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Ronces&Racines

Qu’est-ce qui ne va pas chez ces thérapeutes ?
L’industrie de la santé mentale ne s’est pas illustrée dans son traitement des homosexuel·les s’identifiant comme « trans ». Qu’en est-il avec les patient·es gays et lesbiennes en général ?
En tant que jeune lesbienne vivant dans la ville de New York à la fin des années 2000, j’ai ressenti que mes psys étaient bien intentionné·es mais maladroit·es. Une fois, j’ai dit à ma thérapeute que j’avais l’impression d’être fixée du regard par tout le monde à chaque fois que je sortais avec ma petite amie. Elle a suggéré que je sortais avec elle seulement pour attirer l’attention (La supposition qu’une jeune lesbienne féminine cherchait juste à attirer l’attention était une accusation tout à fait commune à l’époque. Et il était vrai que je voulais attirer l’attention – celle de femmes.) Je ne pensais pas que des psys pouvaient comprendre cette part de ma vie si elles-mêmes n’étaient pas lesbiennes, mais je me disais (étonnamment) qu’être gay n’était pas la cause de mes problèmes, de toute façon.
Je soupçonne que le champ de la psychologie n’a jamais vraiment maîtrisé le domaine de l’expérience homosexuelle. Seule une fraction des chercheurs et chercheuses le sont et, évidemment, nombre d’entre elles et eux sont sous le charme de la théorie de l’identité de genre. Le manque de recherches sur la psychologie de l’homosexualité faites par des chef·fes de file fait que les thérapeutes se retrouvent à devoir se débrouiller face aux besoins de leurs patient·es.
Imaginez une femme se présentant à son premier rendez-vous avec un·e psychologue. Elle avance, le dos rond, habillée d’une chemise à carreaux trouvée dans la section homme, flottant sur ses épaules. Ses cheveux sont coupés courts. Le ou la psy perçoit son malaise, sa voix haut perchée en décalage avec ses vêtements de bûcheronne. Quand la patiente mentionne qu’elle songe à transitionner, le ou la thérapeute l’encourage.
Au cours de l’année suivante, la patiente commence son parcours de transition médicale. La testostérone la rend plus sûre d’elle. Elle sourit plus. Sa chemise tombe élégamment sur ses épaules nouvellement musclées, d’autant plus après sa double mastectomie. La route est jalonnée d’étapes claires – elle et son / sa thérapeute parcourent ce chemin ensemble. Iels peuvent mesurer leur succès grâce aux poils de barbes et aux octaves obtenus vers le grave.
La patiente se fait des amies grâce à un programme de soutien pour les « mecs trans ». « Il s’épanouit grâce à mes soins », se dit le / la psy.
Accompagner de jeunes gays et lesbiennes au début de leur transition peut être grisant. C’est aussi bien agréable de faire partie de la communauté des médecin·nes du genre. Les praticien·nes de ce domaine obtiennent le respect des chirurgien·nes, sans parler de celui de Daniel Radcliffe.
Les personnes homosexuelles sont les patient·es les plus gratifiant·es dans ce secteur. Leurs problèmes de santé mentale ne sont pas insolubles et (selon l’avis de leurs thérapeutes), iels deviennent bien plus mignon·nes après administration d’hormones de l’autre sexe. Si ce n’était grâce aux gays et lesbiennes, les thérapeutes du genre se retrouveraient coincé·es avec les autogynéphiles.
Les thérapeutes les plus investi·es auprès des transitionneuses et transitionneurs gays sont considéré·es comme expert·es de l’homosexualité. Ou, pour utiliser leur terminologie, expert·es LGBTQ+.
Les thérapeutes qui aident les homosexuel·les
Sasha Ayad et Stella O’Malley ont récemment interviewé Scarlet, un jeune homme gay qui a été transitionné au début de son adolescence. Il se souvient avoir demandé à son endocrinologue qui serait attiré par lui quand il serait une femme trans : les hommes gays ou hétéros ? L’endocrinologue lui répondit « les deux ».
Les personnes gays n’ont jamais reçu d’informations satisfaisantes au sujet de leur orientation sexuelle. Par le passé, les recherches scientifiques étaient peu fournies ; depuis 2012, elles sont étrangement censurées. L’industrie du genre exploite l’ignorance qui en résulte, profitant de ces vides informationnels pour étaler leur propagande par-dessus les faits. De nos jours, on apprend à de jeunes hommes gays que tout le monde est attiré par des hommes castrés avec des seins et des plaies chirurgicales à proximité de leur anus.
Il est difficile pour des thérapeutes de s’occuper de patient·es comme Scarlet à qui des figures d’autorité ont menti. Hannah Barnes écrit à propos d’une conversation qu’elle a eu avec Andrea Walker, assistante sociale au GIDS, au sujet de la difficulté à expliquer les conséquences médicales des bloqueurs de puberté à des enfants entretenant des idées irrationnelles :
« [Barnes :] Bien qu’il soit important d’être honnête pour obtenir le consentement éclairé de ces jeunes gens, la réalité était que vous détruisiez leurs fantasmes, n’est-ce pas ?
[Walker :] C’était ce que j’avais l’impression de faire. Je rendais de jeunes personnes déjà très tristes et vulnérables, encore plus tristes. »
Les praticien·nes se retrouvent face à un choix, quand de jeunes lesbiennes se présentent à leur porte. Iels peuvent les encourager, comme d’enthousiastes cheerleaders, à suivre un parcours médical, propulsé par des docteurs du genre, qui les affectera physiquement. Ces praticien·nes pourront en plus devenir de soi-disant expert·es dans un domaine de pointe, le soin aux personnes LGBTQ+. Ou iels peuvent démanteler les fantasmes de leurs patient·es. Pas d’affirmation. Pas de recommandation à des groupes de soutien. Pas de reconnaissance professionnelle, et peut-être même, une dénonciation auprès du comité qui leur a donné leur autorisation à exercer.
Les patient·es risquent de ne pas revenir. Mais si ils ou elles reviennent, les thérapeutes pourront peut-être commencer à apprendre comment traiter leurs patient·es gays et lesbiennes.

Traduction de l’article de Glenna Goldis, Why Therapists Trans Away the Gay : Looking back on 60 years of support and affirmation. 2024. À retrouver sur Stubstacks via ce lien.

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Position n°3 : ça arrive mais ce n’est pas ma faute
Norman Fisk
Les défenseurs et défenseuses de la fausse trichotomie1 ont tendance à se plaindre que leurs patient·es savaient ce qu’il fallait dire (iels avaient lu les écrits de Benjamin) et s’inventaient une fausse biographie. Si des homosexuel·les passaient sur le billard de cette façon, ce n’était pas leur faute à ces pauvres psychologues. Cette réponse défensive a persisté jusqu’en 1979, au moins.
Norman Fisk, psychologue à Stanford, a exprimé en 1974 cette idée d’une façon un peu plus subtile :
« J’ai l’impression que de nombreux patients fuyaient leur… homosexualité efféminée… et se précipitaient sur le diagnostic de transsexualisme pour de nombreuses raisons valables. »
Fisk recommandait aux médecin·nes du genre d’arrêter de vouloir appliquer « le diagnostic différentiel dont le but est de clairement identifier des catégories distinctes de patients nommés transsexuels ». Il proposait de remplacer ce paradigme du « vrai transsexuel » par celui de la « dysphorie de genre », un concept plus souple qui inclurait ces homosexuels dans le déni. Il citait, pour appuyer sa suggestion, une étude démontrant que le diagnostic de « transsexualisme classique » ne permettait pas de prédire une issue positive pour les patient·es post-opératoire (peut-être parce que l’entièreté du concept a toujours été un fantasme de la part de ces médecin·nes du genre).
Fisk expliquait en quoi la transition pouvait séduire des patient·es homosexuel·les :
« Dans notre société, il est bien plus acceptable et moins stigmatisant de souffrir d’une maladie mentale reconnue que de souffrir d’une supposée perversion morale, d’une déviance sexuelle ou de fétichisme. »
Fisk écrit comme s’il était un observateur externe et neutre, ce qu’il n’est pas. Il a promu et profité de l’idée que la transsexualité – pardon, la dysphorie de genre – soit une condition médicale.
Paul Walker
Les propos tenus en 1985 par le psychologue Paul Walker dans un documentaire font échos à ceux de Fisk. Il reconnaît que, comparé au « problème moral » de l’homosexualité, « il est plus facile de revendiquer une condition médicale », c’est-à-dire le transsexualisme.
Walker était lui-même ouvertement gay. En 1979, il avait exprimé son inquiétude quant à la transition d’hommes gays qui, selon lui, devraient plutôt bénéficier d’une « psychothérapie ». Dans les années 80, il dirigeait un cabinet situé rue Catro à San Francisco qui promettait, entre autres, d’aider les hommes gays souffrant de « problèmes de solitude ». Il a cependant continué à faire transitionner des patient·es.
Walker n’a quasiment jamais étudié l’esprit humain autrement que par le prisme du genre. John Money fut son mentor alors qu’il était étudiant ; Reed Erickson2 a financé ses travaux dès l’université, puis lors de ses déménagements successifs au Texas et à San Francisco. En 1979, Walker a co-fondé la Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association3 (HBIGDA) et devient son premier président.
La loyauté suprême de Walker a toujours été à la médecine du genre. Il espérait l’améliorer et la légitimer grâce à l’HBIGDA ; il espérait aussi étendre le label « trans » pour inclure des patient·es qui prévoyaient d’être « gay » après leur transition, comme son amie Lou Sullivan.
Quand Fisk et Walker admettaient que des personnes homosexuelles cherchaient à transitionner pour échapper au « jugement moral », ils en rejetaient la faute sur la religion. Mais les religions ne sont pas seules responsables de l’homophobie et de l’isolement des personnes gays. Et ce ne sont pas des prêtres qui ont inventé la médecine du genre.
Kenneth Zucker
Kenneth Zucker est un psychologue du genre pour enfants et adolescent·es basé à Toronto. Il admet que la médecine du genre a des effets négatifs lourds sur les corps et que les jeunes qui annoncent une identification à l’autre sexe peuvent changer d’avis. Pour ces miettes d’honnêteté, il a été ostracisé par les transactivistes et adopté par les « critiques du genre* ».
Zucker « soutient » les enfants qui veulent transitionner une fois qu’il est convaincu que leur identité de genre s’est figée. Dans son livre co-écrit avec Susan Bradley en 1995, ses apparitions médiatiques des années 2000 et ses interventions dans les cercles critiques du genre, il reste vague sur les détails. Récemment, il dit vouloir aider les enfants à s’accepter en tant que personne non-conforme aux stéréotypes de genre rattachés à leur sexe. Mais si cela ne fonctionne pas avant (âge non-précisé), alors, autant les faire transitionner.
Au sujet de la transition sociale des mineur·es dès le plus jeune âge, Zucker ne se prononce pas, alors même qu’il admet que cela rend plus probable une future transition médicale.
Clinique Tavistock
Hannah Barnes au sujet du GIDS :
« Les praticien·nes n’iraient jamais dire à de jeunes personnes qu’ils ou elles ne sont pas trans, mais qu’ils ou elles sont plutôt gays. »
Une déclaration aussi directe serait, évidemment, reçue avec hostilité par des jeunes s’identifiant comme transgenres. Il serait pertinent que ces thérapeutes soient un peu plus stratégiques quand iels parlent avec de jeunes patient·es dans le déni de leur homosexualité, ou à des enfants effrayé·es et trop jeunes pour comprendre les implications de leur différence.
Mais est-ce que les praticien·nes du GIDS échafaudaient d’ingénieux plans pour aider de jeunes gays et lesbiennes à accepter la réalité de leur orientation sexuelle ? La plupart du temps, iels les envoyer plutôt consulter un·e endocrinologue.
Position n°4 : ça arrive et c’est grave
Quelques professionnel·les de santé mentale ont compris le problème. Plus ou moins.
Charles Socarides
En 1969, Charles Socarides a observé que les transsexuels étaient « des travestis, des homosexuels, ou… se débattaient avec des désirs homosexuels ». En pleine époque de la fausse trichotomie, Socarides était clairement en avance sur son temps. Il considérait que, pour un homme, s’identifier en tant que femme « lui permettait de ressentir moins de… culpabilité par rapport à ses penchants homosexuels ».
Socarides était opposé à la médecine du genre. Il était aussi opposé à la sexualité homosexuelle. Il a consacré sa carrière au développement de méthodes de thérapie de conversion pour les gays, et n’a jamais reculé là-dessus, même quand le caractère inné de l’homosexualité a été démontré et après que son propre fils lui ait dévoilé son homosexualité.
Les hommes qui ont fait fermer la clinique John Hopkins
John Hopkins a ouvert sa clinique du genre en 1966. Certains des psychiatres de la clinique étaient opposés à la transition médicale dès le départ. Certains y étaient favorables, comme Jon Meyer. Mais, dès le milieu des années 70, Meyer était devenu plus sceptique quant à l’hypothèse que ces interventions étaient bénéfiques pour ses patient·es. Il entreprit de mener une étude à ce sujet. Alors que les « transexuel·les » rapportaient être satisfait·es après leurs chirurgies, leur vie était tout aussi désastreuse qu’avant. Le travail de Meyer a convaincu son supérieur, Paul McHugh, de fermer la clinique en 1979.
Ces psychiatres savaient qu’ils transitionnaient des personnes homosexuelles. En 2004, McHugh notait :
« Un des groupes [de patient·es transsexuel·les] était composé d’hommes homosexuels ayant des sentiments ambivalents par rapport à leur orientation sexuelle et souvent rongés par la culpabilité. La réassignation sexuelle était pour eux un moyen de résoudre leur conflit interne concernant leur homosexualité en leur permettant d’avoir des interactions sexuelles avec des hommes en tant que femmes. »
Cependant, l’étude est entachée par un biais envers les relations « inappropriées selon le genre ». Par exemple, un transsexuel qui épousait un homme normal était vu comme une réussite ; un transsexuel qui se mettait en couple avec un autre transsexuel perdait des points.
Leslie Lothstein
Leslie Lothstein travaillait en tant que psychiatre à l’université de Case Western, dans l’Ohio, quand il publia en 1983 un livre sur les femmes transsexuelles, Female-to-Male Transsexualism : Historical, Clinical and Theoretical Issues. Il soutenait que les praticien·nes devaient tenter de soigner leurs patient·es par la thérapie avant d’éventuellement les faire transitionner.
Dans son livre, Lothstein fait référence au lesbianisme de ses patientes. Par exemple, il note que leurs motivations incluent « la sauvegarde d’une relation, puisqu’elles craignent que leur amante les abandonne si elles ne deviennent pas plus physiquement masculines » et « une augmentation de leur libido afin de pouvoir rivaliser avec les hommes ».

Lothstein a quitté Case Western en 1986. D’ici à l’année 2002 (et sans doute plus tôt encore), il ne pratiquait plus dans le domaine de la médecine du genre.

