Aimer nos corps de femmes

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Par où tout a commencé : puberté et misogynie

Jai eu la chance d’avoir une enfance heureuse, une famille aimante, une grande sœur qui prenait soin de moi, un petit frère adorable, et deux meilleures amies. Je n’avais aucun problème avec le fait d’être une petite fille à l’époque. En fait, je n’y pensais même pas. Les choses ont commencé à changer avec la puberté. Avez-vous vu le film Carrie au bal du diable ? La scène des règles ? Je pense que toutes les femmes qui ont paniqué lors de leurs premières règles se reconnaissent un peu dans cette scène. J’étais chez moi, heureusement. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. J’ai appelé ma mère à l’aide, avec une telle panique dans la voix que mon petit frère, pourtant cinq ans plus jeune, s’en souvient encore aujourd’hui. Le soulagement d’apprendre que c’était une chose tout à fait normale n’a pas duré. Certes, je n’étais ni malade ni blessée, mais j’allais me retrouver confrontée à cette situation tous les mois, pendant des décennies. Je n’étais pas exactement enthousiasmée par cette perspective.

S’il n’y avait que le sang, passe encore, mais j’ai eu la malchance de cumuler les difficultés : syndrome prémenstruel difficile, règles hémorragiques et irrégulières, douleurs multiples, sautes d’humeur… Pour couronner le tout, ma mère et ma sœur aînée n’ont jamais connu de pareilles difficultés et ne m’ont donc été d’aucune aide. Ma mère n’avait manifestement pas connaissance de l’existence d’un syndrome prémenstruel – elle ne m’en a en tout cas jamais parlé. Je n’ai compris ce qui m’arrivait que des années plus tard, grâce à ma belle-mère qui en souffrait elle-aussi. Je n’avais jusqu’alors jamais fait le lien entre mes micro-dépressions mensuelles accompagnées de douleurs, et mes menstruations
Toute mon adolescence et plus tard encore, mes règles ont été une immense source d’angoisse et de honte. Je les percevais comme un fléau inéluctable contre lequel j’étais impuissante. Je me suis alors mise à désirer être née garçon. Chaque mois, cette pensée revenait me hanter : je voudrais tant être un garçon. Je voudrais tant être un garçon. Pitié, donnez-moi une pilule magique pour que ça s’arrête.
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Alors que mon corps changeait pour devenir celui d’une femme, j’ai commencé à faire l’expérience, comme toutes les jeunes filles, de la misogynie : hypersexualisation de nos corps, y compris par des hommes de l’âge de nos pères ou grands-pères, harcèlement et agressions sexuelles dès le collège par des garçons et des hommes gavés au porno, blâme des filles par le personnel de nos écoles et refus de les aider … Toutes les adolescentes subissent cela, à des degrés divers. En ce qui me concerne, j’ai eu de la chance : je n’ai rien vécu de pire que du harcèlement de rue et des remarques déplacées.
Cependant, j’ai subi autre chose. Le fait est que je n’ai pas réussi à jouer le jeu de la féminité. L’adolescence est une des périodes où la pression sociale sur les (futures) femmes est la plus forte – pression à se conformer à une notion extrêmement restreinte de la féminité1. J’ai essayé pourtant. Mais appliquer du maquillage était un calvaire dont je préférais me passer ; les garçons ne m’intéressaient absolument pas et le sexe pouvait bien attendre ; les cheveux longs étaient une gêne, les talons hauts n’en parlons pas ; le shopping et les discussions autour des vêtements m’ennuyaient profondément. Je m’arrête là, vous voyez le tableau. Résultat, je n’étais pas comme les autres filles – celles qui m’entouraient en tout cas, la situation aurait peut-être été différente dans d’autres établissements. C’était à la fois une petite victoire, puisque je voyais la plupart des adolescentes comme superficielles et inintéressantes, et une défaite puisque j’échouais à ce concours auquel les filles et les femmes sont obligées de participer : celui de cette forme particulière de féminité qui, aux yeux du monde, nous rend belle, séduisante et, surtout, nous donne de la valeur.

