoin de milliers de sermons dans les sociétés patriarcales pour rappeler aux femmes de se soumettre, car la nature n’a pas besoin de rappels pour suivre son cours.
J’ai la sensation que la pop culture, les dessins-animés, l’éducation… ont ancré dans l’esprit des filles et femmes qu’elles sont de petites choses fragiles à sauver et à protéger et que leurs fantasmes liés à la violence des hommes envers les femmes naissent d’une intégration profonde de ce schéma. Ces fantasmes sont ensuite entretenus aussi bien par des auteurs que des autrices, mais dans des genres différents. La romance étant un genre écrit presque uniquement par des femmes, il n’est finalement pas surprenant que la dark romance le soit aussi.
Une fiction trop proche de la réalité
Dans un monde où les violences faites aux femmes ne seraient pas courantes et où les violences sexuelles ne seraient pas massivement répandues, ces lectures, vues comme des chimères ou fantasmes marginaux et irréalistes, ne poserait pas tellement problème. Ils interrogeraient seulement la moralité des personnes contribuant à rendre ces livres publics tout en ciblant de jeunes lectrices.
La réalité est tout autre :
  • En 2022, 118 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire.
  • En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 74 ans qui, au cours d’une année, sont victimes de violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques commises par leur conjoint ou ex-conjoint, est estimé à 321 000 femmes.
  • En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 74 ans qui, au cours d’une année, sont victimes de viols, tentatives de viol et/ou agressions sexuelles est estimé à 217 000 femmes (il s’agit d’une estimation minimale).
  • Dans 49 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 21 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits6.
Et ces chiffres ne représentent que la France. Dans le monde, les violences envers les femmes sont encore nombreuses et plurielles. Ce que vivent les héroïnes de dark romance ne sont ni des fantasmes, ni des histoires fictives. Des millions de femmes l’ont vécu et d’autres le vivent ou le vivront encore. Il est donc intéressant de s’interroger sur les raisons qui poussent à présenter comme une romance ce que les militant·es féministes dénoncent au quotidien. La popularisation de ce genre a de quoi inquiéter.
Peu de contrôle, aucune prévention ou presque dans ces livres disponibles partout sans contrôle de l’âge, l’accès à la dark romance est très simple et rien ou presque n’est fait pour freiner les futur·es lecteur·ices ni même pour les prévenir. Certaines vidéos, certains articles font de la sensibilisation sur le sujet mais, face à l’ampleur du contenu en faveur de ces écrits, ce n’est, à mon sens, pas encore suffisant.
Pourquoi est-ce dangereux ?
Ce qui traumatise des millions de femmes est présenté, par la dark romance, comme une chose romantique et désirable.
Il vous a kidnappé ? Il est très amoureux.
Il vous suit et vous espionne chez vous ? Quel homme passionné !
Il tue tous les hommes qui ont des relations avec vous car vous êtes « la sienne » ? Il sait vous protéger.
Avec de tels raisonnements, on peut vite assimiler que les violences sexistes et sexuelles sont de l’amour. Ce n’est pas sans rappeler les vieux dictons comme « s’il te bat, c’est qu’il t’aime ! ». Bien sûr, ce sont des jeunes femmes qui sont les réelles destinatrices de ces lectures, puisque la majorité des lecteurs sont des lectrices. Selon l’étude d’ipsosfrance-CNL¹, de 6 à 19 ans, 74 % des filles lisent pour leur loisir contre 50 % des garçons. Par ailleurs, les lecteur·ices de romance en général, y compris de dark romance, sont également en grande majorité des filles¹..
On assiste là à une forme de romantisation et érotisation de comportements nocifs et violents, qui en viennent à faire rêver certaines jeunes femmes, principales lectrices du genre, alors mêmes qu’elles pourraient en être victime.
Un conditionnement de masse

Comme mentionné plus tôt, la dark romance est aujourd’hui largement répandue par la faute des réseaux sociaux comme Tiktok qui, par le biais de ses « tendances », a vu florir pléthore de contenus mentionnant ou glorifiant la dark romance.