Stephen Levine
Le psychiatre Stephen Levine a commencé à travailler à Case Western dans les années 70 (il a sans doute croisé la route de Lothstein). Il admet que la médecine du genre a des effets secondaires nocifs. Il s’inquiète de catégoriser « prématurément » des enfants comme « trans » car iels pourraient être gays en grandissant.
Levine ne s’oppose cependant pas à la transition des adultes. Il ne s’oppose même pas à celle des mineur·es. Interrogé à ce sujet, il explique pourquoi il pourrait éventuellement faire transitionner une jeune personne :
« Nous ne savons que faire et, en fin de compte, nous accédons à la demande du ou de la patient·e, motivée par un désir sincère d’essayer un traitement hormonal. »
Levine est, fondamentalement, un médecin du genre. Il croit en la réalité et l’importance de l’existence d’une identité de genre. Je l’inclus quand même dans mes mentions honorables car il a témoigné (contre rémunération) au sujet des enfants « trans » qui pourraient se révéler gays. Mais quand il s’agit d’adultes gays… qui pensez-vous qu’il a fait transitionner pendant toutes ces années ?
Clinique Tavistock
Les praticien·nes qui ont vidé leur sac auprès d’Hannah Barnes au sujet de l’homophobie ont compris le problème. Ou, tout du moins, iels tenaient le bon bout. Beaucoup d’entre elles et eux ont tiré la sonnette d’alarme ou sont parti·es car iels considéraient que la façon de faire du GIDS n’était pas éthique. Beaucoup d’entre elles et eux étaient opposé·es au modèle de médicalisation de masse pratiqué ; iels voulaient d’abord mener une thérapie par la parole avant de passer la main à des endocrinologues qui trafiqueraient le système endocrinien de leurs patient·es. Ce qui ne signifie pas qu’iels étaient opposé·es à la transition médicale en général.
Selon Hannah Barnes :
« Ces thérapeutes ne prenaient pas fermement parti contre les interventions médicales. Toutes et tous permettaient à des jeunes d’avoir recours à des bloqueurs de puberté. »
Position n°5 : ça arrive et c’est drôle
Selon Hannah Barnes (encore) :
« Il existait même une blague cynique partagée au sein de l’équipe du GIDS comme quoi il n’y aurait bientôt plus de personnes gays au vu du rythme des transitions effectuées par le service. »
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Position n°2 : ça arrive et c’est OK
Les docteur·es qui transitionnent les lesbiennes
Au commencement, les docteurs du genre refusaient de transitionner des femmes hétérosexuelles. Les seules qu’ils acceptaient de traiter étaient des femmes lesbiennes, et cela ne leur posait aucun problème – ils ne s’embêtaient pas à faire la distinction entre transsexuelles et homosexuelles, à l’instar de ce qu’ils faisaient pour les hommes.. Le psychiatre Robert Stoller de l’UCLA (University of California, Los Angeles) a même fini par estimer que la transsexualité féminine n’était rien de plus que « la forme ultime de l’homosexualité ».
Susan Bradley
La psychiatre Susan Bradley a fondé en 1975 une clinique de l’identité de genre pour mineur·es à Toronto. J’ai déjà évoqué précédemment Gender Identity Disorder and Psychosexual Problems in Children and Adolescents1, le livre réactionnaire publié en 1995 qu’elle a co-écrit avec Kenneth Zucker.
En 2022, Bradley évoquait une de ses premières patientes, une jeune femme désirant être un homme. Bradley l’a « aidé » à obtenir une transition médicale. Peu après, sa patiente « a pu se marier » avec sa meilleure amie.
« Je ne pense pas qu’il [elle] ait jamais considéré faire… être gay, ou être lesbienne et s’engager dans ce type de relation. »
Des années plus tard, alors qu’elle faisait le deuil de son épouse décédée, cette patiente de Susan Bradley a décidé qu’elle avait besoin d’une phalloplastie. Bradley se rappelle en riant avoir « signé les papiers » afin que sa patiente subisse cette chirurgie risquée et mutilante consistant à découper une bande de peau sur une partie du corps, la façonner en forme de tube et la suturer sur l’entrejambe. Elle ajoute : « La situation s’est avérée très intéressante pour moi. »
Lors de cet entretien, les deux animatrices du podcast (Sasha Ayad et Stella O’Malley) ont abordé le sujet de la conversion par transition de jeunes homosexuel·les. Bradley admet que « il est possible que certain·es [jeunes s’identifiant comme trans] se révèlent gays ou lesbiennes ». Mais elle affirme qu’elle ne pouvait pas aider ces patient·es à l’époque car il n’existait pas de « groupes de soutien » vers lesquels les orienter. Apparemment, évoquer elle-même le sujet avec ses patient·es n’était pas une option.
Bradley s’est défendue d’avoir causé du tort à cette jeune patiente lesbienne en la transitionnant au cours des années 70 :
« J’aurais sans doute eu bien du mal à la convaincre de vivre en tant que lesbienne à ce moment-là car ce n’était pas une situation socialement bien acceptée… elles ressentaient n’avoir pas d’autres solutions… la question était : que faire de ça ? [rire]… mais je pense que certaines [lesbiennes] peuvent obtenir quelque chose par cette transition, une personne qui les accepte pour ce qu’elles sont, et je pense que c’est ça qui va fonctionner. »
Quelle formation Bradley a‑t-elle cherché à obtenir pour comprendre les lesbiennes, et quand ? A‑t-elle apporté une aide thérapeutique à sa patiente afin de surmonter son deuil avant de la recommander pour une chirurgie génitale ?
Depuis quelques années, Susan Bradley s’est montrée inquiète de la transition de jeunes autistes.
Ray Blanchard
Le psychologue Ray Blanchard est mondialement connu pour son travail sur les fétichistes transsexuels (hommes transitionnant vers le sexe féminin) dans les années 80 et 90, qu’il a nommé « autogynéphiles ». Comme nombre de ses pairs, il a observé que la plupart des transsexuels étaient homosexuels ou des fétichistes. En 2023, dans un podcast tenu par la féministe Julie Bindel, il expliquait qu’il ne s’était jamais vraiment intéressé aux patients gays car, pour eux, la transition n’était « qu’une étape de plus ». Il décrit aussi cette cohorte comme des « hommes gays efféminés qui franchissent le pas ».
En 2017, Blanchard a co-écrit avec le psychologue Michal Bailey un article pour le site 4th Wave Now. Leur but était d’expliquer les différents types de dysphorie de genre à un lectorat principalement composé de parents d’adolescent·es s’identifiant comme trans, beaucoup de ces jeunes présentant le type « dysphorie de genre à présentation rapide » (« rapid-onset gender dysphoria », ROGD). Puisque ces jeunes étaient assez typiquement masculins (pour les garçons) ou féminines (pour les filles), iels étaient probablement hétéro. Blanchard et Bailey déclarent :
« À nos yeux, le groupe [de jeunes s’identifiant comme trans] atteints de dysphorie de genre à présentation rapide, ainsi que leur famille, subit le sort le plus tragique… Ils risquent des interventions médicales inutiles, mutilantes et nuisibles pour leur santé. »
J’imagine qu’ils sous-entendent que ces interventions sont nécessaires pour les jeunes homosexuel·les dysphoriques qui rejettent les stéréotypes de genre qu’on leur impose depuis leur enfance. Pourtant, il n’y a aucune étude crédible pour soutenir une telle idée. La rumeur prétend que Blanchard est gay2. Mais pas du genre à franchir le pas, manifestement.
Les manuels
Par le passé, les institutions psychiatriques états-uniennes se sont inquiétées pour les personnes homosexuelles, mais ce n’est manifestement plus le cas, si on en croit leurs manuels.

En 1994, l’American Psychiatric Association publiait la quatrième édition de son Diagnostic & Statistical Manuel (DSM‑4). Il contenait un diagnostic intitulé « trouble sexuel non-spécifié » (« sexual disorder NOS ») incluant une « détresse marquée et persistante concernant sa propre orientation sexuelle ».

Cela signifiait que les thérapeutes devaient être vigilant·es face au risque d’homophobie intériorisée. Quand il fallait décider quel diagnostic apposer à un·e patient·e souffrant de trouble de l’identité de genre (ou tout autre problème), les psychiatres devaient déterminer si leur patient·e pouvait, en réalité, souffrir de ce trouble sexuel non-spécifié.
En 2013, la cinquième édition du manuel a été publiée. Il ne contient aucun diagnostic lié à l’orientation sexuelle. En 2015, l’American Psychological Association a publié son Guide pour pratiquer la psychologie avec des personnes transgenres et non-conformes au genre [TNCG]. Il n’y a aucun avertissement quant au risque de diagnostiquer une personne homosexuelle comme trans. Pourtant, il contient cette observation :
« Grâce à un plus grand confort dans leur corps et leur identité de genre, les personnes TNCG peuvent explorer certains aspects précédemment cachés de leur orientation sexuelle ou qui leur semblait en dissonance avec leur sexe assigné à la naissance. »
Autrement dit, certaines personnes homosexuelles ne peuvent entamer des relations avec les personnes qui les attirent qu’à condition de se présenter comme des membres de l’autre sexe – et donc de passer pour hétéro. Est-ce que ces patient·es devraient être traité·es pour leur homophobie intériorisée ? Non, car cela n’existe pas (selon le DSM‑5).
Parmi les rédactrices et rédacteurs de ce guide apparaissent Walter Bockting, qui s’est parjuré en 2008, et Laura Edwards-Leeper, qui a lancé sa carrière en aidant Norman Spack à transitionner des ados de 12 ans.
Le DSM‑5 et le Guide pour pratiquer la psychologie avec des personnes TNGC de 2015 remarquent tous deux qu’il existe un lien entre homosexualité et détresse « de genre ». Le guide, par exemple, dit ceci :
« Bien que quelques études suggèrent un lien potentiel entre développement de l’identité de genre et l’orientation sexuelle, le mécanisme sous-tendant cette relation est inconnu. »
Ces manuels présentent les faits de façon neutre mais n’en tiennent pas compte.
Les thérapeutes de la clinique Tavistock
Hannah Barnes, la journaliste ayant rédigé Time to Think, décrit ainsi les vues de certain·es praticien·nes de Tavistock :
« [Ils] reconnaissent que, bien qu’ils soupçonnent que certains de ces jeunes gens pourraient être gays, le monde dans lequel ils vivent rend préférable le fait d’être trans (et hétéro). Ce n’était pas, à leurs yeux, une « thérapie de conversion pour les jeunes gays », mais, tout simplement, la réalité. Le D. Alex Morris, psychologue de son état, donne pour exemple un jeune [garçon] vivant dans une partie rurale du pays. »
Morris dit à Barnes :
« Sont-ils vraiment gays ? Ou sont-ils vraiment trans ? Ou est-ce une façon improductive de réfléchir au problème ? Pour moi, c’est une façon improductive d’y penser. »
Ailleurs dans le livre, Barnes cite la praticienne Natasha Prescott :
« Donc, parfois je soulevais la question [auprès mes collègues], et tout le monde réagissait comme si, je ne sais pas, ils étaient anxieux ou se sentaient attaqués. Mais quand même, il y avait une réelle envie de protéger les gens contre des émotions désagréables, horribles, donc quelqu’un interviendrait et détendrait l’atmosphère. »
Je me demande si Morris faisait partie de ces thérapeutes qui cherchaient à éviter des « émotions désagréables ».
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Position n°1 : ça n’arrive pas
Selon l’industrie de la santé mentale, la réponse invariable à ces deux questions est : « mais nan ».
Les acolytes d’Harry Benjamin
Selon Benjamin, homosexuel·les et transsexuel·les sont deux catégories bien distinctes. Endocrinologue de profession, il s’est aussi improvisé expert en psychologie. Ses théories ont influencé la première vague de thérapeutes « spécialistes du genre » états-uniens.
Dans Le Phénomène transsexuel (1966)1, Benjamin explique que le transsexuel mâle n’est pas gay puisque :
« Il n’aime pas [le style de vie gay]. En vérité, il n’aime pas les homosexuels et ressent n’avoir rien en commun avec eux. »
De même pour les lesbiennes :
« Sexuellement, les transsexuelles femelles peuvent être des amantes passionnées, séduisant les femmes ainsi que le feraient des hommes, mais elles ne le font pas comme des lesbiennes, qu’elles détestent souvent profondément. »
Ainsi persuadé que personnes transsexuelles et homosexuelles ne sont pas les mêmes individus puisque appartenant à des catégories bien distinctes, Benjamin affirme :
« L’homosexuel est un homme et ne souhaite pas être autre chose. Il est simplement excité sexuellement par d’autres hommes. Même s’il est du type efféminé, il est toujours en harmonie avec son sexe mâle et son genre masculin. »
(Comme de nombreuses personnes quand elles discutent de l’homosexualité masculine, Benjamin a tendance à être assez phallocentrique.) Benjamin écrit aussi que les travestis (fétichistes) ne souhaitent pas avoir recours à une chirurgie de réassignation sexuelle.
Des docteurs du genre ayant de réelles compétences en psychologie se sont raccrochés au modèle inventé par Benjamin, que j’ai appelé la fausse trichotomie. Jusque dans les années 1980, les médias, et même des juges, ont consciencieusement rabâché cette affirmation que les homosexuels sont bien distincts des transsexuels2.
Une dernière chose concernant les « transsexuel·les classiques » de Benjamin : il dit qu’iels s’identifient avec le sexe opposé dès l’enfance. C’est une expérience courante chez les gays et les lesbiennes.
Ira Pauly
Les docteurs du genre durent éventuellement admettre que des personnes homosexuelles sollicitaient leurs services et que peu parmi elles correspondaient à la description du parfait transsexuel de Benjamin. Cela n’a pas empêché des thérapeutes de premier plan dans ce domaine de nier la réalité pendant encore des années, créant une distinction douteuse entre transsexuel·les « primaires » et « secondaires ». En 1983, le psychiatre Ira Pauly, en collaboration avec d’autres, a présenté un article affirmant ceci :
« [Certains maintiennent] que les patients sollicitant une réassignation sexuelle sont généralement des transsexuels secondaires, c’est-à-dire des travestis et des homosexuels féminins… Nous constatons cependant que la plupart de ces demandes proviennent bel et bien de transsexuels primaires dont l’identification à l’autre genre remonte à l’enfance, et se présentent de façon stable sur une période de plusieurs années. »
À peu près à la même époque, Pauly faisait transitionner une jeune lesbienne de 14 ans.
Les bloqueurs de puberté
Les enfants peuvent être perçu·es comme féminin·es ou masculin·es dès leur plus jeune âge mais leur sexualité ne se développe qu’à la puberté. Cela amène certain·es à s’identifier à des personnes de l’autre sexe avant qu’iels ne puissent découvrir leur orientation sexuelle – cela donne à l’identification trans une longueur d’avance d’une décennie, qui devrait légitimement faire craindre aux professionnel·les de santé un faux diagnostic. Mais bien des chef·fes de file de la profession ont, au contraire, certifié que cela n’est pas possible puisque « l’identité de genre » est réelle et se développe indépendamment de la sexualité.
Des psychologues prétendent, depuis au moins 1972, que l’identité de genre se fixe dès la petite enfance. John Money3, dont le travail soutenant cette thèse a été discrédité au cours des années 1990, fut le premier champion de cette doctrine.
Quand des médecin·nes du genre aux États-Unis ont commencé à utiliser des bloqueurs de puberté sur des enfants de 12 ans dans le cadre d’une transition, au milieu des années 2000, iels répétèrent les hypothèses (jamais prouvées) de Money concernant la formation d’une identité de genre dès l’enfance, sans jamais le citer.
La World Professional Authority for Transgender Health (WPATH)4, dont certains membres sont des professionnel·les de la santé mentale, reconnaît dans son septième « Standard of care5 » publié en 2012 (SOC7) que la plupart des enfants prépubères désistent* et se révèlent homosexuel·les en grandissant. Cependant, l’organisation prétend que le premier jour de puberté est une ligne rouge qui, une fois franchie, change tout :
« À l’inverse, la probabilité que la dysphorie de genre continue jusqu’à l’âge adulte semble être bien plus importante pour les adolescent·es. Aucune étude prospective formelle n’existe à ce jour. Cependant, lors d’une étude portant sur 70 adolescents et adolescentes ayant un diagnostic de dysphorie de genre et auxquel·les ont été données des hormones bloquant la puberté, toutes et tous ont décidé de continuer avec des interventions de réassignation sexuelle. »
D’autres chercheurs et chercheuses ont lu cette étude (provenant du fameux « protocole hollandais ») et ont suggéré que les bloqueurs ont pu perturber le processus naturel se produisant à la puberté et qui permet habituellement à ces jeunes d’accepter leur sexe. Mais la WPATH n’a pas pris cette hypothèse en considération, traitant plutôt cette seule étude comme une preuve irréfutable que des jeunes de 12 ans s’identifiant à l’autre sexe ne désisteront plus, ce que leur suggérait déjà leur immense sagesse ancestrale. Des professionnel·les de santé se sont par la suite appuyé·es sur le SOC7 pour recommander l’usage de bloqueurs de puberté.
Avant même le SOC7, un des principaux doctorants dans le domaine du genre, le psychologue Richard Green, avait fait pression sur les autorités de santé britanniques pour qu’elles recommandent la prescription de ces fameux bloqueurs de puberté. Il connaissait pourtant parfaitement la littérature concernant le désistement des adolescent·es puisqu’il avait écrit en 1987 un livre intitulé The Sissy Boy Syndrome : The Development of Homosexuality6.
La direction de la clinique Tavistock
Fut un temps, la clinique Tavistock, spécialisée en psychiatrie, était réputée dans tout le Royaume-Uni. Son service spécialisé dans le développement de l’identité de genre (GIDS) prenait en charge des mineur·es, jusque récemment. La journaliste Hannah Barnes relate dans son livre sur ce service, Time to Think, que « l’homophobie était un problème, selon la plupart [des personnes interrogées pour cette enquête], et tout particulièrement pour les adolescentes qui se présentaient en grand nombre [au GIDS] ».
Barnes cite les observations de la psychologue Kirstie Entwistle, qui pratiquait au GIDS de Leeds : 
« Entwistle a été choquée par l’homophobie généralisée dont elle a été témoin lors de ses consultations. Elle affirme que ce n’était pas un sujet discuté par l’équipe et il n’y avait aucune formation sur comment parler de sexualité avec de jeunes gens. »
Si on en croit le Rapport Cass, les thérapeutes de GIDS n’avaient pas pour habitude d’aborder la question de la sexualité avec leurs patient·es. Ce qui signifie qu’il n’y avait pas de dépistage d’une potentielle homophobie intériorisée chez les patient·es mineur·es et qu’il n’y avait pas de discussion avec ces jeunes de l’impact que pourrait avoir sur leurs futures relations amoureuses et sexuelles des effets secondaires tels que l’atrophie vaginale ou le sous-développement du pénis.
Certain·e praticien·ne savaient que de jeunes gays et lesbiennes étaient transitionné·es en masse (on y reviendra très vite), mais l’institution dans son ensemble était dans le déni.
Des praticiens homosexuel·les ont témoigné avoir rapporté leurs inquiétudes à la directrice, Polly Carmichael, qui a alors sous-entendu qu’iels manquaient d’objectivité contrairement à leurs collègues hétérosexuel·les. Carmichael a nié cette accusation. Cependant, une personne travaillant à la clinique a anonymement affirmé à Hannah Barnes que cette peur d’être en train de perpétrer une thérapie de conversion sous couvert de transition provenait « d’un certain nombre de praticiens gays… qui ne sont donc pas neutre à ce sujet ».
D’après le D. Matt Bristow, lui-même ouvertement gay :
« On a entendu des remarques homophobes tous les jours pendant des années et on devait faire avec. Quand on essayait d’adresser le problème en réunion d’équipe, on était tout simplement ignoré. »
Jack Turban
Le DSM‑5 a changé les critères diagnostics du « trouble de l’identité de genre » (gender identity disorder) et l’a rebaptisé « dysphorie de genre ». Il faut maintenant littéralement prétendre appartenir à l’autre sexe pour obtenir ce diagnostic. Autrement, la dysphorie de genre est globalement la même chose que le trouble de l’identité de genre, qui était déjà de toute façon un diagnostic bidon.
Quoi qu’il en soit, ce changement, rendant nécessaire certains mots magiques (« Je suis un garçon ! »), n’a pas été fait sur la base d’études cliniques démontrant leur vertu prédictive.
Les médecin·nes du genre, tels que le psychiatre Jack Turban, choisissent d’ignorer les études attestant le désistement de la plupart des jeunes, en utilisant l’argument que celles-ci portaient sur des enfants diagnostiqué·es avec un trouble de l’identité de genre et non une dysphorie de genre. C’est leur nouvelle excuse ; iels ne se cachent plus derrière les données douteuses utilisées pour le SOC7.
Jack Turban est gay. Il est donc bien mieux situé que le praticien hétéro de base pour se rendre compte du danger que représente pour les jeunes lesbiennes et gays la médecine du genre. Il est aussi mieux placé que le praticien hétéro de base pour se créer une marque de fabrique en tant que gourou LGBTQ.
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Glenna Goldis, une avocate états-unienne et militante pour la protection des personnes LGB est l’autrice de cet article. Elle a gracieusement accepté de nous laisser traduire et publier sur notre site certains de ses articles, notamment celui que vous vous apprêtez à lire. Nous tenons à préciser qu’elle n’a cependant pas pu valider la correction, n’étant pas elle-même francophone.
L’autrice a vu l’impact de la croyance en l’identité de genre sur la communauté lesbienne – un nombre affolant de femmes lesbiennes et bisexuelles ont transitionné socialement et médicalement ces vingt à trente dernières années aux États-Unis. Elle a donc décidé d’enquêter sur ce phénomène et a développé une vraie expertise au sujet de l’histoire de la médecine du genre depuis les années 60 et sur l’aspect légal du transactivisme.
Alors qu’elle écrivait auparavant sous pseudonyme (Unyielding Bicyclist), Glenna Goldis a décidé d’écrire à visage découvert depuis octobre 2024, au risque de sa carrière. Cela lui permet d’intervenir sur la scène médiatique mais aussi de s’organiser avec ses pairs dans sa profession pour lutter contre la propagation de l’identité de genre dans les lois et décisions de justice, ce qui a des impacts négatifs concrets sur la protection et les droits des femmes, des mineur·es et des personnes LGB.
Point sur le vocabulaire
L’anglais étant une langue plus synthétique que le français, il est parfois difficile de traduire certain·es termes et expressions sans avoir recours à de longues périphrases. Nous avons donc parfois fait le choix d’une traduction littérale afin de ne pas alourdir le texte. Certains termes employés peuvent aussi porter à confusion, notamment en raison du vocabulaire employé par le militantisme LGBTQ+, queer, ou transféministe qui tend à s’imposer dans les débats. Nous partageons donc avec vous, ci-dessous, un court glossaire pour expliciter les termes utilisés dans cet article en plusieurs parties.
Nous mettrons un astérisque après chaque première utilisation d’un mot défini dans notre glossaire afin que vous puissiez directement passer à la lecture de l’article, si vous le souhaitez. Vous n’aurez qu’à vous référer au glossaire si vous n’êtes pas certain·e de la signification du mot précédé d’un astérisque.