J’avais échoué, je n’étais donc pas une « vraie fille ». Ce qui signifiait, comme mes amies de l’époque me l’expliquaient sans aucune délicatesse, que je ne pouvais être perçue comme désirable (par les garçons et les hommes) et ne pouvait donc être aimée. Mon intelligence ? Qui s’en soucie à part les profs. Mes qualités ? Lesquelles ? Une fille n’est remarquée que pour ses « attraits » physiques. Mes centres d’intérêt ? Tout le monde s’en fiche, ils ne font pas partie des big three, ces trois éléments socialement valorisés chez les filles à l’adolescence : beauté (stéréotypée), rébellion (conformiste) et intérêt pour les garçons – c’est-à-dire (hétéro)sexualité.

Une fois le lycée fini, j’ai pris la décision de refuser cette féminité qu’on m’imposait. Fini les jupes, les soutien-gorge, tout ce maquillage dont je ne savais pas me servir. Les talons, au placard ! Je n’ai jamais su marcher avec de toute façon. Et surtout, on recoupe cette insupportable masse de cheveux. Je me souviens de la légèreté, du soulagement que j’ai ressenti en sortant du coiffeur, de mes mains passant dans mes cheveux si courts que je sentais les contours de mon crâne en dessous. Quel soulagement ! Ce fut libérateur.
Ce fut libérateur mais cela ne m’a pas réconcilié avec mon corps de femme. Et tous les mois, ce même refrain : j’aurais voulu être un homme.
Refuser de devenir une femme & les impasses du féminisme
Cette envie d’être un homme s’est transformée en véritable obsession. Je ne me suis pas contentée de rejeter tout ce qui relevait du féminin, les aspects négatifs comme positifs, j’ai aussi rejeté mon propre corps : trop petit, trop faible, trop femme. Ma rencontre avec le féminisme lors du mouvement #metoo aurait pu changer la donne2. Malheureusement, le premier féminisme dont j’ai eu connaissance avait deux visages : celui des violences sexuelles donc, et celui de la girl boss3 . Pour s’en sortir, il fallait être « comme un homme » : sûre de soi, dominante, intrépide et combattive. Mais sans se départir du maquillage et des talons hauts, des pédicures et de la lingerie – « comme un homme », certes, mais pas trop non plus. Il faut bien rester désirable. D’une façon ou d’une autre, être une femme signifiait être réifiée, déshumanisée, dépréciée, être perpétuellement en danger et conditionnée à la soumission. Ce féminisme superficiel ne faisait que renforcer la misogynie que j’avais déjà intériorisée.
Le féminisme m’a en même temps introduit à un concept auquel j’ai tout de suite souscrit : le constructivisme. Selon celui-ci, les différences entre les femmes et les hommes sont des constructions sociales. Bien sûr, on admettait du bout des lèvres qu’il existait bien quelques différences physiques, mais celles-ci avaient été largement exagérées pour justifier la différence de traitement entre les hommes et les femmes, autrement dit, le sexisme.
Penser autrement revenait à adopter une vision essentialiste : les hommes seraient naturellement faits pour être dominants, agressifs et maîtres de la pensée ; les femmes, en raison de leurs organes reproductifs, seraient faites pour faire des bébés, s’occuper du ménage et être dominées par leurs émotions. Ces pauvres choses fragiles ne pourraient rien faire sans un homme pour les guider dans la vie et les protéger des autres hommes, mais aussi d’ellesmêmes. L’essentialisme était donc du sexisme, une façon de naturaliser le patriarcat.
Il existait bien un courant féministe plus « spirituel » qui parlait de se reconnecter au féminin sacré et à la Terre-Mère en devenant sorcière, mais j’étais (et je reste) bien trop terre à terre pour accrocher à tout ce mysticisme. De toute façon, j’ai rencontré ce mouvement bien plus tard…
Cette vision idéologique binaire4, où tout est construction sociale qu’on en ait la preuve ou non, était certes un peu simpliste mais elle me convenait. Pourquoi ? Parce qu’elle me réconfortait et regonflait mon ego : ne pas être féminine n’était plus un échec mais une source de fierté. C’était la preuve que j’étais moins aliénée que les autres femmes ; moins je suis féminine, plus je suis féministe – et quelque part supérieure aux « autres femmes5 ».