Pour exemples :
  • Les vidéos qui, sur fond de musiques romantiques, vont citer des passages des livres les plus connus, majoritairement des passages explicitement sexuels et malsains, tout en présentant ça comme quelque chose de désirable.
  • D’autres qui montrent des jeunes femmes fantasmant sur des criminels/mercenaires/membres de gang comme idéal amoureux.
  • Certaines qui illustrent des moments où l’homme doit « prendre/garder/reprendre le contrôle », souvent en s’affirmant sexuellement.
  • Des jeunes filles mineures qui montrent comment lire de la dark romance sans se faire remarquer par leurs parents (avec notamment l’utilisation du pass culture).
  • De plus en plus de fantasmes sur « l’asphyxie érotique », autrement dit le fait d’être étranglée, qui non seulement peut tuer mais cause des dommages parfois irréversibles sur le fonctionnement du cerveau. Certaines qui illustrent des moments où l’homme doit « prendre/garder/reprendre le contrôle », souvent en s’affirmant sexuellement.
  • Des publicités récurrentes entre deux vidéos pour des histoires avec « un mâle alpha » qui vous choisit comme étant sa chose et vous incite à cliquer pour avoir la suite de l’histoire.
Les exemples sont très nombreux et, suivant le principe du réseau, sont repris et repostés massivement par d’autres jeunes, voire très jeunes femmes. Et bien sûr, si vous souhaitez montrer votre mécontentement, vous contribuez à la popularité de ce type de contenu. Plus la vidéo est commentée et partagée, mieux elle sera référencée grâce à l’algorithme. Si vous faites une vidéo qui dénonce ces phénomènes, vous nourrissez également les hashtags associés, ce qui les rend plus populaires. Interagir avec ce contenu, que vous l’aimiez ou le détestiez, le favorise de toute façon.
Des jeunes femmes, dont beaucoup sont mineures, sont donc exposées sur les réseaux sociaux ainsi que dans leurs lectures à des comportements violents physiquement, psychologiquement et sexuellement tout en intégrant petit à petit l’idée que c’est « sexy », désirable quitte à parfois avouer en vidéo, face au monde, que leur rêve est « de vivre une dark romance dans la vraie vie ». Si l’une d’entre elles me lit, je peux vous garantir que lorsque mon ex-compagnon a tenté de me violer c’était tout sauf séduisant ou plaisant.
À l’instar de la pornographie, en plus d’être potentiellement addictif, ce genre de contenu tend à une distorsion de la réalité des relations femmes/hommes et induit inévitablement un rapport biaisé où chacune des parties se sent dans l’obligation d’avoir un statut « dominant » ou « dominé ». Et face à l’habitude et la lassitude liées à une grande consommation de ces lectures, certaines lectrices demandent explicitement que les violences aillent encore plus loin, trouvant la dark romance « mainstream » trop douce à leurs yeux.
Le risque majeur est que certaines de ces jeunes filles, grandes consommatrices du genre, pourraient non seulement être attirées mais aussi normaliser différentes formes de violences, notamment sexuelles, qu’elles pourraient vivre par la suite, en partie à cause d’un biais cognitif nommé « l’effet de simple exposition7 ». Décrit pour la première fois en 1876 et popularisé par Robert Zajonc, ce biais cognitif se caractérise par une augmentation de la probabilité d’avoir un sentiment positif envers une personne, un objet, un lieu, un discours simplement en raison d’une exposition répétée. Par conséquent, plus nous sommes exposé·es à un stimulus et plus il est probable qu’on l’aime. Comme par exemple avec une musique que nous n’aimons pas et, qu’à force d’entendre, nous finissons par aimer. Ou dans le cas de cet article, plus des jeunes femmes s’exposent à des violences sexistes et sexuelles présentées comme séduisantes, plus il est probable qu’elles aient tendance à apprécier, voire idéaliser, ce type de fonctionnement relationnel.
Quelles sont les solutions ?
Évidemment, les personnes qui souhaitent défendre le genre, ou une forme de totale liberté dans le choix des lectures, diront que si le public est majeur et averti, ça ne pose aucun problème. À l’heure actuelle, beaucoup de contenus tendent à propager l’idée qu’aucun fantasme (appelé « kink ») ne peut être malsain et ne doit être jugé. Ce n’est pas mon point de vue puisque la réalité est toute autre. Même majeure, une femme exposée à ce type de contenu n’a pas obligatoirement la capacité d’avoir un recul suffisant pour que cela n’impacte pas ses relations et sa vie sentimentales et/ou sexuelle. Dans tous les cas elle sera confrontée au biais de simple exposition. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, ce ne sont pas nécessairement des personnes majeures qui lisent de la dark romance mais plutôt des jeunes filles en pleine construction de leur sexualité qui n’ont, pour certaines, ni le recul nécessaire ni la capacité à comprendre pleinement l’impact de ce qu’elles peuvent lire.
La dark romance n’est pas une fiction comme les autres, puisqu’elle reprend les violences faites quotidiennement aux femmes et les rend séduisantes. Alors quelles sont les solutions ? Bannir complètement ce genre ? Mettre une limite d’âge ? Si bannir complètement un genre me paraît inenvisageable du point de vue de la liberté d’expression, sécuriser les mineur·es me semble en revanche être une priorité.
Pour cela, il faudrait :
  • Réduire au maximum l’accès à ces ouvrages par le biais d’une limite d’âge (comme dans le cas des jeux vidéos) avec un contrôle avant achat. Cela n’endiguera pas totalement le phénomène mais pourrait permettre le freiner, surtout pour les moins téméraires.
  • Afin que les romans ne soient pas feuilletés pas des mineur·es, les ouvrages de dark romance pourraient être systématiquement mis sous blister comme c’est le cas de bande dessinée érotiques et de quelques rares romans. Cela permettrait aussi aux libraires d’avoir une indication sur le public auquel doit être vendu ces ouvrages.
  • Faire de la prévention auprès des libraires et bibliothécaires qui, en plus d’avoir affaire aux jeunes, auront aussi affaire aux parents. D’après certains témoignages, les parents sont souvent envoyés en librairie chercher de la dark romance sous prétexte « d’une lecture scolaire » et achètent sans avoir connaissance du contenu de ces livres.
  • De même, un contrôle du contenu favorisant et romantisant les relations nocives et violentes sur les réseaux sociaux serait également un bon début, via par exemple une facilitation du signalement, un retrait temporaire de la plateforme des contenus signalés tant qu’ils ne sont pas contrôlés, le retrait total des publicités pour des contenus violents et érotiques, etc. Cette utilisation de l’algorithme éviterait la mise en avant de contenus sexualisés vers les comptes de personnes mineures.
  • De plus, une note de prévention en première page du livre accompagnée d’un baromètre des violences semblent indispensables pour informer les lectrices, y compris celles qui sont majeures, que ce qu’elles lisent n’est en aucun cas souhaitable dans la réalité puisque ce sont des violences.
J’écris tout cela parce qu’il se trouve que je me sens particulièrement touchée par le sujet. À l’âge de 15 ans j’ai lu 50 nuances de Grey. J’ai pu l’acheter dans une librairie sans aucun autre frein que le regard un peu méprisant et désapprobateur de la libraire qui ne m’a pourtant pas arrêtée. Après tout, plusieurs de mes copines lisaient cette saga et adoraient ! L’une de mes amies avait même lu les trois livres plusieurs fois tellement elle les trouvait géniaux. Ce dont je ne me suis pas rendue compte tout de suite, c’est que ça a ancré en moi une vision très spécifique de la sexualité, une accoutumance aux contenus pornographiques parmi les plus violents (envers les femmes uniquement), et des fantasmes qui auraient pu faire de moi une proie à certains moments. Pourtant, j’étais une jeune fille « très mûre pour mon âge », assez alerte sur différents sujets, et j’avais conscience d’une part des violences que subissaient les femmes. Sauf qu’en avoir conscience ne suffit pas.
Le féminisme m’a aidé à remettre en question ce qui a été pendant plusieurs années les fondements de ma sexualité. Mais on ne se débarrasse pas facilement de ce qui vous a construit à un moment donné, d’autant plus lorsque ce moment est l’adolescence, une période fondatrice. Alors que 50 nuances de Grey me paraît très soft à côté de la dark romance publiée à l’heure actuelle et sachant quelles peuvent être les conséquences sur les jeunes et moins jeunes femmes, mon inquiétude, voire ma terreur, à l’idée que ce phénomène ne soit pas endigué m’ont poussée à rédiger cet article.