Affirmation (d’une identité transgenre) : pratique consistant à approuver, encourager et valider l’identification d’une personne à une identité qui n’est pas celle de son sexe.

Critiques du genre : nom générique donné à toutes personnes militant contre le dogme de l’identité de genre (voir notre article à ce sujet).
Dysphorie de genre : terme inventé en 1973 pour désigner le malaise persistant ressenti par certaines personnes vis-à-vis de leurs caractéristiques sexuelles et de leur non-conformité aux attentes sociales vis-à-vis de leur sexe (c’est-à-dire les normes de genre : un garçon se doit d’être masculin et une fille féminine sous peine d’être sanctionné·e et mis·e à l’écart). La dysphorie de genre est officiellement devenue un diagnostic médical quand elle a été intégrée dans la cinquième édition du manuel diagnostic de l’American Psychiatric Association (DSM‑5), publié en 2013. Ce terme remplace ceux de « transsexualisme » et « trouble de l’identité de genre ».
Identité transgenre : cf Personne transgenre
Iels : troisième personne du pluriel incluant femmes et hommes sans appliquer la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin (un homme et mille femmes = ils). Si ce mot peut heurter des personnes n’ayant pas l’habitude de le lire, nous vous assurons que l’on s’y fait.
Médecin·ne du genre : tout personnel médical travaillant dans le domaine de la médecine du genre. Les métiers les plus représentés sont la psychologie et psychiatrie, l’endocrinologie et la chirurgie. Médecinne est le féminin du mot médecin que nous avons choisi d’utiliser dans cet article, pour des raisons de commodité. Il existe également le mot médecienne.
Médecine du genre : tout le champ médical dont la vocation est « d’affirmer » l’identité déclarée des patient·es et d’effectuer des transitions médicales par des interventions hormonales et chirurgicales.
NdT : abréviation de « note de la traductrice ». Cela signifie que la note de bas de page a été rédigée par la traductrice et n’existait donc pas dans le document original. La traductrice prend donc toute la responsabilité si une erreur a été commise dans ces notes.
Thérapeute : personne pratiquant une thérapie d’ordre psychologique (psychologue, psychiatre ou psychanalyste).
Transactivisme : mouvement militant prétendant lutter pour les droits des personnes « transgenres », groupe caractérisé par le fait de revendiquer une identité qui n’est pas celle de leur sexe. Attention, toutes les personnes « transactivistes » ne sont pas transsexuelles et ne revendiquent pas forcément elles-mêmes une identité transgenre.
Personne transgenre ou trans : personne revendiquant une identité qui n’est pas celle de son sexe (homme ou femme transgenre, non-binaire, genderqueer et bien d’autres encore).
Transsexuel·le / personne transsexuelle : personne qui cherche à passer pour un membre de l’autre sexe et qui, pour cela, a eu recours à des interventions médicales (hormones, chirurgies). Un homme transsexuel est un homme ayant effectué une transition médicale afin de passer pour une femme. Une femme transsexuelle est une femme ayant effectué une transition médicale afin de passer pour un homme.
Transitionneur / transitionneuse : personne ayant eu recours à une transition médicale pour passer pour un membre de l’autre sexe. Nous utilisons ce terme à la place de transexuel·le quand nous ne disposons pas d’informations sur la ou les personnes et ne pouvons donc pas savoir si cette personne a, par la suite, détransitionné. Ce terme inclut donc toutes les personnes ayant eu recours à une transition médicale dans leur vie, quelle que soit leur situation actuelle.
Transition : la transition regroupe tous les actes visant à se faire passer pour un membre de l’autre sexe ou d’entraîner une confusion quant au sexe de la personne (barbe + voix grave + seins par exemple). La transition sociale consiste, le plus souvent, à changer de nom, à changer la mention de sexe sur les papiers administratifs et à annoncer une identité fausse à son entourage. La transition médicale regroupe toutes les interventions médicales ayant pour vocation de modifier les caractéristiques sexuelles secondaires de la personne (chirurgies des organes génitaux, de la poitrine, des traits du visage, prise d’hormones, ou, au contraire, inhibition de la production de certaines hormones, etc.).
Détransition : regroupe tous les actes, médicaux ou non, visant à réintégrer socialement sa propre classe de sexe. La personne peut arrêter la prise d’hormones ou de bloqueurs d’hormones, avoir recours à de nouveaux actes médicaux (implants mammaires pour les femmes, double mastectomie pour les hommes, par exemple) ou encore changer son prénom et ses papiers d’identité.
Désistement : abandon de l’identification à une identité transgenre avant tout processus de médicalisation. La personne a, le plus souvent, effectué une transition sociale auprès de ses proches, voire auprès d’institutions.
Mieux vaut une personne trans hétéro qu’un gay ou une lesbienne
Imaginez si les personnes noires subissaient de façon disproportionnée des amputations de leur pénis et de leurs seins – la gauche y verrait, à juste titre, un scandale. Aujourd’hui, je vais traiter, avec la gravité qu’elle mérite, la question de pourquoi des thérapeutes* aident les personnes homosexuelles à abîmer ainsi leur corps.
La médecine du genre* induit des effets secondaires sévères sur les corps. Ces interventions sont objectivement nocives. Les thérapeutes se rendent complices de ces mutilations et préjudices physiques quand iels* signent les courriers d’adressage pour la chirurgie de leurs patient·es et « affirment* » leur identité trans*. Bien que certain·es assurent que ces interventions à risque sont nécessaires pour prévenir des tentatives de suicide, cette assertion n’est soutenue par aucune preuve fiable.
Cet article examine les actes et propos de plus d’une douzaine de thérapeutes influent·es et de trois institutions majeures dans le domaine de la santé mentale : l’American Psychiatric Association, l’American Psychological Association et le Gender Identity Development Service (GIDS) du Royaume-Uni. J’établirai leur diagnostic à la fin.
Les patient·es
Les lesbiennes représentent seulement 2 % des femmes et pourtant, au cours du XXe siècle, presque toutes les transitionneuses* étaient lesbiennes. Le docteur du genre* danois Christian Hamburger rapportait, au milieu du siècle, qu’une des raisons principales évoquée par les femmes recherchant ses services était de pouvoir épouser leur compagne. Les transitionneuses attirées par les hommes étaient « hyper rares » selon Ray Blachard, sexologue ayant pratiqué des « thérapies de genre » de 1980 à 1995 dans une clinique de Toronto.
Parmi les jeunes filles britanniques reçues en 2012 par le Gender Identity Development Service (GIDS), plus de 90 % déclaraient être attirées par des filles. Une étude néerlandaise de 2011 a constaté que plus de 95 % des filles désirant être des garçons depuis l’enfance jusqu’à l’adolescence ressentaient de l’attirance envers les filles. Sur les 70 jeunes dont la puberté a été bloquée lors de l’essai clinique aujourd’hui connu sous le nom de « protocole hollandais » (Dutch protocol, 2006), 62 étaient homosexuel·les, et un seul, un garçon, affirmait être hétérosexuel. De nos jours, mêmes des lesbiennes plus âgées consultent en masse des chirurgiens esthétiques pour des opérations de « masculinisation du torse » ou « torsoplastie », c’est-à-dire des doubles mastectomies.
Les lesbiennes et les gays veulent changer de sexe parce qu’iels sont isolé·es, mal renseigné·es, mal à l’aise avec le fait d’être différent·es, traumatisé·es par du harcèlement ou d’autres violences homophobes, exposé·es à une contagion sociale dans leur « communauté », parce qu’iels cherchent à étendre leur choix de partenaires potentiel·les, ont été ciblé·es par des prédateurs sexuels ou encore, parce qu’iels se détestent.
Toutes les personnes trans* ne sont pas homosexuelles. Il y a aussi des fétichistes, au moins depuis Einar Wegener. Des personnes souffrant de délires mentaux ont aussi eu recours à des chirurgies de réassignation sexuelle. Dernièrement, une plus grande diversité de profils parmi les jeunes diagnostiqué·es (ou se diagnostiquant) avec une « dysphorie de genre* » est apparue, dont des personnes sur le spectre de l’autisme et des victimes de violences sexuelles. Cette « dysphorie de genre » apparaît généralement à la suite d’un endoctrinement à l’école ou en ligne. Cependant, dans cet article, je me concentre sur les gays et lesbiennes quel que soit leur âge – un groupe social particulièrement sensible à l’influence de la propagande autour du changement de sexe.
Question : est-ce qu’iels s’identifient comme trans parce qu’iels sont homosexuel·les ? Est-ce que ça devrait nous inquiéter ? Voici les réponses fournies ces dernières décennies par des thérapeutes travaillant dans le domaine de la médecine du genre.
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Toutes les sociétés humaines, à notre connaissance, font la différence entre les personnes de sexe féminin et celles de sexe masculin. C’est un fait de la nature puisque nous sommes des animaux ayant une reproduction sexuée. Cette différence est constatée, pas imposée socialement. Ce qui, par contre, est imposé par les sociétés patriarcales, c’est une hiérarchie entre mâles (individus de sexe masculin) et femelles (individues de sexe féminin). Le féminisme a pour but de mettre fin à cette hiérarchie en déracinant le patriarcat, ce qui implique de transformer intégralement nos sociétés.

Certains mouvements féministes1 ont tenté de minimiser les différences entre les sexes – ou de prétendre qu’elles n’avaient aucune importance, voire qu’elles n’existaient pas. L’objectif était de contrer les arguments essentialistes cherchant à justifier et naturaliser la hiérarchie sociale en invoquant la biologie. Malheureusement, cette stratégie ne peut pas fonctionner. Ce n’est pas la différence qui crée la hiérarchie, mais la société. Tenter de nier une réalité incontestable, celle du dimorphisme sexuel de l’espèce humaine, est non seulement intellectuellement invalide, mais c’est en plus, stratégiquement, une impasse qui finit inévitablement par se retourner contre les femmes – et contre les féministes. Les femmes ne sont pas des hommes, notre lutte ne peut pas et ne doit pas l’ignorer.
I/Femme ou homme : question de sexe ou d’identité de genre ?
Lorsque nous parlons d’êtres humains, nous n’utilisons que très peu, en français, les termes mâles et femelles, qui servent à catégoriser la plupart des animaux, ainsi que certaines plantes. Pour désigner les adultes, nous employons les noms hommes et femmes. Pour les enfants, filles et garçons. La définition de ces mots dans les dictionnaires2 est parfaitement claire : un homme est un « être humain adulte de sexe masculin » et une femme un « être humain adulte de sexe féminin ». Jusqu’à récemment cependant, personne n’allait jamais chercher ces définitions, parce que ce sont des mots extrêmement communs dont nous connaissons toutes et tous le sens3.
Pour rappel, la femelle est l’individue produisant de gros gamètes immobiles (ovules) et, dans le cas de notre espèce, qui prend en charge la gestation, l’accouchement et l’allaitement. Le mâle produit de petits gamètes mobiles (spermatozoïdes), en plus grande quantité. Bien sûr, si pour une quelconque raison l’individu·e est infertile et ne produit pas de gamètes, il ou elle reste mâle ou femelle puisque son corps s’est développé pour produire l’un ou l’autre. On remarquera deux choses : chez l’être humain, la charge de la reproduction est clairement répartie de façon inégale. Ce qui amène à la remarque suivante : ces rôles dans la reproduction entraînent des différences corporelles importantes. On parle, dans ce cas, de dimorphisme sexuel.
Comme évoqué dans l’introduction, nier les différences entre les sexes dans notre société patriarcale ne peut que se retourner contre les femmes. On le constate d’autant plus facilement que la science et la médecine, qui reconnaissent évidemment le dimorphisme sexuel humain, ont tendance à négliger la physiologie spécifique des femmes dans leurs recherches pour ne prendre en compte que celle des hommes4. Les médicaments sont testés sur des mâles (rats, singes, entre autres animaux exploités, et humains), les équipements de sécurité sont calibrés pour des corps d’hommes, les symptômes des femmes sont moins étudiés (que l’on parle de crise cardiaque ou d’autisme), la recherche néglige souvent ce qui touche spécifiquement nos corps femelles (cycles menstruels, grossesses, allaitement, organes liés au plaisir sexuel…). Un exemple éloquent est celui des tests de sécurité des voitures5 : jusqu’à récemment, les mannequins imitaient le corps masculin, et, pour exécuter les simulations d’accident avec des passagères, on ajoutait seulement une paire de seins au mannequin de gabarit masculin. Résultat : encore aujourd’hui, les femmes subissent de façon disproportionnée des blessures graves pouvant conduire à la mort, dans les accidents de voiture réels – alors même qu’elles en causent moins !
Les femmes ne sont pas de petits hommes castrés avec des seins. Nos os sont différents, nos muscles, notre répartition des masses graisseuses, nos taux d’hormones, nos organes, la forme de notre tête ou de notre bassin ! La liste est longue, et les conséquences si ces différences sont ignorées, graves. De plus, c’est une insulte envers les femmes, une négation de notre réalité physique. Irait-on dire aux hommes qu’ils sont des femmes de grande taille sans seins et avec un clitoris hypertrophié ? Aujourd’hui pourtant, certain·es affirment qu’un enfant, un adolescent ou un adulte de sexe masculin peut être une fille, une adolescente ou une femme, et vice versa. Les expressions « homme de sexe féminin » et « femme de sexe masculin » sont des oxymores. Si on veut écrire de la fiction ou de la poésie, pourquoi pas. Quand il s’agit de décrire la réalité, c’est non seulement faux, mais aussi totalement absurde.
De plus en plus de personnes semblent pourtant adhérer à cette idée qu’être une femme ou un homme n’aurait rien à voir avec la réalité matérielle de la sexuation des êtres humains. Ce ne serait pas une question de sexe mais une question d’« identité de genre ». Cette notion de l’identité de genre a réussi à s’imposer en quelques années, au point que citer la définition du dictionnaire, quand on définit ce qu’est une femme, passe désormais pour de la haine ou de la bêtise. Certes, pour démanteler les nombreuses idées reçues et contrer la désinformation portée par le mouvement queer ou transactiviste6 et par certaines personnes transsexuelles7 , il ne suffit pas de réaffirmer ce que sait pertinemment la majorité de la population, qu’être un homme ou une femme dépend de notre sexe. Il était cependant nécessaire de commencer par là.
II/Identité de genre, définitions
Les définitions que nous allons exposer ici ne sont pas les nôtres. En premier lieu, parce que nous ne reconnaissons pas le concept d’identité de genre comme valide – vous comprendrez pourquoi en lisant ce qui suit. Ensuite, parce que nous ne voulons pas que l’on nous accuse de simplifier ou de déformer les propos des défenseur·ses de cette notion. Nous citerons donc mot pour mot les définitions données, recueillies dans une sélection d’ouvrages représentatifs de la production contemporaine sur ce sujet8 . On notera que les huit livres en question (références disponibles en notes, les ouvrages sont identifiés par une lettre) ont été publiés ces cinq dernières années, couvrent les mêmes thématiques et sont mis en avant en bibliothèque – le sujet est donc loin d’être marginal aujourd’hui.
1. L’identité de genre est une construction sociale
Le terme « genre » a été utilisé par les féministes depuis les années 19709 pour désigner la féminité et la masculinité, les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes (l’exemple classique étant la femme au foyer qui prend soin de son mari et de ses enfants pendant que l’homme travaille en entreprise /à l’usine / etc.), et, de façon générale, toutes les choses qui sont associées, dans une société donnée, à un sexe ou l’autre (le rose, la passivité et la lune pour les filles, le bleu, la violence et le soleil pour les garçons…)10 . Pour ajouter à la complexité de la chose, en anglais, le mot « genre » peut être utilisé pour désigner le sexe d’une personne — ce qui peut causer des problèmes de traduction et entraîner des confusions. En français, la distinction entre sexe et genre est plus marquée, mais tend, dans le brouhaha philosophico-politique actuel, à se brouiller.
Certain·es transactivistes s’appuient sur cette notion féministe du genre pour prétendre que certains mâles, dits « femmes trans », sont des femmes, de même que certaines femelles seraient des « hommes trans ». Ces personnes, en général, argumentent que les hommes ayant effectué des traitements médicaux (prises d’hormones et chirurgies) pour tenter d’adopter certaines caractéristiques physiques spécifiques aux femmes deviennent, de ce fait, des femmes. Ils estiment que, puisqu’ils nous ressemblent (plus ou moins), puisqu’ils adoptent les codes esthétiques de la féminité et puisqu’ils se revendiquent comme femmes, ils seraient perçus et traités socialement comme des femmes. Et puisqu’être une femme serait, en partie au moins, une construction sociale – on remarquera dans plusieurs livres le détournement de la citation culte « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir11 – ces hommes deviendraient des femmes.
« Comme [Margaret] Mead, [Simone de] Beauvoir et [Judith] Butler nous l’ont expliqué, à la différence du sexe, le genre n’est pas anatomique mais social. Ce sont les membres de la société (vous et nous) qui le construisons et le font évoluer. »
Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC
« Le genre est civilisationnel, culturel et non biologique. […] Le genre et ses matérialisations comme données identitaires ne sont donc pas existantes par nature, mais forgées et accumulées par nos sociétés pour répondre à différents besoins de fonctionnement, et pour asseoir les jeux de privilèges et de domination. »
Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Cette première justification peut sembler assez convaincante au premier abord, notamment pour des féministes adhérant à l’idée d’une construction sociale de la catégorie femme. Nous sommes d’ailleurs nombreuses à avoir été satisfaites, pour un temps, par cette explication. Après tout, nous nous sentons évidemment solidaires avec toutes les personnes subissant des agressions sexistes. Cependant, il suffit d’y réfléchir un peu pour se rendre compte que c’est absurde.
Déjà, ce raisonnement ne s’appliquerait qu’aux personnes transsexuelles parvenant à se faire passer de façon convaincante pour des personnes de l’autre sexe. Malgré les interventions hormonales et chirugicales disponibles actuellement, c’est loin d’être toujours le cas. De plus, bien des personnes se revendiquant « transgenres » veulent être reconnues comme hommes ou femmes sans même chercher à prendre l’apparence d’un membre de l’autre sexe.
Une femme qu’on prend pour un garçon – comme ça a été le cas pour plusieurs d’entre nous puisque nous n’adhérons pas à des normes de genre sexistes – ne devient pas un garçon. Un homme hétéro qui subit une agression homophobe, puisque présumé gay, ne devient pas gay car il a été « socialement traité comme » un homme homosexuel. Pourquoi donc est-ce que les personnes transsexuelles seraient différentes ? Parce qu’elles subissent des interventions médicales ? Parce que la confusion est créée intentionnellement ? Parce qu’elles auraient un trouble mental12 ? Parce qu’elles revendiquent une identité qui n’est pas la leur ?
On ne peut pas devenir plus une femme ou plus un homme en changeant son corps. En fait, on ne peut pas devenir « plus » une femme ou un homme tout court, car le sexe n’est pas un spectre sur lequel nous pouvons nous déplacer. Une femme ayant subi une double mastectomie des suites d’un cancer du sein, ou une ablation de l’utérus, n’en devient pas moins une femme, car elle n’est pas moins femelle après ces opérations. Un homme castré n’est pas moins mâle, pas moins un homme.
Cette argumentation a au moins le mérite de s’appuyer sur des éléments concrets. Il y a une apparence de logique dans ce raisonnement, puisque certaines personnes transsexuelles sont effectivement perçues comme des membres de l’autre sexe. La justification suivante s’appuie aussi sur des arguments matériels et potentiellement mesurables. Vous verrez que c’est loin d’être toujours le cas.
2. Identité de genre : l’hypothèse des cerveaux
Un autre raisonnement s’appuie sur l’idée qu’il y aurait des cerveaux de femmes et des cerveaux d’hommes, et que certaines personnes auraient un cerveau d’homme dans un corps de femme et vice versa. L’hypothèse a même fait l’objet d’études scientifiques – peu concluantes pour le moment13 . Cette explication, assez populaire aux États-Unis, ne fait pas recette en France. Cela se constate dans les livres étudiés pour cet article : sur les huit, seuls trois évoquent cette hypothèse mais uniquement pour s’en distancier.