Cette façon de penser le féminisme a eu cependant pour conséquence de renforcer mes préjugés sur les femmes féminines et, plus largement, sur tout ce qui est associé aux femmes, y compris certaines valeurs positives comme l’altruisme, la bonté, la douceur, l’humilité, etc. Je me retrouvais à idéaliser d’autant plus la masculinité, même dans ce qu’elle a de plus toxique. J’ai embrassé intérieurement des valeurs viriles : survalorisation de la puissance physique, de la violence, de l’héroïsme guerrier. Je voulais m’enrôler dans l’armée pour prouver que j’en étais capable. Je voulais être confrontée à une situation de violence, les armes à la main, savoir ce que ça fait de tuer – une vraie petite psychopathe, alors même que j’étais en réalité une jeune fille très timide et effacée. Je suis allée jusqu’à tenter d’intégrer l’armée en tant que soldate6.
Ce désir lancinant d’être un homme a totalement envahi ma psyché. C’est une expérience que je partage rarement car elle touche à quelque chose de très intime pour moi, mais aussi parce que je pensais être la seule à vivre cela7. C’est aussi une expérience que j’ai toujours trouvée difficile à expliquer à des personnes qui n’ont pas ce vécu.
Depuis mon enfance, j’ai une grande capacité à m’immerger dans mon imagination. Je construis des mondes, des personnages, des expériences qui m’envahissent si complètement qu’il m’arrive de me retrouver totalement détachée de mon environnement. Je ne vois plus, n’entends plus, je pouvais perdre toute conscience de ce qui m’entoure – au point de me cogner dans des poteaux ou des volets dans la rue. Je pouvais me retrouver à rire ou pleurer, parler ou faire des gestes sans le vouloir. J’ai une certaine tendance à marcher dans ces moments-là, à tourner en rond pendant une éternité, incapable de redescendre sur terre. Ces mondes imaginaires dans lesquels je me projette ne sont pas comme des films ou des livres mais davantage comme des jeux vidéo. Je me crée un personnage que j’incarne au fur et à mesure que l’histoire se déploie.
Au cours de ma puberté, ce personnage est devenu systématiquement un homme. Ce n’était pas intentionnel : j’étais tout simplement incapable de me projeter dans une personnage de femme. Lorsque j’essayais, cela se révélait inconfortable. Je finissais toujours par me heurter à une situation qui me faisait transformer ce personnage en homme.
Ce phénomène de projection s’est étendu. J’ai commencé à rêver que j’étais un homme – ce qui m’arrive fréquemment encore. Quand je me projetais dans mon futur potentiel, je n’arrivais pas à m’imaginer en femme. Finalement, j’ai perdu l’image intérieure de mon corps. Comme une anorexique qui s’imagine grosse, je me voyais plus masculine, plus mâle, que je ne l’étais en réalité. En m’apercevant dans un miroir de plein pied ou une vitrine, je ressentais un choc. C’était moi, ça ? Ces courbes, ces fesses, ce corps de femme ? Impossible.
Et pourtant, mes yeux ne me trompaient pas ; c’était bien ça, la réalité. Je me souviens de cette sensation désagréable, une sensation physique, comme un décrochage, un bourdonnement, un vertige… Je ne pouvais nier ce que je voyais, je ne pouvais pas non plus l’accepter. Pas ça, pas ce corps. Ça ne pouvait être moi.
Toucher le fond puis remonter à la surface
En ai-je conclu que je n’étais pas une femme ? Non. Il avait toujours été évident pour moi, dès l’adolescence, qu’être un homme ou une femme était une question de corps, pas une sorte d’identité psychique ou spirituelle, qui pouvait entrer en contradiction avec notre corps sexué. Je ne me sentais pas femme. On peut même dire que je me (res)sentais homme – après tout, je m’identifiais à eux jusque dans mes rêves. Mais je n’ai jamais douté d’être une femme.