Avant de vous quitter, j’aimerais vous montrer quelques avis publiés sur Booknode et Babelio par des jeunes femmes à propos d’ouvrages de dark romance populaires :

Ce livre a bouleversé une partie de mon être, il m’a rendu addicte et dépendante de cette histoire et de ses personnages.
Super kidnapping et romance !! 
🖤🤍 
J’ai adoré ma lecture mais je m’attendais a du plus dark…hâte de lire la suite !
Je reste choquée de ce tome 1, malgré les tw8 je ne m’attendais pas à ça…
J’ai ADORÉ cette lecture. Alors ça fait peut être de moi quelqu’un de psychopathe je vous l’accorde. Néanmoins j’aime de plus en plus les dark romances.
Mon deuxième en dark romance de la même autrice de Capitve et VRAIMENT ouwa ! Là j’ai ce que je n’avais pas dans Captive, c’est à dire un méchant plus présent ! Une belle pépite a lire.

Johanna.

Recommandation de lecture :

Qui n’a jamais jubilé devant la vengeance sanglante de Breatrix Kiddo dans Kill Bill ? Fondu devant la rencontre d’Allie et Noah dans N’oublie jamais ? Ri aux éclats devant Friends ? Chanté à tue-tête devant Grease ? À travers l’archétype du bad boy, les scénarios balisés des comédies romantiques, la profusion de baisers « volés », et même les dessins animés de notre enfance, ce livre nous plonge dans les eaux troubles de la pop culture pour révéler comment la fiction influence insidieusement nos comportements et nos relations amoureuses. En analysant les rouages de la narration, l’autrice démystifie nos fascinations et idées reçues, et met à nu les dynamiques toxiques qui s’étalent sur nos écrans. Comment les films et les séries parviennent-ils à nous faire apprécier des comportements douteux, voire illégaux, y compris dans la vie réelle ? Comment nous inculquent-ils qu’il est normal d’aimer avoir mal ou qu’on nous fasse du mal ? Comment nous apprennent-ils à désirer la violence ? Un essai percutant, émaillé d’exemples précis et ponctué d’analyses de spécialistes (historiennes, scénaristes, linguiste, psychanalyste, sexologue…), qui invite à une réflexion profonde et audacieuse sur les violences sexistes et sexuelles qui se cachent sous le vernis de nos divertissements préférés.

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