« Concernant le cerveau, il n’existe probablement rien de tel qu’un cerveau « masculin » et un cerveau « féminin » […]. Une compréhension du cerveau comme fonctionnant et se structurant sur un modèle de mosaïque, incluant des éléments dits « masculins » et « féminins », semble plus proche de la réalité. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de notre enfant sur le genreE

« De la science aux médias en passant par les conversations du quotidien, les débats qui opposent l’inné et l’acquis sont profondément ancrés dans notre culture et partent souvent du principe que l’une ou l’autre option est, dans un sens, plus « acceptable » que l’autre. […] Ces questions s’expliquent par le fait que, dans la culture anglo-américaine actuelle, les gens accordent souvent plus de légitimité aux choses quand elles trouvent leur « origine » dans notre cerveau ou notre ADN. Nous tenons à préciser ici qu’il importe peu que le genre d’une personne s’explique par des raisons biologiques, psychologiques ou sociales – ou une combinaison des trois. »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Filles et garçons ont-ils le même cerveau ? Oui, ils ont le même cerveau ! Du point de vue de l’anatomie, c’est-à-dire de la forme et de la structure, le cerveau d’un fœtus de fille est identique au cerveau d’un fœtus de garçon ! »

C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identiteG
Pas la peine donc de s’y attarder, si ce n’est pour préciser que nous n’adhérons pas à une vision dualiste de l’être humain. Le dualisme appliqué à l’individu divise la personne en deux, entre un esprit et un corps, deux entités décrétées distinctes et hiérarchisées. L’esprit contiendrait notre essence véritable, jugée supérieure, transcendante, tandis que le corps serait le lieu du trivial et du méprisable, un simple véhicule, une machine nous permettant d’intéragir avec le monde, mais rien de plus. L’esprit – ou la conscience, ou l’âme – est généralement perçu comme situé dans le cerveau (pourtant bien matériel et partie intégrante du corps), celui-ci déterminerait donc qui nous sommes vraiment.
Cette vision du monde, promouvant la primauté de l’esprit (associé aux choses intellectuelles, à la noblesse, à la rationnalité voire à l’âme immortelle) sur le corps (qui relèverait du vulgaire, un amas de chair périssable, imparfaite et défaillante) est très répandue14 .
Nous, féministes de Ronces & Racines, considérons que nous sommes nos corps, pleinement, entièrement. Si conscience il y a, elle fait partie de nous et n’est pas une chose détachée de notre matérialité. Que nous soyons nées avec un handicap, une orientation sexuelle qui n’est pas commune, un cerveau atypique ou des hormones hors normes, notre corps n’est pas une erreur et aucune de nous n’est moins femme qu’une autre.
3. Identité de genre auto-déterminée
Nous avons commencé par les deux définitons de l’identité de genre qui semblent les moins absurdes, mais qui sont aussi les moins fréquentes. L’affirmation la plus commune, notamment dans les milieux de gauche se revendiquant féministes, est que l’identité de genre d’une personne dépend de son « ressenti » — quoi que cela puisse bien vouloir dire. Ainsi, seule la personne elle-même serait en mesure de déterminer cette « identité », et les autres ne devraient, sous aucun prétexte, pouvoir la remettre en question.
Quel ressenti exactement permet de déterminer si nous sommes des hommes ou des femmes ? Un ressenti, par définition, est subjectif et dépend de chaque personne. D’après les transactivistes, le ressenti de chacun·e au sujet de sa propre identité de genre n’aurait rien à voir avec la masculinité, la féminité ou son sexe, puisqu’à leurs yeux une femme féminine peut se revendiquer homme ou non-binaire (ni une femme, ni un homme, ou parfois les deux) et qu’un homme masculin n’ayant en rien changé son apparence peut s’identifier comme une femme.
De plus, les hommes s’identifiant comme femmes auraient toujours été des femmes, même avant de s’identifier comme tels et sans la moindre once de féminité préalable à une éventuelle transition. L’identité de genre serait impossible à changer. Elle peut, par contre, être changeante, puisque certaines personnes s’identifient comme « genderfluid » ou revendiquent successivement diverses identités de genre – qui doivent toutes être considérées comme vraies et ne jamais faire l’objet de remises en question15 . Cette définition de l’identité de genre repose donc sur le principe suivant : « je suis ce que je prétends être ».

« L’identité de genre se définit généralement comme la façon dont nous nous percevons. »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Chaque personne a une identité de genre ; elle correspond à ce que profondément, on se ressent être, entre fille/femme, homme/garçon, quelque part « entre les deux » ou au-delà […]. Il s’agit donc d’un ressenti, et aussi d’une image mentale de soi. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de botre enfant sur le genreE

« Identité de genre : Expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun·e, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance. »

C’est quoi mon genre ?F

« Identité de genre : Conviction intime d’appartenir à un genre donné : homme, femme, transgenre ou tout autre terme identifiant (genderqueer, non-binaire ou agenre ou agender). Peut correspondre ou non au sexe attribué à la naissance. »

C’est quoi la différence entre genre et sexe ? 70 questions d’ados sur l’identitéG

« Identité de genre : Compréhension et expérience intimes que nous avons de notre genre, et la manière dont on le définit. »

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH
Comme vous pouvez le constater par vous-mêmes, ces cinq définitions ne parlent que de « ressenti », de « conviction », de « compréhension intime », sous une forme ou une autre. À ce stade, on pourrait tout aussi bien utiliser le terme croyance. Mais il n’y a pas que ces livres qui adhèrent à cette (absence de) définition ; c’est le cas de tous, sans exception. Certains sont juste un peu moins transparents que d’autres à ce sujet, car, il faut l’admettre, la pilule est un peu grosse à faire passer.
III/Stéréotypes sexistes et enfumage intellectuel
Il faudrait donc, selon cette dernière définition, croire sur parole et sans aucune remise en question la déclaration d’identité de genre d’un·e enfant de trois ans, d’une jeune personne souffrant de troubles psychiatriques sévères ou encore d’un pédocriminel condamné et en détention ? Il faudrait donc croire en une identité qui ne se base sur rien de matériel et peut se définir d’autant de façons qu’il y a de personnes revendiquant la même étiquette ?
Pour réussir à convaincre, l’argumentation se doit donc d’être un peu plus étayée. Néanmoins, fournir une définition précise et fonctionnelle excluerait forcément certains hommes s’identifiant comme femmes (ou tout autre configuration) puisqu’il y en aura toujours qui ne se reconnaîtront pas dans une définition basée sur des critères précis, alors même que le but de ces définitions circulaires16 est de n’invalider aucune identité auto-proclammée. Toutes les personnes définissant l’identité de genre comme « le genre auquel une personne s’identifie17 » a donc nécessairement recours à un enfumage intellectuel plus ou moins réussi. Quel que soit le discours adopté, la finalité est et doit être toujours la même : pouvoir affirmer sans ciller que « les femmes trans sont des femmes », « les hommes trans sont des hommes », « les personnes non-binaires sont non-binaires » et ainsi de suite.
1. Le recours à la notion féministe de genre
En évoquant la notion féministe du genre, vieille de plus de 50 ans, les autrices et auteurs de ces livres apportent une caution intellectuelle et égalitaire au concept d’identité de genre. Une certaine insistance sur la complexité de cette notion permet aussi de masquer le néant matériel et conceptuel de leur définition.

« Comme [Margaret] Mead, [Simone de] Beauvoir et [Judith] Butler nous l’ont expliqué, à la différence du sexe, le genre n’est pas anatomique mais social. Ce sont les membres de la société (vous et nous) qui le construisons et le font évoluer. […] Le genre se négocie aussi au niveau individuel. […] Plus que social, le genre est aussi psychologique. »

Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC

« Le genre est une notion complexe, qui comprend plusieurs dimensions, dont l’identité de genre, les rôles et les expressions de genre. Le genre est aussi une construction sociale et englobe les attentes socialement construites qui désignent des rôles, des identités et des comportements particuliers comme étant appropriés soit pour les femmes, soit pour les hommes..»

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH

« Pour résumer, le genre est hétérogène plutôt que binaire – à tous les niveaux : biologique, psychologique et social. […] Nous aimons utiliser le terme « biopsychosocial » pour illustrer le fait que, chez tout individu, l’expérience du genre associe de manière complexe des aspects biologiques, psychologiques et sociaux. »

C’est pas mon genre ! Les clés pour répondre aux questions de botre enfant sur le genreE
Comme vous pouvez le constater au travers de ces brefs extraits, le genre est présenté comme une chose complexe, ancrée dans nos sociétés, et qui peut s’exemplifier de façon concrète (vêtements, rôles sociaux, traits de caractères, etc.). Néanmoins, on retombe toujours sur le « ressenti intérieur » comme seul critère valable pour déterminer l’identité de genre d’une personne. Vous pouvez le constater grâce aux deux définitions déjà citées (2 et 5) et celles ci-dessous, portant sur les personnes transgenres et non l’identité de genre.

« Transgenre : personne qui ne se reconnaît pas dans le genre associé à son sexe biologique. On peut avoir un pénis tout en ayant le sentiment profond d’être une femme (femme trans). Ou avoir un vagin et se sentir homme (homme trans). »

Je suis qui ? Je suis quoi ?A

« Transgenre ou « trans » : personne dont l’identité de genre – son expérience intime et personnelle du genre – ne coïncide pas avec le sexe biologique qui lui a été assigné à la naissance. »

Le Genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·esC
Un seul livre a le mérite d’être plus subtil et de ne jamais explicitement formuler une définition intégrant cette notion de ressenti, Une histoire de genres. La définition qui y est donnée de l’identité de genre, nous l’avons déjà citée :

« Identité de genre : L’identité de genre (on peut aussi juste parler “du genre” d’une personne) est le facteur sociologique d’appartenance à un genre ou plus, qui forme les ensembles humains composant une société. L’identité de genre est majoritairement fondée sur des données biologiques à la naissance, considérées comme inhérentes et objectives. S’ajoutent des facteurs liés à la culture et transmis par l’éducation qui font de ce genre perçu comme biologique une vérité sociale qui conditionne l’intégration d’un individu. »

Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Néanmoins, l’auteur nie catégoriquement que c’est la société qui classifie les personnes, ce que laisse pourtant entendre cette définition. Il affirme que « les transitions sociales et médicales amènent des changements, mais qui relèvent de la perception physique du genre, d’une lecture sociale et non de l’identité fondamentale ». Il y a donc bien une identité qui n’est pas le fait d’une catégorisation sociale par une culture (la « lecture sociale ») mais provient directement de la perception de la personne elle-même de ce qu’elle est. D’ailleurs, le masque tombe un peu plus loin :

« En définitive, une personne trans se sent effectivement d’un genre donné, parce qu’elle est dudit genre, et c’est cela qu’il vaut mieux verbaliser : un homme trans est un homme. »

Une histoire de genres – guide pour comprendre et défendre les transidentitésD
Autrement dit, nous sommes ce que nous disons être, et nous le disons parce que c’est ce que nous sommes. On peut difficilement faire raisonnement plus circulaire que ça.
2. Les inévitables stéréotypes
Toute cette théorisation, c’est bien beau, mais on passe à côté de quelque chose de fondamental. En réalité, pourquoi une personne ressentirait appartenir à la catégorie de l’autre sexe ou, tout du moins, ne pas appartenir à la catégorie de son propre sexe ? La réponse est simple, elle était là tout du long : le genre, dans son sens féministe initial. Il y a un certain nombre d’attentes et de représentations sociales associées au fait d’être un homme ou une femme. Une personne qui ne correspondrait pas à ces attentes risque fortement de se sentir en décalage par rapport aux filles et garçons, aux femmes et aux hommes qui l’entourent et qui semblent s’y conformer.
Un petit garçon qui veut porter des robes, faire des jeux de rôles avec les filles et imiter sa maman à la maison, sera automatiquement perçu comme féminin. De là à se dire qu’il n’est pas un garçon, il n’y a qu’un pas que certain·es franchissent. Bien sûr, cela relève du sexisme : il y aurait de « vraies femmes », celles d’entre nous qui sont féminines comme il faut, et de « vrais hommes », bien masculins, voire même virils. Cependant, pour les autrices et auteurs cité·es, impossible d’admettre que « l’identité de genre » puisse être le résultat d’une vision profondément sexiste et normative de la société, puisqu’iels se revendiquent féministes. Mais quand on lit les récits personnels, plus concrets, des personnes ayant transitionné, c’est malheureusement bien ce que l’on constate.