Cela aurait pu changer quand j’ai découvert la transidentité par l’intermédiaire, tout d’abord, de podcasts féministes. Je n’ai alors pas du tout remis en question cette idée d’hommes dans des corps de femmes8 (ou inversement) alors même qu’elle était, de toute évidence, en totale opposition avec mes propres convictions. Ce n’était pas que je ne voyais pas la contradiction entre ces deux façons de pensée, mais il me semblait évident qu’il y avait forcément un « truc », une explication rationnelle et incontestable à ce phénomène. Il ne pouvait en être autrement puisque le féminisme défendait l’affirmation que les femmes trans sont des femmes et les hommes trans des hommes.
Puisque le féminisme soutenait sans réserve ce concept, la transidentité ne pouvait pas être fondée sur la croyance que la féminité fait la femme et la masculinité l’homme. Ou encore qu’il existe un esprit, une âme, une « essence » immatérielle qui constitue notre vraie identité. Ce serait, de toute évidence, de l’essentialisme. L’idée de cerveaux d’hommes et de femmes semblaient tout autant réactionnaire et sexiste, cela ne pouvait donc pas être ça.
Qu’est-ce qui fait alors qu’une personne est transgenre ? Je ne le savais pas et le féminisme ne m’apportait pas d’explications satisfaisantes. Quand j’entendais des témoignages, je relevais toujours certains éléments qui pouvait expliquer comment la personne interrogée en était venue à croire qu’elle était une femme (ou un homme, vous aurez compris). Mais comme ce n’était pas un sujet qui me touchait, je continuais à croire qu’il y avait un « truc » qui différenciait un homme trans d’une femme « masculine » ou travestie, avant même de procéder à une quelconque transition. De plus, je pensais naïvement qu’aucune personne ne pouvait faire une transition médicale « par erreur » – et comme je n’avais jamais entendu parler de détransition ou de personne regrettant ces procédures, rien ne venait me faire douter.
Tout a changé quand ma meilleure amie m’a annoncé qu’elle était transgenre, il y a environ deux ans maintenant. Elle « ne pouvait pas l’expliquer » mais voilà, elle était un homme. Je la connais bien puisque nous sommes amies depuis la maternelle. À mes yeux, elle ne correspondait pas au portrait habituel des personnes transgenres9. Je lui ai honnêtement dit ne pas comprendre, mais la priorité était, avant tout, de la soutenir10. J’ai donc tu mes doutes. Enfin, j’ai fait ce qui est systématiquement préconisé : je me suis informée.
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Je ne vais pas vous narrer par le détail tout ce que j’ai appris, les évolutions de ma pensée, ou mes opinions actuelles. Ce serait trop long et ce n’est pas le sujet. Ce qui importe ici, c’est le fait que ces recherches sont devenues obsessionnelles. Tout ce que j’ai lu / vu / écouté sur le sujet a profondément ébranlé nombre de mes croyances et de mes convictions. Les nombreux témoignages en particulier m’ont profondément touchée. Dans certains, je ne me reconnaissais que trop.
Je me souviens notamment de l’un d’eux, celui de Carol11, une lesbienne butch11 ayant transitionnée puis détransitionnée. J’ai dû mettre le podcast en pause à plusieurs reprises parce qu’il me bouleversait tant que j’en pleurais. Je n’entends pas par là quelques larmes qui coulent cinématographiquement sur mes joues. Non, je parle du type de pleurs qui vous fait trembler, suffoquer, gémir comme une animale. Je ne suis pas lesbienne, ne me suis jamais considérée trans, et je n’ai jamais cherché à passer pour un homme13. Nous venons de pays et de milieux socio-culturels très éloignés. Nos expériences sont bien différentes et pourtant, son témoignage m’arrachait le cœur. C’était comme si elle racontait mon propre vécu – mais démultiplié par l’intense homophobie et le sexisme dont elle a été victime.
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À défaut de pouvoir devenir un homme, je voulais au moins devenir plus forte. J’avais essayé pas mal de sports depuis mon enfance. Cette année-là, je me suis mise à la boxe française. De tous les sports que j’ai pratiqués, c’est celui que j’ai le plus aimé. Je m’y suis tenue toute une année, deux séances d’une heure et demie par semaine, jusqu’à mon déménagement. Je m’étais inscrite dans un club mixte et m’entraînais donc avec des hommes. Savoir que ces derniers sont plus puissants physiquement est une chose, en avoir l’expérience, alors que nous échangions coups de poings et coups de pieds, en est une autre. Je rentrais essorée de ces séances, avec un profond sentiment de bien-être physique, mais amère aussi. Tout me ramenait à ce corps, mon corps, que je percevais comme faible, détraqué, exécrable.
Cette année-là, j’ai touché le fond. Mon corps me semblait de plus en plus étranger, inadéquat. Mon malaise devenait une véritable souffrance. Plus que jamais, j’enviais les hommes avec rage.
La résolution : les merveilles de nos corps
Dans le même temps, je commençais à changer doucement de perspective. Les pièces du puzzle se mettaient en place. Le « pourquoi » de cette identification masculine commençait à se révéler ; mon parcours prenait sens et il me semblait entrevoir une sortie de secours.
Il y a, j’en suis certaine, bien des façons de s’accepter en tant que femme et je n’écris pas cet article pour faire du développement personnel. Je l’écris parce que mon expérience n’est pas unique ; pourtant, je me suis trop longtemps sentie seule et incomprise. J’écris pour les femmes qui en sont là où j’étais, qui souffrent, et ne se voient offrir d’autre explication à leur mal-être que la transidentité et d’autre solution que la transition. Je l’écris surtout parce que le féminisme a d’abord été un frein dans mon parcours de femme et a contribué à mon mal-être. Un mouvement politique qui vise à émanciper les femmes ne devrait pas contribuer à leur haine d’elles-mêmes, de ce qu’elles sont et ne peuvent cesser d’être. Il ne devrait pas nous inciter à détester nos corps. Il ne devrait pas nous convaincre qu’être une femme est une malédiction, que notre destin est d’être des victimes des hommes et de notre propre biologie.
Je n’ai pas de solution individuelle. Chacune d’entre nous est différente et devra trouver par ellemême ce dont elle a besoin. Mais je souhaite lancer une réflexion collective sur ce que nous pouvons changer, au sein du féminisme, pour faciliter le parcours de femmes telles que moi. Et peut-être même de femmes qui, au contraire, sont tout l’inverse.
Il me semble nécessaire que le féminisme s’éloigne de cette opposition idéologique simpliste entre essentialisme et constructivisme. Nous sommes le produit de la société dans laquelle nous vivons, elle qui traite filles et garçons, femmes et hommes, de façon différente. Nous sommes aussi des femelles de l’espèce humaine. Oui, il y a une pression à se conformer à des modèles de féminité et de masculinité artificiels et nocifs. Oui, la socialisation genrée est une réalité et un problème. Cela ne signifie pas que nos corps sexués sont quantité négligeable, qu’ils n’ont aucune influence sur nos comportements.
Nous sommes des animaux et plus spécifiquement des mammifères de la catégorie des primates. Chez tous les primates, ces différences biologiques dues aux sexes ont un impact sur les comportements, les interactions, les rôles au sein du groupe et les capacités physiques. Ce n’est ni bien, ni mal ; cela n’induit aucune hiérarchie « naturelle » entre hommes et femmes. Ce fait n’est pas prescriptif et n’induit pas que toutes les femelles et tous les mâles se comportent de la même manière et sont diamétralement opposé·es en tout. Il existe des différences, certaines innées d’autres non, c’est un simple fait. Arrêtons de nous penser si exceptionnel·les que ce qui est vrai pour les autres mammifères ne l’est pas pour nous.
La reproduction coûte plus aux femmes qu’aux hommes. Pour une femme, la maturité sexuelle implique un cycle menstruel avec des changements hormonaux, des saignements, bien souvent des douleurs et des impacts psychiques. La liste des désagréments et des risques liés à l’ovulation et aux menstruations est fort longue, et certaines femmes sont nettement moins chanceuses que d’autres. Nous sommes aussi, en moyenne, plus petites, moins fortes, moins rapides, moins robustes et donc plus vulnérables aux agressions physiques. Pour celles qui souffrent en raison des spécificités de notre biologie14, être une femme semble un fardeau à endurer une vie entière. Si à cela s’ajoutent des violences sexistes et sexuelles – ce qui est bien trop fréquent – difficile de voir des avantages à être une femme. Si nous ne souhaitons pas devenir mère, nous payons très cher pour une capacité qui n’a, à nos yeux, aucun intérêt. Notre pouvoir de donner la vie et de nourrir un bébé peut être perçu comme une charge bien plus qu’un cadeau.