« Petit, j’ai toujours senti que je n’étais pas comme les autres filles de mon âge […]. Je traînais avec des garçons, je jouais au foot avec eux, je portais des joggings, des pulls larges et des baskets. En grandissant, j’ai essayé d’être plus féminin mais vers 15 ans j’ai compris que ce n’était pas possible, alors j’ai recommencé à m’habiller au rayon hommes et je me suis coupé court les cheveux. Un an après, j’ai compris que j’étais un homme transgenre. »

Je suis qui ? Je suis quoi ?A

« Sur le plan du genre, je suis une personne non-binaire – ou genderqueer – âgée d’une petite quarantaine d’année. Pour moi, cela signifie que je me situe quelque part au milieu du spectre entre masculin et féminin, et que certains aspects de ma personnalité sont plus « masculins », « féminins » ou « androgynes ». »

Unique en mon genre – explorer les identités trans et non-binairesB

« Quand j’étais enfant, je ne me posais pas la question de si je me sentais fille ou garçon. Puis au collège, j’ai eu l’impression que tout à coup, on me considérait complètement autrement18 . J’ai compris quelle place19 j’avais aux yeux des autres, et ça ne m’allait pas. Toujours en 4e, je me suis coupé les cheveux, et dans le métro on m’a dit « monsieur » et « jeune homme ». Et là, je me suis senti mieux, j’ai eu le sentiment d’être bien. »

C’est quoi mon genre ?F

« Au théâtre, je pouvais échapper à mon sexe – et tout ce qu’il impliquait de bonne conduite hétérosexuelle – pour devenir Van Helsing, Aladdin ou le narrateur non identifié. Sur scène, peu importait si j’échouais à performer la féminité blanche, car ma voix grave, ma présence et mes manières masculines y étaient des atouts. Sur scène, je pouvais tomber amoureux·se de Jasmine et le public m’applaudissait. »

Queer et fières – un guide pour explorer son identitéH
Ces témoignages sont issus des seuls huits livres étudiés. On en trouve des milliers d’autres sur toutes les plateformes (articles, podcasts, chaînes youtubes, etc.) qui donnent la parole aux personnes trans. Nous vous invitons à les lire20.
Après toutes ces belles paroles, ces définitions inaptes et ces témoignages précieux, nous voulons achever cet article par deux dernières citations illustrant parfaitement l’absurdité du genre selon le transactivisme : « il y a autant de genres que d’individus » (3) et « notre genre s’apparente à un flocon de neige : aucun n’est identique à un autre » (2). Des définitions bien plus utiles que celles basées sur le sexe des individu·es, surtout quand il s’agit, pour nous féministes, de dénoncer la domination d’un sexe sur l’autre, non ?
Ronces & Racines.
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Le constat : de l’injustice en ce bas monde

Le monde est beau, était beau avant qu’on ne le ravage. La vie est savoureuse – pourtant, on constate des horreurs « civilisées » quotidiennes, comme des génocides, des morts liées aux bouleversements climatiques, le massacre industriel de milliard d’animaux ayant vécu des vies dénuées de tout sens. On constate des injustices énormes dans le rapport à ces malheurs : les un·es souffrent, tandis que les autres profitent à leurs dépens, de façon stérile et superficielle.

Or, il s’avère que « les un·es » et « les autres » ne sont pas des catégories abstraites, gratuites : ce sont des groupes qui existent matériellement, qui sont distincts les uns des autres selon des critères définis, et dont l’un a imposé sa position dominante sur l’autre : la domination existe bel et bien, elle n’est pas purement théorique.
Ainsi, les hommes oppriment, tuent, violent les femmes ; les Blanc·hes occidentaux profitent d’un système institutionnel (État, Justice, Police/Répression…) fondé sur le racisme ; les colons exploitent et déciment les colonisé·es ; les humains « civilisés » font un carnage des autres animaux et du vivant en général, etc.
Ces dichotomies sont parfois fondées sur des distinctions réelles, qui permettent une catégorisation scientifique, mutuellement exclusive, des groupes d’individus. C’est le cas entre les femmes et les hommes (on ne peut pas être un peu mâle, un peu femelle, ou les deux à la fois), les humains et les autres animaux (on ne peut être à la fois humain et non-humain). Mais parfois pas : les colons, par exemple, ne se distinguent pas des colonisé·es par des caractéristiques absolues mais par le système colonial qu’ils imposent, de même que le concept de « race » est biologiquement inopérant chez les humains : il s’agit d’un système social imposé artificiellement (même s’il repose sur des différences physiques observables) et non exclusif (on peut être à la fois noir et asiatique et blanc, contrairement au sexe les mélanges sont possibles).
Dans l’oppression, la binarité ou la catégorisation factuelle se transforme en hiérarchisation qui, elle, est toujours sociale et parfaitement arbitraire. Comme si l’on disait que, parce que le bleu est différent du rouge, il lui était intrinsèquement supérieur, on décrète que celui à la peau claire vaut plus que celui à la peau sombre ; que l’être capable de produire des ovules est de fait inférieur à celui qui produit du sperme.
C’est complètement débile, évidemment. Alors, pour asseoir son autorité, le groupe dominant va enrober de mythes gluants la hiérarchisation qu’il opère. Ainsi, la « civilisation », Grandiose Œuvre du Développement et du Progrès humain, est vernie de valeurs estimées supérieures, décorée de croyances — profondément ancrées — en sa supériorité sur la nature décrite, elle, comme « primitive » et « vulgaire ». L’homme Viril, dépeint comme rationnel, intelligent, fort et cool, est désigné comme supérieur à la femme, cette chose fragile et hystérique, méprisable et superficielle : cette dichotomie s’appelle le genre, système de stéréotypes censé justifier la domination patriarcale.
Bref, la vie est belle, ou pourrait l’être sans ces saletés de hiérarchies créées par le pouvoir et le légitimant en retour. Personne ne vaut plus ou moins qu’autrui, personne ne mérite une vie moins digne qu’autrui. Nous savons que personne n’est libre si nous ne sommes pas toutes et tous libres : tant que ces injustices persistent, il va falloir se battre contre.
La définition du problème, sa circonscription
Or, pour se battre réellement, pour résoudre une situation d’injustice, il nous faut d’abord clairement la définir, la comprendre, pour penser ensuite les stratégies qui nous seront les plus utiles.
En effet, si nous ne comprenons pas que c’est tel chardon, et non tel trèfle, qui étouffe notre potager, nous aurons beau jeu de lutter dans le vent et de s’acharner contre la mauvaise plante. La première étape est donc la définition simple et claire, honnête et totale du problème. Or, n’en déplaise aux adeptes du culte de l’inclusion, définir c’est délimiter, c’est-à-dire, exclure. Une définition précise ne peut sémantiquement pas intégrer une chose et son contraire. Pour définir, il nous faut des critères. Ceux-ci doivent êtres quantifiables, qualifiables, observables. Ce qu’on va définir, ce sont d’abord les protagonistes de la situation d’inégalité : qui opprime, qui est opprimé ?
Une fois qu’on a défini les groupes auteurs et victimes de ces hiérarchies, le groupe opprimé pourra se reconnaître comme tel, développer une « conscience de classe », et lutter en tant que communauté contre le groupe reconnu comme oppresseur.
Prenons l’exemple du patriarcat, mode d’organisation sociale, politique et économique fondé sur le sexisme, c’est-à-dire sur la hiérarchisation entre les sexes (mais ce principe marche pour toutes les oppressions).
Chez les mammifères, on peut distinguer deux groupes d’individus en fonction de leur rôle dans la reproduction : les femelles sont les individus normalement capables de produire des grands gamètes et d’accueillir la vie dans leur ventre, tandis que les mâles ne savent produire que des petits gamètes. En fonction des espèces, on attribue différents noms aux individus en fonction de leur sexe : la biche et le cerf, la lapine et le lapin, et, tenez-vous bien, la femme et l’homme – car, je vous le donne en mille, notre espèce, si prétentieuse qu’elle soit souvent, ne se distingue pas, sur le plan de la reproduction, des autres mammifères.
Ici, le problème n’est pas cette différence naturelle, non, le problème est la hiérarchisation sociale qui en résulte : pourquoi diable le groupe qui produit les petits gamètes tourmente le second ?
Eh bien, du fait de son sexe, justement : les hommes veulent le contrôle du corps des femmes, de leur fécondité, de leur faculté de reproduire dans leur propre corps les membres de la société humaine.
Pour ça, on institue un outil fort pratique déjà évoqué plus haut, le genre, qui correspond à l’ensemble des stéréotypes affublés aux individus en fonction de leur sexe. C’est-à-dire le mythe à mille facettes qui va tenter de justifier la suprématie des Zhôms sur les Fâmes (je l’écris exprès comme ça, pour montrer que les Fâaames comme on l’entend dans la culture depuis l’enfance, ce n’est pas la même chose que les femmes, simplement adultes humaines femelles, pareil pour les Zhôms).
Selon les cultures, ce mythe va prendre des colorations différentes, mais sa finalité sera toujours la même : le pouvoir social des individus à appendice longitudinal sur les femmes.
Bref : le problème n’est pas la différence entre les hommes et les femmes, mais la hiérarchisation entre les zhôms et les fââmes.
La nécessaire radicalité
On a donc réussi à définir le problème : la hiérarchisation entre des groupes sociaux, quels qu’ils soient. Il s’agit maintenant de proposer des modes d’action pour y remédier.
Nous parlons de problèmes graves, sérieux : des choses qu’on veut abolir, éradiquer, résoudre définitivement. Quand on fait face à un génocide, on ne veut pas « adoucir le génocide » en légiférant pour en interdire les pires « dérives ». Non : on veut qu’il cesse pour toujours. Idem pour la prostitution, l’esclavage, toutes ces horreurs dans lesquelles des millions d’individus sont torturés, violées, méprisés – tuées.
Quand la nature est dévastée, on ne peut souhaiter s’accommoder de cette dévastation en remplaçant les pailles en plastique par des pailles green en bambou green : on veut y mettre un terme. On veut que pas une seule espèce animale de plus ne s’éteigne, que pas un seul kangourou supplémentaire ne meure dans un incendie causé par l’humain, que pas un seul hérisson ne soit encore sauvagement écrabouillé par les roues d’un SUV.
Quand les femmes ont toutes subi des agressions sexuelles à différents degrés ; quand plus de cent mille femmes sont tuées chaque année dans le monde parce que femelles ; quand le viol est employé comme arme de guerre, et quand les mutilations génitales féminines – mutilations des organes génitaux, biologiques, pas du genre, donc – sont encore pratiquées par millions sur la planète, on veut mettre un terme définitif à l’impunité, à l’ultraviolence et à la prétention cruelle des hommes. On ne veut pas que les femmes aient « un peu moins peur » dans la rue ou dans leur foyer, qu’elles se fassent « un peu moins défoncer la gueule » par leur conjoint, « un peu moins violer » dans le porno. On veut détruire le système qui permet cette violence ubiquitaire des hommes sur les femmes.
Ça, c’est la r a d i c a l i t é. C’est-à-dire, étymologiquement, littéralement : « prendre le problème à la racine », pour qu’il ne repousse pas sur une souche mal abolie. ON NE VEUT PAS repeindre notre cage en doré, en rose poudré ou en verdâtre, mais bien démanteler la cage, barreau par barreau et aussi longtemps qu’elle tiendra debout.
La radicalité est, par essence, incompatible avec le réformisme (pratique qui consiste à introduire des réformes politiques en restant dans le cadre institutionnel existant, celui-là même qui participe au maintien des oppressions qu’on combat). On ne peut à la fois aménager notre cage avec des petits coussins douillets, et s’activer à la détruire.
On ne peut lutter contre l’industrie ET prôner une industrie capitaliste et durable. C’est un oxymore.
On ne peut pas lutter pour l’émancipation totale, absolue, sans condition, des femmes, pour leur libération en tant que classe de sexe, ET prôner le renforcement de l’outil de notre oppression, le genre, notamment en en faisant une « identité ».
On ne peut lutter contre l’exploitation sexuelle tout en prétendant s’empouvoirer en s’autosexualisant pour le plaisir de ceux qui nous oppriment. De toute façon, on ne peut pas prétendre qu’un truc que les zhôms attendent de nous puisse être féministe ou libérateur.
Ami·es libérales, ne voyez-vous pas la contradiction criante de votre idéologie ? Ne percevez-vous pas le manque d’ambition, d’intégrité, d’honnêteté du libéralisme – qui en réalité confine à l’individualisme triste, qui en réalité ne profite qu’à quelques individus privilégiés à l’échelle du monde, sans remettre en question les fondements de toutes les oppressions que vous pensez combattre ?
Si vous avez réellement soif de justice, ne voyez-vous pas l’importance d’une cohérence radicale et d’une intégrité véritable ? Sans rien concéder à la facilité et au confort(misme), à la paresse intellectuelle ?
Ne comprenez-vous pas que ce positionnement radical résulte d’un besoin profond d’équité, d’amour de la liberté (la vraie, commune, pour toutes et tous, pas que pour quelques Occidentaux privilégiés) et de la justice – et non pas de la haine que vous vous exténuez à projeter sur nous ?
Ne percevez-vous pas que la position réformiste des libéraux en tout genre ne servira jamais la libération totale, générale, de tous les groupes opprimés, puisqu’elle ne prend en compte que les intérêts de riches et d’Occidentaux déjà privilégiés : c’est le cas des « écolos » du vendredi, qui vantent les bienfaits des voitures électriques et de l’internet collaboratif (qui reposent sûrement sur un extractivisme vert, éthique et sur une destruction raisonnée des océans, hein), bref, qui pensent que si la destruction coloniale est trop lointaine pour être directement visible, elle en devient tolérable.
C’est le cas des queers, qui n’aspirent qu’à « subvertir » le système oppressif, donc pas à le briser. En préférant transitionner d’une case à une autre (cases de genre, donc de clichés néfastes, puisque le sexe, faut-il le redire, ne peut être modifié), non seulement ne remettent pas en cause le patriarcat, mais en plus retirent aux femmes les mots mêmes de leur lutte, les mots qui leur servent à se nommer et à nommer leurs oppresseurs. Le tout, avec le soutien évident et mielleux de l’immense industrie chirurgicale, esthétique et pharmaceutique – qui, comme sa comparse l’industrie pornographique, est constituée d’extrêmes gauchos, n’est-ce pas.
C’est le cas, encore, des trotskystes-léninistes, qui veulent que les ouvriers se réapproprient les outils de la production, sans remettre en cause le moins du monde l’existence même de cette production de masse, de ses machines et industries destructrices, polluantes et funestes.
Voilà, avec ce petit texte évidemment j’ai l’impression de réinventer l’eau tiède, mais parfois, probablement, les choses basiques sont bonnes à être rappelées. La radicalité est indispensable si l’on souhaite faire quelque chose de concret contre les injustices du monde. Je ne sais pas comment mettre en place cette radicalité dans tous les domaines, car c’est quelque chose que nous devons discuter ensemble, en commun. Personne n’est capable de nous donner toutes les réponses. Mais ce qui est sûr, c’est que l’action doit commencer par une réflexion honnête : il s’agit de ne pas se voiler la face, ne pas se mentir à soi-même, ne pas se satisfaire de mensonges duveteux et de (non)solutions simplistes. De ces fausses solutions qui nous permettraient par exemple, à nous, gens de gauche et anarchistes occidentales, de continuer à mener nos modes de vie confortables sans rien changer, avec la conscience plus ou moins tranquille (au prix d’une importante dissonance cognitive, toutefois).
La radicalité n’est ni extrémisme, ni amertume, ni cynisme : elle est simplement la soif de justice, de dignité et de beauté pour toutes et pour chacun.

Anir.

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Plusieurs sondages indiquent que les femmes se revendiquent davantage féministes, au fil de l’âge et au passage des générations1. Seulement, cette revendication ne semble pas s’accompagner d’un fort engagement militant de leur part. Si la plupart des femmes reconnaissent la domination des hommes sur les femmes et le traitement inégalitaire qu’elles subissent2, elles restent minoritaires lorsqu’il s’agit de participer à des actions ou d’en être à l’initiative. Quelles sont les raisons de cette absence d’engagement ? Pourquoi n’y a t‑il pas encore eu une révolution féministe d’ampleur ? Plusieurs réponses existent. Je laisserai de côté deux d’entre elles — la sensibilisation de certaines femmes à la misogynie et les femmes qui choisissent délibérément de rejeter le féminisme — pour me concentrer sur la question des conditions matérielles. Il s’agira de comprendre ce qui empêche des femmes convaincues du besoin de lutter contre les violences patriarcales, de se mobiliser, et de participer à leur propre libération.

Les femmes n’ont pas d’espaces où se rejoindre et s’organiser

Ce fait matériel rejoint mon précédent article dans lequel nous abordions le manque d’espaces dédiés à la mémoire des femmes. Nous constations alors la difficulté pour les femmes de se construire en tant que groupe. Un groupe qui ne peut se penser, ne peut lutter. La communauté que forment les femmes doit dépasser l’état de conception abstraite et se manifester dans des lieux qui leur sont consacrés, où celles-ci peuvent échanger, se lier, penser leur libération. Les femmes, noyées dans leur quotidien, sont obligées de côtoyer les hommes et de composer avec eux. Les lieux de la vie ordinaire où les femmes peuvent se rencontrer sans être séparées parmi leurs oppresseurs sont rares. Les quelques espaces féministes non-mixtes proposés aujourd’hui semblent davantage dédiés à la discussion qu’à l’action. Ces lieux doivent désormais être pensés de façon systématique, avec une ambition féministe plus large. Si dans le cadre social, les occasions et les possibilités de se réunir pour agir sont plus nombreuses, cela semble bien moins évident dans le cadre féministe. Il est peut-être plus aisé de percevoir le caractère commun des difficultés matérielles et politiques dues à son milieu social, que celui des problèmes que noues rencontrons en tant que femmes, souvent pensés comme relevant du cas individuel. En effet, on compte bien moins de grèves féministes (qui sont par ailleurs définies de façon annuelle), que de grèves des travailleur·ses. Ne pouvons-nous pas supposer que la création de syndicats féminins serait bénéfique au féminisme ? De tels groupes permettraient de (ré)agir aux difficultés que les individues rencontrent en tant que membres de la classe femme au quotidien, et d’organiser des actions, des grèves sur un temps continu, et non ponctuel. L’existence même de pareils syndicats permettrait de rendre manifeste la réalité systémique de ces difficultés.

Famille, charge mentale, et relation avec les hommes
Il s’agit peut-être du point majeur de cet article. Imaginons que des espaces dédiés à la libération des femmes se soient installés de façon pérenne, la plupart d’entre elles seraient toutefois en incapacité d’agir. Comme la plupart des individu·es, elles travaillent. De plus, nous le savons, leur charge mentale et émotionnelle est supérieure à celle des hommes. Les travaux féministes l’évoquent depuis longtemps, notamment ceux de la deuxième vague, et la situation s’améliore encore trop lentement. Des pressions, de toutes parts, les submergent : être une bonne mère, impliquée dans son travail, dévouée auprès de ses ami·es. Pour beaucoup, leur vie est tournée vers autrui, au point de parfois faire passer les intérêts des autres pour les leurs. L’esprit des femmes est colonisé par des besoins qui leur sont extérieurs. Selon l’Ipsos, la charge mentale en France concerne 8 femmes sur 10 (2018)3. Au travail, ce sont elles qui font « le travail invisible » : nettoyer, sortir les poubelles, organiser les pots, etc4. Dans le couple, la gestion des tâches est assurée en majorité par les femmes, qu’elles soient ménagères ou financières.
Le patriarcat semble avoir conçu la prison la plus puissante pour enliser les femmes dans leur assujettissement. Cette prison à barreaux humains porte le nom de famille. La force de cette enclave réside en ce qu’elle est faite de liens affectifs. On estime que 31 % des mères n’occupent pas un emploi à temps plein du fait des enfants (c’est le cas de 5 % des pères seulement)5. Nous pouvons alors nous interroger sur la possibilité pour les femmes de contribuer au féminisme, lorsque nombre d’entre elles ne sont même plus en mesure d’avoir un emploi. Lorsque c’est le cas, elles vivent l’enfer de la double journée. Elles portent la responsabilité du bien-être commun et du maintien des liens inter-familiaux. Lorsque les femmes ont enfin du temps libre, elles sentent le devoir de le dédier à leurs proches ou à leur couple. La culpabilité émotionnelle, si elle n’est jamais justifiée, est une arme redoutable contre elles. Sûrement, les moments passés auprès des êtres aimés leur offrent-ils une joie sincère, mais cela serait une offense à l’amour que de penser qu’il exige un sacrifice aussi cruel. L’Autre, ne participe pas à son épanouissement, il en est le centre. La culture, l’apprentissage, le voyage, l’art, ne représentent plus que des choses secondaires de l’existence, dès lors que les femmes deviennent d’abord des mères et des épouses. On dira souvent qu’elles sont heureuses. Cependant, « il est toujours facile de déclarer heureuse la situation qu’on veut lui imposer : ceux qu’on condamne à la stagnation en particulier, on les déclare heureux sous prétexte que le bonheur est immobilité. » (Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir). Fonder un bonheur supposé sur une situation injuste, est la stratégie la plus tenace des hommes. Un faux dilemme leur a été imposé entre la joie des relations humaines et la liberté.
Emma Goldman disait très justement, dans un texte présent au sein du recueil De la liberté des femmes : « Leur épanouissement, leur liberté, leur indépendance doivent venir d’elles et grâce à elles. D’abord en s’affirmant comme des personnes […] ; en rendant leur vie plus simple, mais plus dense et plus riche. C’est-à-dire en essayant d’apprendre ce qui fait le sens et la substance de la vie dans toute sa complexité et puis en se libérant de la peur des opinions des autres et de la réprobation publique. C’est seulement cela, […] qui libérera les femmes, qui révélera en elles une force jusqu’ici inconnue du monde, une force d’amour véritable, de paix, d’harmonie ; la force d’un feu divin, de la vie qui se donne, créatrice d’hommes et de femmes libres. »
Les relations affectives qu’elles entretiennent avec les hommes, rendent parfois difficile de les percevoir comme autres, encore moins comme de potentiels agresseurs. Dans les autres luttes contre l’oppression, il n’y a pas de pareil lien entre un oppresseur et la personne opprimée. Les hommes établissent les femmes comme autres, alors que ces dernières ont toujours appris à les considérer, non seulement comme leurs semblables, mais comme partie intégrante de leur existence. Même dans le féminisme, nombre d’entre elles s’inquiètent que les hommes trouvent leur place.
C’est dans le cadre d’une vie où les femmes ne deviennent plus que des supports sur lesquels les hommes peuvent déposer leurs soucis émotionnels et tâches aliénantes, que leur esprit ne trouve plus d’espace pour penser leur liberté… pour penser tout court. Prises dans la toile des petites choses du quotidien, elles apprennent à s’oublier. Leurs besoins sont étouffés sous celui des autres. Lorsqu’elles pensent enfin à elles-mêmes, ce n’est que pour se reposer de leur dur labeur. Et même cela leur est rendu coupable. Un temps considérable est par là même offert aux hommes pour asseoir leurs privilèges, pour relationner et protéger leurs acquis. Ils ont ce qui permet à tout individu·e de vivre en tant qu’être humain : du temps libre. La libération nécessite du temps, les femmes en sont privées.
Féminisme, le besoin prioritaire ?
Les femmes connaissent souvent d’autres oppressions en fonction de leur classe, « race », orientation sexuelle… Il apparaît que le féminisme représente parfois une lutte moins évidente pour elles. Être une femme, c’est être l’Autre de façon absolue, comme le disait, une fois encore, Simone de Beauvoir. À tel point qu’il est difficile de déceler que certaines violences ne relèvent pas d’un ordre universel et nécessaire, mais du patriarcat, qu’elles ne sont pas inévitables mais contingentes. L’écrivaine relevait également : « Elles vivent dispersées parmi les hommes, rattachées par l’habitat, le travail, les intérêts économiques, la condition sociale à certains hommes – père ou mari – plus étroitement qu’aux autres femmes. Bourgeoises, elles sont solidaires des bourgeois et non des femmes prolétaires ; blanches, des hommes blancs et non des femmes noires. » La femme prolétaire, se confronte chaque jour aux difficultés matérielles, relatives à sa survie. Les liens qu’elle partage avec les autres membres de sa classe, se manifestent de façon plus évidente et quotidienne que les liens partagés avec les femmes d’autres milieux. Ainsi sera-t-elle souvent plus sensible au fait de s’allier avec d’autres hommes dans la lutte des classes. C’est aussi la raison pour laquelle une femme d’une classe sociale élevée, qui n’effectue pas un travail éprouvant et précaire (ou même n’ayant pas à travailler), éclairée sur la violence masculine, sera davantage susceptible, de pouvoir contribuer au féminisme. La domination masculine a cette particularité de s’exercer de la façon la plus dispersée qu’il soit, jusqu’à s’insérer dans le cadre intime et familial. Seul un œil averti permet de la démasquer. Toutes les femmes du monde ne sont pas confrontées à la même réalité. Nous pouvons comprendre que les femmes palestiniennes, par exemple, considèrent comme une priorité la lutte contre le racisme et la colonisation qui menacent leur vie au quotidien, les obligeant à reléguer la lutte féministe au second plan. Ces diverses violences, qui se superposent à la misogynie, doivent être considérées. Nous pourrions dans l’idéal garder à l’esprit toutes ces différences, sans oublier les intérêts précieux que nous avons à nous lier entre femmes, et que cette union est nécessaire à la fin du patriarcat. La conscience des difficultés de chacune est la première étape d’une entraide qui permettra aux femmes les plus violentées de rejoindre les autres ronces et de faire front.
Un exemple à suivre : grève féministe espagnole de 2018 ou le rôle des hommes
La grève féministe menée le 8 mars 2018 en Espagne (Huelga feminista de 2018 en espagnol) est un exemple exceptionnel de ce qu’il peut se produire lorsque les femmes sont libérées des contraintes qui les empêchent de s’unir et de protester. Elle permettra d’aborder un point que nous n’avons pas encore soulevé : le rôle des hommes. Ce mouvement qui a rassemblé plus de 5,3 millions de personnes à travers le territoire espagnol, contre les discriminations et violences subies par les femmes, a provoqué d’énormes répercussions dans le fonctionnement du pays. Pendant une journée, elles ont été des millions à ne pas se rendre au travail (y compris les femmes travaillant dans le care), à ne plus consommer, à refuser de s’occuper des tâches domestiques, des enfants ou encore des personnes âgées. Si cette mobilisation a pu avoir lieu, c’est parce qu’un certain nombre d’hommes ont pris leur responsabilité, en assumant la part de travail qui leur revient depuis longtemps. Peut-être serait-il intéressant d’aborder dans un autre article le rôle des hommes… dans l’éducation féministe des autres hommes. Pour l’heure, j’aimerais émettre l’idée que les hommes ne doivent pas se contenter de respecter une juste égalité des tâches avec les femmes de leur entourage et de ne pas faire reposer l’entièreté de leurs fardeaux sur elles. Il est de leur devoir en plus de cela, de se dévouer pour offrir du temps supplémentaire, et de façon hebdomadaire, pour qu’elles puissent participer à l’effort féministe commun. La vraie culpabilité émotionnelle ne revient pas aux femmes qui consacrent leur temps à la lutte, mais aux hommes qui prétendent les aimer, tout en tuant le temps qui leur permettrait de se libérer. Là, se trouve leur véritable égoïsme. Certains sont encore incapables de voir que l’amour d’un être libéré est plus gratifiant que celui d’un être qui nous est enchaîné (si encore nous pouvons appeler cela « amour »). J’irai plus loin en affirmant que ce temps devrait être un droit protégé pour toutes les femmes, si les hommes échouent, comme souvent, à faire preuve de conscience.
Penser la lutte au quotidien
J’aimerais conclure en repensant la notion de militantisme. Peut-être l’image de la militante est-elle encore attachée à cette femme qui, poing levé, mène des actions dans la rue et se confronte au monde avec détermination. Elle est militante en effet, mais elle n’est pas la militante. Militer est aussi un continuum de (ré)actions qui s’étend à l’échelle d’une vie. J’invite toutes les femmes qui en ont les moyens à participer de la façon qu’elles le souhaitent au féminisme. La sensibilisation scolaire, la prévention auprès d’autres femmes, l’alphabétisation, les collages, la théorisation, l’engagement associatif, rien n’est vain, tout a sa valeur. Dès lors qu’une femme entre en action, c’est une victoire contre l’asservissement de toutes qui a lieu. J’invite à nous unir, à épauler celles qui sont davantage en difficulté, à se mobiliser par tous les moyens pour qu’elles puissent nous rejoindre. Longue vie à la belle lutte des femme.

Assia.

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Illustration "Aimer nos corps de femmes"
Par où tout a commencé : puberté et misogynie

Jai eu la chance d’avoir une enfance heureuse, une famille aimante, une grande sœur qui prenait soin de moi, un petit frère adorable, et deux meilleures amies. Je n’avais aucun problème avec le fait d’être une petite fille à l’époque. En fait, je n’y pensais même pas. Les choses ont commencé à changer avec la puberté. Avez-vous vu le film Carrie au bal du diable ? La scène des règles ? Je pense que toutes les femmes qui ont paniqué lors de leurs premières règles se reconnaissent un peu dans cette scène. J’étais chez moi, heureusement. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. J’ai appelé ma mère à l’aide, avec une telle panique dans la voix que mon petit frère, pourtant cinq ans plus jeune, s’en souvient encore aujourd’hui. Le soulagement d’apprendre que c’était une chose tout à fait normale n’a pas duré. Certes, je n’étais ni malade ni blessée, mais j’allais me retrouver confrontée à cette situation tous les mois, pendant des décennies. Je n’étais pas exactement enthousiasmée par cette perspective.

S’il n’y avait que le sang, passe encore, mais j’ai eu la malchance de cumuler les difficultés : syndrome prémenstruel difficile, règles hémorragiques et irrégulières, douleurs multiples, sautes d’humeur… Pour couronner le tout, ma mère et ma sœur aînée n’ont jamais connu de pareilles difficultés et ne m’ont donc été d’aucune aide. Ma mère n’avait manifestement pas connaissance de l’existence d’un syndrome prémenstruel – elle ne m’en a en tout cas jamais parlé. Je n’ai compris ce qui m’arrivait que des années plus tard, grâce à ma belle-mère qui en souffrait elle-aussi. Je n’avais jusqu’alors jamais fait le lien entre mes micro-dépressions mensuelles accompagnées de douleurs, et mes menstruations.
Toute mon adolescence et plus tard encore, mes règles ont été une immense source d’angoisse et de honte. Je les percevais comme un fléau inéluctable contre lequel j’étais impuissante. Je me suis alors mise à désirer être née garçon. Chaque mois, cette pensée revenait me hanter : je voudrais tant être un garçon. Je voudrais tant être un garçon. Pitié, donnez-moi une pilule magique pour que ça s’arrête.
***
Alors que mon corps changeait pour devenir celui d’une femme, j’ai commencé à faire l’expérience, comme toutes les jeunes filles, de la misogynie : hypersexualisation de nos corps, y compris par des hommes de l’âge de nos pères ou grands-pères, harcèlement et agressions sexuelles dès le collège par des garçons et des hommes gavés au porno, blâme des filles par le personnel de nos écoles et refus de les aider… Toutes les adolescentes subissent cela, à des degrés divers. En ce qui me concerne, j’ai eu de la chance : je n’ai rien vécu de pire que du harcèlement de rue et des remarques déplacées.
Cependant, j’ai subi autre chose. Le fait est que je n’ai pas réussi à jouer le jeu de la féminité. L’adolescence est une des périodes où la pression sociale sur les (futures) femmes est la plus forte – pression à se conformer à une notion extrêmement restreinte de la féminité1. J’ai essayé pourtant. Mais appliquer du maquillage était un calvaire dont je préférais me passer ; les garçons ne m’intéressaient absolument pas et le sexe pouvait bien attendre ; les cheveux longs étaient une gêne, les talons hauts n’en parlons pas ; le shopping et les discussions autour des vêtements m’ennuyaient profondément. Je m’arrête là, vous voyez le tableau. Résultat, je n’étais pas comme les autres filles – celles qui m’entouraient en tout cas, la situation aurait peut-être été différente dans d’autres établissements. C’était à la fois une petite victoire, puisque je voyais la plupart des adolescentes comme superficielles et inintéressantes, et une défaite puisque j’échouais à ce concours auquel les filles et les femmes sont obligées de participer : celui de cette forme particulière de féminité qui, aux yeux du monde, nous rend belle, séduisante et, surtout, nous donne de la valeur.

J’avais échoué, je n’étais donc pas une « vraie fille ». Ce qui signifiait, comme mes amies de l’époque me l’expliquaient sans aucune délicatesse, que je ne pouvais être perçue comme désirable (par les garçons et les hommes) et ne pouvait donc être aimée. Mon intelligence ? Qui s’en soucie à part les profs. Mes qualités ? Lesquelles ? Une fille n’est remarquée que pour ses « attraits » physiques. Mes centres d’intérêt ? Tout le monde s’en fiche, ils ne font pas partie des big three, ces trois éléments socialement valorisés chez les filles à l’adolescence : beauté (stéréotypée), rébellion (conformiste) et intérêt pour les garçons – c’est-à-dire (hétéro)sexualité.