Tout cela explique pourquoi nombre de femmes en viennent à considérer le corps mâle comme intrinsèquement supérieur. Il ne l’est pas. Que vaut la force face à la capacité de créer un être humain ? Que vaut une paire de testicules, moche et vulnérable 15&, face à une paire de seins, capable de produire le lait dont nos enfants dépendent ? Rien de plus ni de moins que la valeur qu’on leur accorde. Les capacités du corps des femmes sont méprisées parce que les femmes sont dévalorisées en tant que femmes. C’est le propre d’une société patriarcale.
C’est bien pour cela qu’il faut que le féminisme rende justice au corps des femmes et tout ce dont il est capable. Je ne veux pas être mère mais, aujourd’hui, je suis capable d’estimer cette incroyable aptitude, cette prouesse de la nature. Mon premier déclic, le premier pas qui m’a permis d’arrêter de ne voir que les inconvénients d’un corps de sexe féminin, a été la première fois que j’ai vu un dessin de l’intérieur du sein d’une femme. Ce réseau arborescent d’alvéoles, ces petits lobules ressemblant à des mûres, reliées par de fins canaux, me semblait beau. Quand j’ai appris que notre lait peut changer de composition en cours de tétée pour s’adapter aux besoins nutritionnels du bébé ou encore produire des anticorps lorsqu’il est malade, j’étais époustouflée.
Le deuxième déclic a été d’ouvrir les yeux sur toutes les femmes incroyables que j’ai eu la chance de connaître. D’admettre que, même au plus fort de mon mépris pour les femmes, c’était vers elles que je me tournais, pour l’amitié, le réconfort, le partage. J’ai plusieurs fois entendu des femmes ayant transitionné déplorer la perte que cela représente de ne plus pouvoir être une femme parmi les femmes.
Nul besoin de verser dans le féminin sacré pour trouver de la valeur dans le fait d’être une femme, pour aimer et célébrer des femmes, pour se sentir à notre place parmi elles. Mais cela ne peut se faire si notre féminisme se focalise uniquement sur les violences sexistes et les inconvénients de nos corps. S’il rejette ceux-ci de ses discours et de ses analyses par peur de justifier la hiérarchie patriarcale. Si les seuls accomplissements que nous célébrons sont ceux de femmes dans des domaines masculins, si nos seuls modèles sont des exceptions alors que la plupart d’entre nous ne serons jamais exceptionnelles.
Il ne suffit pas de dénoncer ; il faut aussi aspirer à quelque chose de beau, de juste, qui nous donne de l’espoir et de la joie. Ceci manque au féminisme actuel, surtout au féminisme libéral qui préfère se réapproprier un « féminin » profondément patriarcal et misogyne. Un « féminin » qui a été pensé par et pour les hommes, pour leur plaisir, leurs intérêts et leur jouissance. Un « féminin » bien masculin en somme. Il faut valoriser les femmes dans tous les domaines, même la maternité. Je suis convaincue qu’il existe une culture des femmes, et même davantage qu’une seule. Il a existé et existe encore des arts, des pratiques (culturelles, cultuelles ou politiques) et des artisanats féminins. Il faut explorer cette richesse, l’apprécier à sa juste valeur, s’ouvrir à la culture d’autres femmes partout dans le monde.
***
Je ne peux pas dire, aujourd’hui, que j’aime être une femme. Mais j’aime apprendre de quoi nos corps sont capables. Peut-être envierais-je encore les hommes à l’avenir, peut-être la boxe restera-t-elle toujours une expérience douce-amère, mais je ne souhaite plus, chaque mois, être un homme. J’ai accepté mon corps, ce corps qui fait de moi une femme. Je respecte sa force de vie, ses capacités, ses merveilles, petites et grandes. J’aime les féministes qui s’emploient à mettre en avant la puissance des femmes, leur créativité, leur rébellion. Et par-dessus tout, j’aime être une femme parmi des femmes.
 