Une fois le lycée fini, j’ai pris la décision de refuser cette féminité qu’on m’imposait. Fini les jupes, les soutien-gorge, tout ce maquillage dont je ne savais pas me servir. Les talons, au placard ! Je n’ai jamais su marcher avec de toute façon. Et surtout, on recoupe cette insupportable masse de cheveux. Je me souviens de la légèreté, du soulagement que j’ai ressenti en sortant du coiffeur, de mes mains passant dans mes cheveux si courts que je sentais les contours de mon crâne en dessous. Quel soulagement ! Ce fut libérateur.
Ce fut libérateur mais cela ne m’a pas réconcilié avec mon corps de femme. Et tous les mois, ce même refrain : j’aurais voulu être un homme.
Refuser de devenir une femme & les impasses du féminisme
Cette envie d’être un homme s’est transformée en véritable obsession. Je ne me suis pas contentée de rejeter tout ce qui relevait du féminin, les aspects négatifs comme positifs, j’ai aussi rejeté mon propre corps : trop petit, trop faible, trop femme. Ma rencontre avec le féminisme lors du mouvement #metoo aurait pu changer la donne2. Malheureusement, le premier féminisme dont j’ai eu connaissance avait deux visages : celui des violences sexuelles donc, et celui de la girl boss3 . Pour s’en sortir, il fallait être « comme un homme » : sûre de soi, dominante, intrépide et combattive. Mais sans se départir du maquillage et des talons hauts, des pédicures et de la lingerie – « comme un homme », certes, mais pas trop non plus. Il faut bien rester désirable. D’une façon ou d’une autre, être une femme signifiait être réifiée, déshumanisée, dépréciée, être perpétuellement en danger et conditionnée à la soumission. Ce féminisme superficiel ne faisait que renforcer la misogynie que j’avais déjà intériorisée.
Le féminisme m’a en même temps introduit à un concept auquel j’ai tout de suite souscrit : le constructivisme. Selon celui-ci, les différences entre les femmes et les hommes sont des constructions sociales. Bien sûr, on admettait du bout des lèvres qu’il existait bien quelques différences physiques, mais celles-ci avaient été largement exagérées pour justifier la différence de traitement entre les hommes et les femmes, autrement dit, le sexisme.
Penser autrement revenait à adopter une vision essentialiste : les hommes seraient naturellement faits pour être dominants, agressifs et maîtres de la pensée ; les femmes, en raison de leurs organes reproductifs, seraient faites pour faire des bébés, s’occuper du ménage et être dominées par leurs émotions. Ces pauvres choses fragiles ne pourraient rien faire sans un homme pour les guider dans la vie et les protéger des autres hommes, mais aussi d’elles-mêmes. L’essentialisme était donc du sexisme, une façon de naturaliser le patriarcat.
Il existait bien un courant féministe plus « spirituel » qui parlait de se reconnecter au féminin sacré et à la Terre-Mère en devenant sorcière, mais j’étais (et je reste) bien trop terre à terre pour accrocher à tout ce mysticisme. De toute façon, j’ai rencontré ce mouvement bien plus tard…
Cette vision idéologique binaire4, où tout est construction sociale qu’on en ait la preuve ou non, était certes un peu simpliste mais elle me convenait. Pourquoi ? Parce qu’elle me réconfortait et regonflait mon ego : ne pas être féminine n’était plus un échec mais une source de fierté. C’était la preuve que j’étais moins aliénée que les autres femmes ; moins je suis féminine, plus je suis féministe – et quelque part supérieure aux « autres femmes5 ».
Cette façon de penser le féminisme a eu cependant pour conséquence de renforcer mes préjugés sur les femmes féminines et, plus largement, sur tout ce qui est associé aux femmes, y compris certaines valeurs positives comme l’altruisme, la bonté, la douceur, l’humilité, etc. Je me retrouvais à idéaliser d’autant plus la masculinité, même dans ce qu’elle a de plus toxique. J’ai embrassé intérieurement des valeurs viriles : survalorisation de la puissance physique, de la violence, de l’héroïsme guerrier. Je voulais m’enrôler dans l’armée pour prouver que j’en étais capable. Je voulais être confrontée à une situation de violence, les armes à la main, savoir ce que ça fait de tuer – une vraie petite psychopathe, alors même que j’étais en réalité une jeune fille très timide et effacée. Je suis allée jusqu’à tenter d’intégrer l’armée en tant que soldate6.
Ce désir lancinant d’être un homme a totalement envahi ma psyché. C’est une expérience que je partage rarement car elle touche à quelque chose de très intime pour moi, mais aussi parce que je pensais être la seule à vivre cela7. C’est aussi une expérience que j’ai toujours trouvée difficile à expliquer à des personnes qui n’ont pas ce vécu.
Depuis mon enfance, j’ai une grande capacité à m’immerger dans mon imagination. Je construis des mondes, des personnages, des expériences qui m’envahissent si complètement qu’il m’arrive de me retrouver totalement détachée de mon environnement. Je ne vois plus, n’entends plus, je pouvais perdre toute conscience de ce qui m’entoure – au point de me cogner dans des poteaux ou des volets dans la rue. Je pouvais me retrouver à rire ou pleurer, parler ou faire des gestes sans le vouloir. J’ai une certaine tendance à marcher dans ces moments-là, à tourner en rond pendant une éternité, incapable de redescendre sur terre. Ces mondes imaginaires dans lesquels je me projette ne sont pas comme des films ou des livres mais davantage comme des jeux vidéo. Je me crée un personnage que j’incarne au fur et à mesure que l’histoire se déploie.
Au cours de ma puberté, ce personnage est devenu systématiquement un homme. Ce n’était pas intentionnel : j’étais tout simplement incapable de me projeter dans une personnage de femme. Lorsque j’essayais, cela se révélait inconfortable. Je finissais toujours par me heurter à une situation qui me faisait transformer ce personnage en homme.
Ce phénomène de projection s’est étendu. J’ai commencé à rêver que j’étais un homme – ce qui m’arrive fréquemment encore. Quand je me projetais dans mon futur potentiel, je n’arrivais pas à m’imaginer en femme. Finalement, j’ai perdu l’image intérieure de mon corps. Comme une anorexique qui s’imagine grosse, je me voyais plus masculine, plus mâle, que je ne l’étais en réalité. En m’apercevant dans un miroir de plein pied ou une vitrine, je ressentais un choc. C’était moi, ça ? Ces courbes, ces fesses, ce corps de femme ? Impossible.
Et pourtant, mes yeux ne me trompaient pas ; c’était bien ça, la réalité. Je me souviens de cette sensation désagréable, une sensation physique, comme un décrochage, un bourdonnement, un vertige… Je ne pouvais nier ce que je voyais, je ne pouvais pas non plus l’accepter. Pas ça, pas ce corps. Ça ne pouvait être moi.
Toucher le fond puis remonter à la surface
En ai-je conclu que je n’étais pas une femme ? Non. Il avait toujours été évident pour moi, dès l’adolescence, qu’être un homme ou une femme était une question de corps, pas une sorte d’identité psychique ou spirituelle, qui pouvait entrer en contradiction avec notre corps sexué. Je ne me sentais pas femme. On peut même dire que je me (res)sentais homme – après tout, je m’identifiais à eux jusque dans mes rêves. Mais je n’ai jamais douté d’être une femme.
Cela aurait pu changer quand j’ai découvert la transidentité par l’intermédiaire, tout d’abord, de podcasts féministes. Je n’ai alors pas du tout remis en question cette idée d’hommes dans des corps de femmes8 (ou inversement) alors même qu’elle était, de toute évidence, en totale opposition avec mes propres convictions. Ce n’était pas que je ne voyais pas la contradiction entre ces deux façons de pensée, mais il me semblait évident qu’il y avait forcément un « truc », une explication rationnelle et incontestable à ce phénomène. Il ne pouvait en être autrement puisque le féminisme défendait l’affirmation que les femmes trans sont des femmes et les hommes trans des hommes.
Puisque le féminisme soutenait sans réserve ce concept, la transidentité ne pouvait pas être fondée sur la croyance que la féminité fait la femme et la masculinité l’homme. Ou encore qu’il existe un esprit, une âme, une « essence » immatérielle qui constitue notre vraie identité. Ce serait, de toute évidence, de l’essentialisme. L’idée de cerveaux d’hommes et de femmes semblaient tout autant réactionnaire et sexiste, cela ne pouvait donc pas être ça.
Qu’est-ce qui fait alors qu’une personne est transgenre ? Je ne le savais pas et le féminisme ne m’apportait pas d’explications satisfaisantes. Quand j’entendais des témoignages, je relevais toujours certains éléments qui pouvait expliquer comment la personne interrogée en était venue à croire qu’elle était une femme (ou un homme, vous aurez compris). Mais comme ce n’était pas un sujet qui me touchait, je continuais à croire qu’il y avait un « truc » qui différenciait un homme trans d’une femme « masculine » ou travestie, avant même de procéder à une quelconque transition. De plus, je pensais naïvement qu’aucune personne ne pouvait faire une transition médicale « par erreur » – et comme je n’avais jamais entendu parler de détransition ou de personne regrettant ces procédures, rien ne venait me faire douter.
Tout a changé quand ma meilleure amie m’a annoncé qu’elle était transgenre, il y a environ deux ans maintenant. Elle « ne pouvait pas l’expliquer » mais voilà, elle était un homme. Je la connais bien puisque nous sommes amies depuis la maternelle. À mes yeux, elle ne correspondait pas au portrait habituel des personnes transgenres9. Je lui ai honnêtement dit ne pas comprendre, mais la priorité était, avant tout, de la soutenir10. J’ai donc tu mes doutes. Enfin, j’ai fait ce qui est systématiquement préconisé : je me suis informée.
***
Je ne vais pas vous narrer par le détail tout ce que j’ai appris, les évolutions de ma pensée, ou mes opinions actuelles. Ce serait trop long et ce n’est pas le sujet. Ce qui importe ici, c’est le fait que ces recherches sont devenues obsessionnelles. Tout ce que j’ai lu / vu / écouté sur le sujet a profondément ébranlé nombre de mes croyances et de mes convictions. Les nombreux témoignages en particulier m’ont profondément touchée. Dans certains, je ne me reconnaissais que trop.
Je me souviens notamment de l’un d’eux, celui de Carol11, une lesbienne butch11 ayant transitionnée puis détransitionnée. J’ai dû mettre le podcast en pause à plusieurs reprises parce qu’il me bouleversait tant que j’en pleurais. Je n’entends pas par là quelques larmes qui coulent cinématographiquement sur mes joues. Non, je parle du type de pleurs qui vous fait trembler, suffoquer, gémir comme une animale. Je ne suis pas lesbienne, ne me suis jamais considérée trans, et je n’ai jamais cherché à passer pour un homme13. Nous venons de pays et de milieux socio-culturels très éloignés. Nos expériences sont bien différentes et pourtant, son témoignage m’arrachait le cœur. C’était comme si elle racontait mon propre vécu – mais démultiplié par l’intense homophobie et le sexisme dont elle a été victime.
***
À défaut de pouvoir devenir un homme, je voulais au moins devenir plus forte. J’avais essayé pas mal de sports depuis mon enfance. Cette année-là, je me suis mise à la boxe française. De tous les sports que j’ai pratiqués, c’est celui que j’ai le plus aimé. Je m’y suis tenue toute une année, deux séances d’une heure et demie par semaine, jusqu’à mon déménagement. Je m’étais inscrite dans un club mixte et m’entraînais donc avec des hommes. Savoir que ces derniers sont plus puissants physiquement est une chose, en avoir l’expérience, alors que nous échangions coups de poings et coups de pieds, en est une autre. Je rentrais essorée de ces séances, avec un profond sentiment de bien-être physique, mais amère aussi. Tout me ramenait à ce corps, mon corps, que je percevais comme faible, détraqué, exécrable.
Cette année-là, j’ai touché le fond. Mon corps me semblait de plus en plus étranger, inadéquat. Mon malaise devenait une véritable souffrance. Plus que jamais, j’enviais les hommes avec rage.
La résolution : les merveilles de nos corps
Dans le même temps, je commençais à changer doucement de perspective. Les pièces du puzzle se mettaient en place. Le « pourquoi » de cette identification masculine commençait à se révéler ; mon parcours prenait sens et il me semblait entrevoir une sortie de secours.
Il y a, j’en suis certaine, bien des façons de s’accepter en tant que femme et je n’écris pas cet article pour faire du développement personnel. Je l’écris parce que mon expérience n’est pas unique ; pourtant, je me suis trop longtemps sentie seule et incomprise. J’écris pour les femmes qui en sont là où j’étais, qui souffrent, et ne se voient offrir d’autre explication à leur mal-être que la transidentité et d’autre solution que la transition. Je l’écris surtout parce que le féminisme a d’abord été un frein dans mon parcours de femme et a contribué à mon mal-être. Un mouvement politique qui vise à émanciper les femmes ne devrait pas contribuer à leur haine d’elles-mêmes, de ce qu’elles sont et ne peuvent cesser d’être. Il ne devrait pas nous inciter à détester nos corps. Il ne devrait pas nous convaincre qu’être une femme est une malédiction, que notre destin est d’être des victimes des hommes et de notre propre biologie.
Je n’ai pas de solution individuelle. Chacune d’entre nous est différente et devra trouver par elle-même ce dont elle a besoin. Mais je souhaite lancer une réflexion collective sur ce que nous pouvons changer, au sein du féminisme, pour faciliter le parcours de femmes telles que moi. Et peut-être même de femmes qui, au contraire, sont tout l’inverse.
Il me semble nécessaire que le féminisme s’éloigne de cette opposition idéologique simpliste entre essentialisme et constructivisme. Nous sommes le produit de la société dans laquelle nous vivons, elle qui traite filles et garçons, femmes et hommes, de façon différente. Nous sommes aussi des femelles de l’espèce humaine. Oui, il y a une pression à se conformer à des modèles de féminité et de masculinité artificiels et nocifs. Oui, la socialisation genrée est une réalité et un problème. Cela ne signifie pas que nos corps sexués sont quantité négligeable, qu’ils n’ont aucune influence sur nos comportements.
Nous sommes des animaux et plus spécifiquement des mammifères de la catégorie des primates. Chez tous les primates, ces différences biologiques dues aux sexes ont un impact sur les comportements, les interactions, les rôles au sein du groupe et les capacités physiques. Ce n’est ni bien, ni mal ; cela n’induit aucune hiérarchie « naturelle » entre hommes et femmes. Ce fait n’est pas prescriptif et n’induit pas que toutes les femelles et tous les mâles se comportent de la même manière et sont diamétralement opposé·es en tout. Il existe des différences, certaines innées d’autres non, c’est un simple fait. Arrêtons de nous penser si exceptionnel·les que ce qui est vrai pour les autres mammifères ne l’est pas pour nous.
La reproduction coûte plus aux femmes qu’aux hommes. Pour une femme, la maturité sexuelle implique un cycle menstruel avec des changements hormonaux, des saignements, bien souvent des douleurs et des impacts psychiques. La liste des désagréments et des risques liés à l’ovulation et aux menstruations est fort longue, et certaines femmes sont nettement moins chanceuses que d’autres. Nous sommes aussi, en moyenne, plus petites, moins fortes, moins rapides, moins robustes et donc plus vulnérables aux agressions physiques. Pour celles qui souffrent en raison des spécificités de notre biologie14, être une femme semble un fardeau à endurer une vie entière. Si à cela s’ajoutent des violences sexistes et sexuelles – ce qui est bien trop fréquent – difficile de voir des avantages à être une femme. Si nous ne souhaitons pas devenir mère, nous payons très cher pour une capacité qui n’a, à nos yeux, aucun intérêt. Notre pouvoir de donner la vie et de nourrir un bébé peut être perçu comme une charge bien plus qu’un cadeau.
Tout cela explique pourquoi nombre de femmes en viennent à considérer le corps mâle comme intrinsèquement supérieur. Il ne l’est pas. Que vaut la force face à la capacité de créer un être humain ? Que vaut une paire de testicules, moche et vulnérable 15&, face à une paire de seins, capable de produire le lait dont nos enfants dépendent ? Rien de plus ni de moins que la valeur qu’on leur accorde. Les capacités du corps des femmes sont méprisées parce que les femmes sont dévalorisées en tant que femmes. C’est le propre d’une société patriarcale.
C’est bien pour cela qu’il faut que le féminisme rende justice au corps des femmes et tout ce dont il est capable. Je ne veux pas être mère mais, aujourd’hui, je suis capable d’estimer cette incroyable aptitude, cette prouesse de la nature. Mon premier déclic, le premier pas qui m’a permis d’arrêter de ne voir que les inconvénients d’un corps de sexe féminin, a été la première fois que j’ai vu un dessin de l’intérieur du sein d’une femme. Ce réseau arborescent d’alvéoles, ces petits lobules ressemblant à des mûres, reliées par de fins canaux, me semblait beau. Quand j’ai appris que notre lait peut changer de composition en cours de tétée pour s’adapter aux besoins nutritionnels du bébé ou encore produire des anticorps lorsqu’il est malade, j’étais époustouflée.
Le deuxième déclic a été d’ouvrir les yeux sur toutes les femmes incroyables que j’ai eu la chance de connaître. D’admettre que, même au plus fort de mon mépris pour les femmes, c’était vers elles que je me tournais, pour l’amitié, le réconfort, le partage. J’ai plusieurs fois entendu des femmes ayant transitionné déplorer la perte que cela représente de ne plus pouvoir être une femme parmi les femmes.
Nul besoin de verser dans le féminin sacré pour trouver de la valeur dans le fait d’être une femme, pour aimer et célébrer des femmes, pour se sentir à notre place parmi elles. Mais cela ne peut se faire si notre féminisme se focalise uniquement sur les violences sexistes et les inconvénients de nos corps. S’il rejette ceux-ci de ses discours et de ses analyses par peur de justifier la hiérarchie patriarcale. Si les seuls accomplissements que nous célébrons sont ceux de femmes dans des domaines masculins, si nos seuls modèles sont des exceptions alors que la plupart d’entre nous ne serons jamais exceptionnelles.
Il ne suffit pas de dénoncer ; il faut aussi aspirer à quelque chose de beau, de juste, qui nous donne de l’espoir et de la joie. Ceci manque au féminisme actuel, surtout au féminisme libéral qui préfère se réapproprier un « féminin » profondément patriarcal et misogyne. Un « féminin » qui a été pensé par et pour les hommes, pour leur plaisir, leurs intérêts et leur jouissance. Un « féminin » bien masculin en somme. Il faut valoriser les femmes dans tous les domaines, même la maternité. Je suis convaincue qu’il existe une culture des femmes, et même davantage qu’une seule. Il a existé et existe encore des arts, des pratiques (culturelles, cultuelles ou politiques) et des artisanats féminins. Il faut explorer cette richesse, l’apprécier à sa juste valeur, s’ouvrir à la culture d’autres femmes partout dans le monde.
***
Je ne peux pas dire, aujourd’hui, que j’aime être une femme. Mais j’aime apprendre de quoi nos corps sont capables. Peut-être envierais-je encore les hommes à l’avenir, peut-être la boxe restera-t-elle toujours une expérience douce-amère, mais je ne souhaite plus, chaque mois, être un homme. J’ai accepté mon corps, ce corps qui fait de moi une femme. Je respecte sa force de vie, ses capacités, ses merveilles, petites et grandes. J’aime les féministes qui s’emploient à mettre en avant la puissance des femmes, leur créativité, leur rébellion. Et par-dessus tout, j’aime être une femme parmi des femmes.
 

Faustine.

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Suite à la parution de l’étude Les jeunes français et la lecture1, réalisée par ipsosfrance avec le Centre national du livre, nous apprenons qu’un genre est particulièrement populaire chez les adolescentes (16 – 19 ans) : la dark romance. Une information inquiétante lorsque l’on sait qu’elle banalise la violence à l’encontre des femmes.

Qu’est-ce que la dark romance ?
La dark romance est un genre littéraire mettant en avant, dans une écrasante majorité, des femmes soumises, souvent par la force, à des hommes qui les dominent physiquement, psychologiquement et surtout sexuellement.
On peut identifier les prémices de ce genre dans le roman libertin2, qui avait une volonté de libération des mœurs, mais la dark romance telle qu’elle est à l’heure actuelle trouve surtout ses fondations dans les années 2010. Le succès mondial de 50 nuances de Grey écrit par E.L James et publié en 2012, où il est question d’une relation basée sur la domination et le bondage, aura en grande partie contribué à l’essor du genre. Largement plébiscitée par les utilisatrices et influenceuses de la plateforme Tiktok, notamment sur Booktok3, la dark romance est aujourd’hui très populaire, notamment chez les adolescentes comme l’indique l’étude susmentionnée.
Viols, meurtres, agressions, séquestrations, humiliations, harcèlement … tout est permis et, surtout, tout est romantisé.
Prenons pour exemple deux extraits des résumés des romans les plus populaires en ce moment :
Il est intéressant de noter que la plupart de ces ouvrages, mettant en scène un homme violent et dominateur avec une femme qui sera forcée à se soumettre, sont majoritairement écrits par des femmes. S’il m’est aisée d’imaginer pour quelles raisons des jeunes (et moins jeunes) femmes peuvent être attirées par la romance dite conventionnelle, celle mettant en scène de vaillants guerriers et preux chevalier, après avoir été biberonnées aux histoires de princes charmants, je ne comprends pas à quel moment le prince charmant s’est transformé en agresseur violent mais séduisant. Le passage de « ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants » à « elle n’avait pas le choix, elle était sa chose » est brutal. Ça me laisse pantoise. Je ne peux m’empêcher de faire le lien entre plusieurs phénomènes, même si ce ne sont que des suppositions personnelles. Pas plus loin qu’au siècle dernier, des images INA4 en sont encore les témoins, il était courant, commun et accepté que les femmes soient frappées et violées dans le cadre de leurs relations conjugales.
À l’heure actuelle, ces comportements, bien qu’existants toujours, sont officiellement prohibés et parfois punis (plus ou moins sévèrement, je vous l’accorde). Je m’interroge donc sur l’apparition de fantasmes liés à la violence : serait-elle en partie due à l’interdiction de celle-ci ?
Si je peux me permettre une réaction toute personnelle, j’ai la sensation que plus on essaye d’interdire la violence envers les femmes, plus des groupes tentent de les ancrer dans les mentalités par des portes dérobées ou d’autres moyens tels que la pornographie, certains articles issus de presses dites féminines ou encore.. la dark romance. Le viol conjugal n’est pas autorisé ? Faisons fantasmer les femmes sur les rapports sexuels forcés. Battre sa femme n’est plus considéré comme une preuve d’amour ? Introduisons et normalisons le BDSM5 dans les relations. Bien que ces perspectives soient intéressantes à développer, ça ne répond pas à mon interrogation : pourquoi ce sont des femmes qui écrivent principalement de la dark romance ? Pourquoi des femmes auraient-elles envie d’écrire et de propager un fantasme dans lequel elles sont des proies ? Certains militants masculinistes adeptes de l’idée du « mâle alpha » me répondraient que c’est parce que la nature des femmes est d’être soumises et à la disposition d’un homme. Mais je ne suis pas convaincue par cette idée car, si la soumission était naturelle pour les femmes, il n’y aurait pas besoin de milliers de sermons dans les sociétés patriarcales pour rappeler aux femmes de se soumettre, car la nature n’a pas besoin de rappels pour suivre son cours.
J’ai la sensation que la pop culture, les dessins-animés, l’éducation… ont ancré dans l’esprit des filles et femmes qu’elles sont de petites choses fragiles à sauver et à protéger et que leurs fantasmes liés à la violence des hommes envers les femmes naissent d’une intégration profonde de ce schéma. Ces fantasmes sont ensuite entretenus aussi bien par des auteurs que des autrices, mais dans des genres différents. La romance étant un genre écrit presque uniquement par des femmes, il n’est finalement pas surprenant que la dark romance le soit aussi.
Une fiction trop proche de la réalité
Dans un monde où les violences faites aux femmes ne seraient pas courantes et où les violences sexuelles ne seraient pas massivement répandues, ces lectures, vues comme des chimères ou fantasmes marginaux et irréalistes, ne poserait pas tellement problème. Ils interrogeraient seulement la moralité des personnes contribuant à rendre ces livres publics tout en ciblant de jeunes lectrices.
La réalité est tout autre :
  • En 2022, 118 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire.
  • En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 74 ans qui, au cours d’une année, sont victimes de violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques commises par leur conjoint ou ex-conjoint, est estimé à 321 000 femmes.
  • En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 74 ans qui, au cours d’une année, sont victimes de viols, tentatives de viol et/ou agressions sexuelles est estimé à 217 000 femmes (il s’agit d’une estimation minimale).
  • Dans 49 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 21 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits6.
Et ces chiffres ne représentent que la France. Dans le monde, les violences envers les femmes sont encore nombreuses et plurielles. Ce que vivent les héroïnes de dark romance ne sont ni des fantasmes, ni des histoires fictives. Des millions de femmes l’ont vécu et d’autres le vivent ou le vivront encore. Il est donc intéressant de s’interroger sur les raisons qui poussent à présenter comme une romance ce que les militant·es féministes dénoncent au quotidien. La popularisation de ce genre a de quoi inquiéter.
Peu de contrôle, aucune prévention ou presque dans ces livres disponibles partout sans contrôle de l’âge, l’accès à la dark romance est très simple et rien ou presque n’est fait pour freiner les futur·es lecteur·ices ni même pour les prévenir. Certaines vidéos, certains articles font de la sensibilisation sur le sujet mais, face à l’ampleur du contenu en faveur de ces écrits, ce n’est, à mon sens, pas encore suffisant.
Pourquoi est-ce dangereux ?
Ce qui traumatise des millions de femmes est présenté, par la dark romance, comme une chose romantique et désirable.
Il vous a kidnappé ? Il est très amoureux.
Il vous suit et vous espionne chez vous ? Quel homme passionné !
Il tue tous les hommes qui ont des relations avec vous car vous êtes « la sienne » ? Il sait vous protéger.
Avec de tels raisonnements, on peut vite assimiler que les violences sexistes et sexuelles sont de l’amour. Ce n’est pas sans rappeler les vieux dictons comme « s’il te bat, c’est qu’il t’aime ! ». Bien sûr, ce sont des jeunes femmes qui sont les réelles destinatrices de ces lectures, puisque la majorité des lecteurs sont des lectrices. Selon l’étude d’ipsosfrance-CNL¹, de 6 à 19 ans, 74 % des filles lisent pour leur loisir contre 50 % des garçons. Par ailleurs, les lecteur·ices de romance en général, y compris de dark romance, sont également en grande majorité des filles¹..
On assiste là à une forme de romantisation et érotisation de comportements nocifs et violents, qui en viennent à faire rêver certaines jeunes femmes, principales lectrices du genre, alors mêmes qu’elles pourraient en être victime.
Un conditionnement de masse

Comme mentionné plus tôt, la dark romance est aujourd’hui largement répandue par la faute des réseaux sociaux comme Tiktok qui, par le biais de ses « tendances », a vu florir pléthore de contenus mentionnant ou glorifiant la dark romance.

Pour exemples :
  • Les vidéos qui, sur fond de musiques romantiques, vont citer des passages des livres les plus connus, majoritairement des passages explicitement sexuels et malsains, tout en présentant ça comme quelque chose de désirable.
  • D’autres qui montrent des jeunes femmes fantasmant sur des criminels/mercenaires/membres de gang comme idéal amoureux.
  • Certaines qui illustrent des moments où l’homme doit « prendre/garder/reprendre le contrôle », souvent en s’affirmant sexuellement.
  • Des jeunes filles mineures qui montrent comment lire de la dark romance sans se faire remarquer par leurs parents (avec notamment l’utilisation du pass culture).
  • De plus en plus de fantasmes sur « l’asphyxie érotique », autrement dit le fait d’être étranglée, qui non seulement peut tuer mais cause des dommages parfois irréversibles sur le fonctionnement du cerveau. Certaines qui illustrent des moments où l’homme doit « prendre/garder/reprendre le contrôle », souvent en s’affirmant sexuellement.
  • Des publicités récurrentes entre deux vidéos pour des histoires avec « un mâle alpha » qui vous choisit comme étant sa chose et vous incite à cliquer pour avoir la suite de l’histoire.
Les exemples sont très nombreux et, suivant le principe du réseau, sont repris et repostés massivement par d’autres jeunes, voire très jeunes femmes. Et bien sûr, si vous souhaitez montrer votre mécontentement, vous contribuez à la popularité de ce type de contenu. Plus la vidéo est commentée et partagée, mieux elle sera référencée grâce à l’algorithme. Si vous faites une vidéo qui dénonce ces phénomènes, vous nourrissez également les hashtags associés, ce qui les rend plus populaires. Interagir avec ce contenu, que vous l’aimiez ou le détestiez, le favorise de toute façon.
Des jeunes femmes, dont beaucoup sont mineures, sont donc exposées sur les réseaux sociaux ainsi que dans leurs lectures à des comportements violents physiquement, psychologiquement et sexuellement tout en intégrant petit à petit l’idée que c’est « sexy », désirable quitte à parfois avouer en vidéo, face au monde, que leur rêve est « de vivre une dark romance dans la vraie vie ». Si l’une d’entre elles me lit, je peux vous garantir que lorsque mon ex-compagnon a tenté de me violer c’était tout sauf séduisant ou plaisant.
À l’instar de la pornographie, en plus d’être potentiellement addictif, ce genre de contenu tend à une distorsion de la réalité des relations femmes/hommes et induit inévitablement un rapport biaisé où chacune des parties se sent dans l’obligation d’avoir un statut « dominant » ou « dominé ». Et face à l’habitude et la lassitude liées à une grande consommation de ces lectures, certaines lectrices demandent explicitement que les violences aillent encore plus loin, trouvant la dark romance « mainstream » trop douce à leurs yeux.
Le risque majeur est que certaines de ces jeunes filles, grandes consommatrices du genre, pourraient non seulement être attirées mais aussi normaliser différentes formes de violences, notamment sexuelles, qu’elles pourraient vivre par la suite, en partie à cause d’un biais cognitif nommé « l’effet de simple exposition7 ». Décrit pour la première fois en 1876 et popularisé par Robert Zajonc, ce biais cognitif se caractérise par une augmentation de la probabilité d’avoir un sentiment positif envers une personne, un objet, un lieu, un discours simplement en raison d’une exposition répétée. Par conséquent, plus nous sommes exposé·es à un stimulus et plus il est probable qu’on l’aime. Comme par exemple avec une musique que nous n’aimons pas et, qu’à force d’entendre, nous finissons par aimer. Ou dans le cas de cet article, plus des jeunes femmes s’exposent à des violences sexistes et sexuelles présentées comme séduisantes, plus il est probable qu’elles aient tendance à apprécier, voire idéaliser, ce type de fonctionnement relationnel.
Quelles sont les solutions ?
Évidemment, les personnes qui souhaitent défendre le genre, ou une forme de totale liberté dans le choix des lectures, diront que si le public est majeur et averti, ça ne pose aucun problème. À l’heure actuelle, beaucoup de contenus tendent à propager l’idée qu’aucun fantasme (appelé « kink ») ne peut être malsain et ne doit être jugé. Ce n’est pas mon point de vue puisque la réalité est toute autre. Même majeure, une femme exposée à ce type de contenu n’a pas obligatoirement la capacité d’avoir un recul suffisant pour que cela n’impacte pas ses relations et sa vie sentimentales et/ou sexuelle. Dans tous les cas elle sera confrontée au biais de simple exposition. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, ce ne sont pas nécessairement des personnes majeures qui lisent de la dark romance mais plutôt des jeunes filles en pleine construction de leur sexualité qui n’ont, pour certaines, ni le recul nécessaire ni la capacité à comprendre pleinement l’impact de ce qu’elles peuvent lire.
La dark romance n’est pas une fiction comme les autres, puisqu’elle reprend les violences faites quotidiennement aux femmes et les rend séduisantes. Alors quelles sont les solutions ? Bannir complètement ce genre ? Mettre une limite d’âge ? Si bannir complètement un genre me paraît inenvisageable du point de vue de la liberté d’expression, sécuriser les mineur·es me semble en revanche être une priorité.
Pour cela, il faudrait :
  • Réduire au maximum l’accès à ces ouvrages par le biais d’une limite d’âge (comme dans le cas des jeux vidéos) avec un contrôle avant achat. Cela n’endiguera pas totalement le phénomène mais pourrait permettre le freiner, surtout pour les moins téméraires.
  • Afin que les romans ne soient pas feuilletés pas des mineur·es, les ouvrages de dark romance pourraient être systématiquement mis sous blister comme c’est le cas de bande dessinée érotiques et de quelques rares romans. Cela permettrait aussi aux libraires d’avoir une indication sur le public auquel doit être vendu ces ouvrages.
  • Faire de la prévention auprès des libraires et bibliothécaires qui, en plus d’avoir affaire aux jeunes, auront aussi affaire aux parents. D’après certains témoignages, les parents sont souvent envoyés en librairie chercher de la dark romance sous prétexte « d’une lecture scolaire » et achètent sans avoir connaissance du contenu de ces livres.
  • De même, un contrôle du contenu favorisant et romantisant les relations nocives et violentes sur les réseaux sociaux serait également un bon début, via par exemple une facilitation du signalement, un retrait temporaire de la plateforme des contenus signalés tant qu’ils ne sont pas contrôlés, le retrait total des publicités pour des contenus violents et érotiques, etc. Cette utilisation de l’algorithme éviterait la mise en avant de contenus sexualisés vers les comptes de personnes mineures.
  • De plus, une note de prévention en première page du livre accompagnée d’un baromètre des violences semblent indispensables pour informer les lectrices, y compris celles qui sont majeures, que ce qu’elles lisent n’est en aucun cas souhaitable dans la réalité puisque ce sont des violences.
J’écris tout cela parce qu’il se trouve que je me sens particulièrement touchée par le sujet. À l’âge de 15 ans j’ai lu 50 nuances de Grey. J’ai pu l’acheter dans une librairie sans aucun autre frein que le regard un peu méprisant et désapprobateur de la libraire qui ne m’a pourtant pas arrêtée. Après tout, plusieurs de mes copines lisaient cette saga et adoraient ! L’une de mes amies avait même lu les trois livres plusieurs fois tellement elle les trouvait géniaux. Ce dont je ne me suis pas rendue compte tout de suite, c’est que ça a ancré en moi une vision très spécifique de la sexualité, une accoutumance aux contenus pornographiques parmi les plus violents (envers les femmes uniquement), et des fantasmes qui auraient pu faire de moi une proie à certains moments. Pourtant, j’étais une jeune fille « très mûre pour mon âge », assez alerte sur différents sujets, et j’avais conscience d’une part des violences que subissaient les femmes. Sauf qu’en avoir conscience ne suffit pas.
Le féminisme m’a aidé à remettre en question ce qui a été pendant plusieurs années les fondements de ma sexualité. Mais on ne se débarrasse pas facilement de ce qui vous a construit à un moment donné, d’autant plus lorsque ce moment est l’adolescence, une période fondatrice. Alors que 50 nuances de Grey me paraît très soft à côté de la dark romance publiée à l’heure actuelle et sachant quelles peuvent être les conséquences sur les jeunes et moins jeunes femmes, mon inquiétude, voire ma terreur, à l’idée que ce phénomène ne soit pas endigué m’ont poussée à rédiger cet article.

Avant de vous quitter, j’aimerais vous montrer quelques avis publiés sur Booknode et Babelio par des jeunes femmes à propos d’ouvrages de dark romance populaires :

Ce livre a bouleversé une partie de mon être, il m’a rendu addicte et dépendante de cette histoire et de ses personnages.
Super kidnapping et romance !! 
🖤🤍 
J’ai adoré ma lecture mais je m’attendais a du plus dark…hâte de lire la suite !
Je reste choquée de ce tome 1, malgré les tw8 je ne m’attendais pas à ça…
J’ai ADORÉ cette lecture. Alors ça fait peut être de moi quelqu’un de psychopathe je vous l’accorde. Néanmoins j’aime de plus en plus les dark romances.
Mon deuxième en dark romance de la même autrice de Capitve et VRAIMENT ouwa ! Là j’ai ce que je n’avais pas dans Captive, c’est à dire un méchant plus présent ! Une belle pépite a lire.

J.

Recommandation de lecture :

Qui n’a jamais jubilé devant la vengeance sanglante de Breatrix Kiddo dans Kill Bill ? Fondu devant la rencontre d’Allie et Noah dans N’oublie jamais ? Ri aux éclats devant Friends ? Chanté à tue-tête devant Grease ? À travers l’archétype du bad boy, les scénarios balisés des comédies romantiques, la profusion de baisers « volés », et même les dessins animés de notre enfance, ce livre nous plonge dans les eaux troubles de la pop culture pour révéler comment la fiction influence insidieusement nos comportements et nos relations amoureuses. En analysant les rouages de la narration, l’autrice démystifie nos fascinations et idées reçues, et met à nu les dynamiques toxiques qui s’étalent sur nos écrans. Comment les films et les séries parviennent-ils à nous faire apprécier des comportements douteux, voire illégaux, y compris dans la vie réelle ? Comment nous inculquent-ils qu’il est normal d’aimer avoir mal ou qu’on nous fasse du mal ? Comment nous apprennent-ils à désirer la violence ? Un essai percutant, émaillé d’exemples précis et ponctué d’analyses de spécialistes (historiennes, scénaristes, linguiste, psychanalyste, sexologue…), qui invite à une réflexion profonde et audacieuse sur les violences sexistes et sexuelles qui se cachent sous le vernis de nos divertissements préférés.

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