Faustine.

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1 J’ai demandé à nombre de femmes à quelles périodes de leur vie cette pression sociale sexiste a été la plus forte et intrusive. Il en est ressorti qu’elle est au plus haut lors de l’adolescence, puis de nouveau lorsqu’elles deviennent mère.


2 Le mouvement #metoo est arrivé en France alors que j’étais au tout début de la vingtaine. C’est à ce moment que j’ai appris des termes (notamment harcèlement) qui décrivait le sexisme dont j’avais fait l’expérience jusqu’alors, sans avoir les mots pour le dire ou le comprendre.


3 La grande figure de ce féminisme est Sheryl Sandberg, dirigeante d’entreprise et femme d’affaire milliardaire, autrice du livre Lean In : Women, Work, and the Will to Lead, traduit sous le titre En avant toutes : les femmes, le travail et le pouvoir. À noter que l’édition française a été préfacée par Christine Lagarde, qui est une illustration parfaite de cette vision du féminisme. En France, une figure emblématique de cette approche est la journaliste Léa Salamé avec son émission (et son livre) Femmes puissantes.


4 La Pensée Straight de Monique Wittig en est une parfaite illustration. Par exemple : « Si nous admettons qu’il y a une division « naturelle » entre les femmes et les hommes, nous naturalisons l’histoire […] mais aussi par conséquent nous naturalisons les phénomènes sociaux qui manifestent notre oppression, ce qui revient à rendre tout changement impossible. » p. 55.


5 J’avais donc la mentalité typique « not-like-other-girls » alors même que je n’étais amie qu’avec des femmes. Je n’étais de toute façon pas à une contradiction près puisque je me revendiquais féministe tout en étant sexiste, puisque je survalorisais les hommes et la masculinité tout en les critiquant.


6 Je dis tenter parce que les choses ne se sont pas passées comme je l’imaginais. Je suis bien allée au bureau de recrutement de l’armée. Mais là, le militaire qui m’y a accueilli m’a informé – entre deux remarques sexistes – que j’étais en-dessous de la taille minimale exigée par l’armée. Fin de l’aventure.


7 Devenir adulte, c’est faire face au fait qu’on s’est cru spécial·e et différent·e, qu’on a cru avoir des souffrances, pensées et expériences absolument uniques, comme tout le monde. Et le pire, c’est que les adultes nous le disaient mais on ne les croyait pas.


8 Cette formule est très souvent employée pour expliquer le concept de transidentité. J’ai bien conscience que c’est réducteur mais il existe plusieurs théories autour de l’identité de genre qu’il serait trop long d’expliquer dans le détail ici.


9 Ou plutôt transsexuelles puisque je n’avais entendu et lu alors que des témoignages de personnes ayant fait une transition médicale.


10 Les podcasts et autres médias féministes ou « LGBT » insistant toujours sur la difficulté du coming out et l’intolérance de notre société profondément transphobe, il était recommandé de ne pas trop poser de questions. Les personnes étant, supposément, toujours obligées de se justifier, les questionnements pouvaient être vécus comme une violence, une forme de harcèlement.


11 Pour l’écouter, le podcast (en anglais) est disponible ici. Elle a aussi une chaîne Youtube où elle parle de son expérience, fait des vidéos thématiques sur la transidentité et le lesbianisme, et donne la parole à d’autres femmes lesbiennes.


12 Terme utilisé dans le monde anglophone pour désigner les femmes lesbiennes « masculines », c’est-à-dire adoptant des vêtements masculins et ayant des comportements typiquement associés aux hommes.


13 Lors de ma période la plus « masculine », j’ai régulièrement été appelée jeune homme ou j’ai pu voir la confusion de personnes n’arrivant pas à me situer. Cela m’amusait et ne me déplaisait pas mais je n’ai jamais cherché à provoquer cette situation.


14 On peut citer par exemple, règles douloureuses, ménopause difficile, douleurs dorsales causées par des seins volumineux, migraines dues aux hormones, endométriose, fausses couches, accouchements mortels, etc.


15 C’est la première remarque qu’a faite ma mère quand j’ai discuté de ma « révélation », du fait que le corps des hommes n’est pas supérieur aux nôtres, juste différent. Que nous avons des capacités qu’ils n’ont pas et inversement. Elle a tout de suite évoqué les testicules, qu’elle n’a pas l’air de tenir en haute estime au vu de leur piètre qualité esthétique.

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